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Bon, moi j’ai de plus en plus de pain sur la planche. Cette fois, ça devient plus que sérieux…

Je retourne à ma jeep. Y a des mouflets arrêtés autour et qui zyeutent comme s’il s’agissait d’une soucoupe volante.

Je vais pour leur dire de se faire la malouze, mais je me dis — avec juste raison — qu’à la cambrouse, les péquenots ne l’ouvrent jamais et que, si j’ai quelqu’un à interroger, j’ai beaucoup plus de chance avec des mômes qu’avec des adultes.

C’est because je sors un bifton de cinq cents de mon larfeuille et je le montre à la progéniture de l’endroit comme si c’était le Très Saint Sacrement.

Les petits têtards, on a dû les élever dans le culte du grisbi parce que faut voir comme ils lorgnent mon Victor Hugo.

— Écoutez, les petits potes, je fais. Je viens pour retrouver des amis à moi, et ils ne sont pas là ! Lequel d’entre vous les a vus partir ? Qui peut me renseigner ? Ce billet de cinq cents francs est à lui.

Un môme me regarde.

— La dame est partie d’hier, dit-il.

— Ah !.. Et le monsieur ?

— On l’a pas vu…

— Y a longtemps qu’ils habitent ici ?

— Trois semaines.

— À qui appartient la maison ?

— À M. Rivellin.

— Qui est-ce ?

— L’adjoint…

— Il n’habite pas les Serves ?

— Non.

— Que font-ils, la dame et le monsieur, lorsqu’ils sont là ?

Le gosse est un petit lardon du genre terreux vicelard. Il a une figure triangulaire ; des yeux fuyants, des cheveux roux.

Il hésite.

— Ils se promènent, dit-il…

— Avec leur chien ? je questionne.

Là, le lardon marque le pas.

— Non, fait-il, ils n’ont plus de chien depuis quelque temps.

— Ah ! ils s’en sont séparés ?

— Oui… Ils l’ont fait tuer, à ce qu’ils ont dit. Paraît que Fifi courait après les autos…

J’apprends enfin le nom du cador mort : Fifi.

— Sans blague, fais-je, ce sacré Fifi ! Comme ça, il courait derrière toutes les voitures ?

— Non, fait le gosse. Pas derrière toutes ! Je l’ai vu… Il en avait aux camions…

— Aux camions ! Hé bé…

— Oui, toutes les fois que le boulanger passait livrer il se précipitait contre son auto. Fallait que le boulanger s’arrête pour pas l’écraser…

— Non ?

— Si !

— Et il ne courait pas après les autres voitures ?

Le gosse réfléchit.

Je me félicite de l’interroger. Je comprends que dans le bled, personne n’aurait pu mieux que lui me renseigner, du moins avec cette franchise naturelle.

— Non, se décide-t-il, il n’en avait qu’aux camions. Lorsque le docteur venait ici, ou bien le vétérinaire, il ne bronchait pas…

— Ah…

Je roule mon billet et je le lui tends. Il s’en saisit comme un gars sur le point de se noyer, s’agrippe à une bouée.

Je retourne chez mon épicière.

Elle m’accueille avec un sourire qui donnerait à réfléchir à Cécil B. de Mille.

— Vous avez trouvé ? demande-t-elle.

— Couci-couça, je réponds. Mais j’aimerais avoir un petit entretien avec un certain M. Rivellin.

J’ajoute :

— Il habite ici, n’est-ce pas ?

Pour toute réponse elle demande :

— Lequel ?

Moi, j’en suis comme quatre ronds de flan.

— Comment, lequel ?

Elle fait un rapide calcul sur ses doigts.

— Ils sont douze, dit-elle.

— Je veux parler de celui qui est propriétaire de la maison de… mes amis !

— Alors, dit-elle, c’est Rivellin Jules, voyez derrière le monument aux morts.

Le monument aux morts ! Il me paraît bigrement de circonstance !

