— Bravo ! mon valeureux César. Voilà des nouvelles qui me laissent pantois ! La refonte de ta personne, de tes habitudes et de ton home constitue un événement que nous allons fêter incessamment avec les copains de l’équipe, non ?
— J’y songeais, assure le Miraculé. J’aimerais vous traiter chez Lasserre où la truffe en feuilleté reste incomparable. Maintenant que je suis aguerri, je peux affronter l’ouverture sempiternelle de leur toit sans craindre une pneumonie.
Là-dessus, Adeline la très bandante revient, portant ma vodka-citron, un Cointreau sur glace pilée et une bouteille de muscadet (Pinaud restant fidèle à ce breuvage démocratique nonobstant sa réussite financière).
Nous trinquons dans la joie. Le couple se love sur le canapé. Pinuche dépose son verre afin de pouvoir réchauffer sa dextre refroidie par la bouteille entre les cuisses brûlantes de sa conquête.
— Et maintenant, si tu me baillais ce qui t’amène, Antoine ?
Tiens, bonne question. Mais à laquelle j’ai quelque mal à répondre. Au fait, c’est vrai, pourquoi suis-je venu ?
— Un coup de nostalgie, beau jeune homme. Ça faisait un bout de temps que je ne t’avais vu.
— C’est gentil. Et puis quoi d’autre encore ? Je te connais parfaitement, mon garçon ; tu as ce regard flottant des débuts d’enquête, lorsque tu ne sais pas trop bien où tu mets les pieds. Je sens que tu as envie de m’exposer ton trouble, comptant sur ma bonne vieille jugeote pour t’aider à y voir plus clair, me trompé-je ?
Tant de perspicacité me chauffe l’âme et ma température corporelle doit s’élever d’au moins deux degrés.
Je murmure, désignant le Régénéré à sa frivole :
— Méfiez-vous de lui, fillette, ce diable d’homme lit dans les pensées, sans lunettes !
Je lui narre donc par le menu cette bizarre historiette de prétendue voyance, de visite « tentaculaire » ayant pour cruel objet de nous reprendre Toinet, tout ça… Et le pneu crevé, le papa Eugène azimuté du cervelet sur les bords.
L’ex-vieillard caresse du bout des doigts sa moustache bien taillée en écoutant le récit très attentivement. Sa régénérescence ne lui a rien ôté de son application. Lorsque j’en ai terminé, il se sert un nouveau godet de muscadet qu’il sirote en grand œnologue.
— Elle est curieuse, cette affaire ! souligne sa pétasse en retroussant sa jupe jusque sous ses seins.
Malheureusement, elle porte une culotte qui, heureusement est fendue, noire et agrémentée d’une fine dentelle rose. A moins qu’il ne s’agisse d’un effet d’éclairage (très étudié dans le nouveau look de l’appartement pinulcien), il semblerait que la toison de cette aimable personne fût rousse ou apparenté.
Je lui jette le regard ami qui convient, car tu n’as pas le droit d’éviter celui d’une petite chatte rose de confusion.
Le frifri de la dame me reçoit cinq sur cinq et, dès lors, m’envoie un baiser humide. Message reçu ! Mais je ne vais pas encorner mon cher Pinaud, l’être le plus merveilleux qui eût jamais longé ma route ! Faire du contre-carre au Vieux, dit le Dirluche, dit Achille, si dindonnesque, est une sorte de sport. Tromper César serait une infamie !
J’abandonne l’affriolant spectacle pour me consacrer à son bénéficiaire.
La Pine parle avec son beau râtelier en chlorure de vinyle expansé. Il déclare :
— La magouille est certaine, Antoine. Il existe une connivence entre la femme Turpousse et le petit Bruno.
— Pas avec son père ? m’étonné-je.
Il déguste son glass à papilles feutrées.
— Je ne le sens pas. Ton art consommé de la description qui, soit dit en passant, est celui d’un grand écrivain, me donne l’image d’une sorte de Foccart abîmé dans ses chimères et qui est abusé par son gamin. Ce fou croit avoir enfanté un prodige, alors qu’il ne s’agit que d’un petit truqueur. Je devine quelque collusion entre la tante de votre Toinet et ce gamin.
— A ce point ?
— Veux-tu que j’enquête à ce propos ?
— J’allais t’en prier, car il me faut un homme d’une grande discrétion.
Il retrouve son sourire de mouton venant de se faire la plus choucarde brebis du troupeau.
— Laisse-moi les coordonnées de ces gens, je m’y attellerai dès demain. Leur quartier est pauvre ?
— Disons ouvrier.
— En ce cas je ne prendrai pas ma Rolls, mais mon ancienne 2 chevaux que je conserve par fétichisme.
PLANTON,
C’EST PAS UNE SINÉCURE…
Planton, c’est pas une sinécure (Béru dit un ciné de curé) chez nous, à la Grande Volière. Because le Vieux qui a en sainte haine les mecs dévolus à ces modestes fonctions. On l’appelle Tyrano de Bergerac, Pépère, tant tellement il égosille après ces malheureux arpenteurs de couloirs, gravisseurs de marches, porteurs de plis. Un bouton pas boutonné ou qui pendouille, un kébour trop désinvoltement sur le côté, des lattes imbriquées, et c’est la crise chez Chilou-le-tondu. Des vociférations quasi douanières, des tirades flagelleuses, des remontrances mortifiantes, des sanctions implacables. Un autre surnom qu’il se trimballe aussi, le Mondain : Bombard. Parce qu’il bouffe du planton. C’est l’inspecteur Manivel qui a trouvé ça ; moi je dis que pour un flic c’est plutôt bien venu, non ?
Donc, le garde Sifoine, planton de service, montre son pif de carnaval par mon entrebâillage de porte. Son tarin, tu parles d’un plantoir, messire cognedur ! On dirait ces nez de carton affublés de lunettes que ma Jeannine vend au 45 passage de l’Argue, à Lyon, de mère en fille. Une tradition familiale. Pas qu’on soit portés sur la gaudriole, mais rien de ce qui concerne le verre baveur et la boule puante ne nous est étranger. Une dynastie, on forme. La merde en carton, le bonbon au poivre, le soulève-plat, on est experts près les tribunaux. Testeurs diplômés pour tout ce qui concerne les farces et attrapes. Une nouvelle vessie pétomane est créée ? Aussi sec (aussi pète-sec) on nous la fait expérimenter. Elle vit dangereusement, Jeannine.
Pilote d’essai, c’est comme brodeuse en chambre à comparer ! Un jour je te la raconterai toute, fond en comble, cette chère chérie. Son calme, son sang-froid, quand elle se met aux commandes d’un paquet de gauloises tapette. Sa farouche dignité devant la flaque de dégueulis artificiel. Et comme monitrice en fausses araignées, l’efficacité qu’elle fait preuve, ma Jeannette. Ce sourire distingué pour raconter la boutonnière lance-eau, la boîte à capotes à ressort, le pif qui s’allume, le cafard de plastique, les sucres farce ! Je t’en casserai des chiées sur elle, un jour, Jeannine. Tout entière, comme il faut ! Un être exquis, pas recommençable ! Un amour éperdu de ma vie.
Qu’or donc, et trêve de digressions, le planton Sifoine amène ses dix-huit centimètres de tarbouif dans mon espace vital, en ce pâle matin d’hiver débutant. Tout scrogneugneu, l’artiste. Avec un reste de café crème (arrosé crime, que disait Prévert) dans les poils de ses bacchantes de poisson-chat. Que si le dirluche te le biche avec encore la balayette trempée, ça deviendra la kermesse héroïque dans la Grande Taule.
— Qu’arrive-t-il, Sifoine ? je l’accouche. A voir votre mine défaite, il semblerait qu’il vous soit arrivé quelque chose de grave, comme si vous aviez perdu au loto ou que votre belle-mère eût guéri de son cancer ?
— C’est rapport à un vieux dégueulasse qu’insiste pour vous parler, m’sieur le commissaire.
— Qu’appelez-vous un vieux dégueulasse ? rembrunis-je.
— Un mec cradingue, puant et qui trimballe un kil de rouge dans la poche de son pardingue, informe Sifoine.
— Et il tient à me rencontrer personnellement ?