CHAPITRE VII

Après avoir enjambé trente-trois fientes de canards, je parviens à la porte de la maison indiquée.

Ça sent la soupe aux choux, le rouge de campagne, le lard rance et le fumier. J’avise trois mecs attablés autour d’un pétrin. Ils sont en train de consommer des tranches de lard grosses comme mes cuisses.

— Bonjour tout le monde ! je murmure…

Les locdus s’arrêtent de mastiquer. D’un effort terrible du gosier, ils avalent le morcif qui occupait leurs chailles et me regardent comme la petite Bernadette a dû regarder la bonne Vierge Marie la première fois qu’elle lui est apparue.

— Monsieur Revellin ? je demande.

Le plus vieux se lève. Je vois d’abord une moustache rousse pareille à un nœud papillon.

Derrière la moustache, y a une figure concave, striée de rides. Un regard bleu, en forme de binocle, se pose sur ma précieuse personne.

— Ce que c’est ? articule un trou sous la moustache.

Les autres referment leur Opinel avec des gestes mesurés et le glissent dans leur poche.

— Je viens au sujet de vos locataires des Serves, dis-je…

— Ah bon, fait le trou.

Le pagant est un peu rassuré. Il avait peur que je sois un inspecteur du fisc ou un contrôleur du lait. Du moment que je n’en ai ni à son pognon ni à son cheptel, il respire, le Revellin Jules. Il a un bout de nez rigolo, tout rond, tout rouge, délicatement posé sur sa moustache, comme un objet précieux sur un coussinet de velours.

Les deux autres sont des gars robustes, en maillot de corps, coiffés de casquettes. Il ont des physionomies aussi expressives que cinquante grammes de fromage râpé.

— Vous êtes un ami à eux ? demande le terreux.

Je crois qu’il est inutile de l’emmener en barlu. Après les questions que je vais lui poser, il comprendra que je ne suis pas un copain de la fille en bleu.

— Non, monsieur Revellin, je ne suis pas un ami à eux… Je ne suis l’ami de personne, en général, et surtout pas des assassins.

La moustache se hérisse.

— Qu’est-ce que ça veut dire ? demande-t-il.

Je lui montre ma carte.

Il la regarde comme un quidam regarde une toile de Picasso, avec l’air de se demander si elle est bien exposée du bon côté.

Il balbutie :

— Po… po…

Et je me marre en imaginant ce vieux bouseux accroupi sur un pot de chambre.

— Police, lis-je pour lui.

Les autres ne bronchent pas, ils se retiennent de respirer. Le silence qui s’établit est tel qu’on entendrait battre le cœur d’un huissier.

— Monsieur Rivellin, poursuis-je, vous avez donné asile à des malfaiteurs. La femme, en tout cas, est une meurtrière, car elle a tué son compagnon. Si vous n’avez jamais vu de cadavre, allez faire un tour aux Serves. Vous y découvrirez un épouvantail peu ordinaire…

Je ne lui laisse pas le temps de respirer.

— Aussi, dis-je, il est indispensable, et plus prudent pour vous, de me dire dans quelles circonstances vous avez loué votre maison à ces gens…

Je suis obligé de répéter ma question car la révélation que je viens de lui faire a mis sa cervelle en forme de huit.

— Mais, dit-il… C’est eux qui sont venus ici pour louer…

— Comment ont-ils su que vous aviez une maison disponible ?

— J’avais mis une note au tableau d’affichage de la mairie. Ils l’ont vue, ils sont venus me dire que ça les intéressait…

— Ah bon ! Quel nom vous ont-ils donné ?

Il plisse son front.

— Du diable, dit-il… Je me rappelle plus.

Se tournant vers les deux buses il demande en patois :

— Quel nom c’était, déjà ?

— Vinay, fait le moins lourd.

J’enregistre : Vinay… Il s’agit certainement d’un faux blaze…

— D’où vous ont-ils dit venir ?

— De Lyon.