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San-Antonio, vous n’avez plus le droit de l’ignorer, c’est le type qui n’a pas froid aux yeux, ni ailleurs !

Des trucs fantastiques, horrifiants, pétrifiants, antidérapants, j’en ai tellement vu que maintenant, lorsque j’ouvre une porte, je m’attends toujours à découvrir derrière, empilés par paquets de quatre, des cadavres défigurés… Étant donné les circonstances, je m’attends au pire.

Et le pire, mes mecs, on ne sait jamais où il s’arrête.

Eh bien ! ce que j’aperçois, en entrant dans cette cave, me fout une secousse. Ça n’est ni un cadavre, ni un amoncellement de débris humains, ni une femme enchaînée, ni un squelette… Moi, forcément, c’est à ça que je m’attendais. Mon choc vient de la surprise. Pour une surprise, c’en est une ! Une surprise à l’envers ! Toutes ces issues secrètes pour cacher seulement… un rouleau de papier !

Un gros rouleau de papier blanc, de papier mince…

Je le déroule un brin… C’est du papelard vierge… Il y en a là une cinquantaine de kilos…

Comprenne qui peut…

J’en prélève un morceau, comme on fait d’un coupon, chez le tailleur, afin de l’examiner tout à loisir. Après quoi je les mets.

Ce Compère est un drôle de zig… Si je m’écoutais, j’irais lui dire deux mots à ma façon, histoire de me faire éclairer ma lanterne.

Seulement ça démolirait ses petits vases de Sèvres, car lorsque j’ai une explication avec un mec, on est obligé d’envoyer la voirie par-derrière pour déblayer les gravas !

Mon petit doigt me dit qu’il ne faut rien brusquer. Il y a des enquêtes dans lesquelles il faut bondir les poings serrés, le soufflant à la main, d’autres, au contraire, dans lesquelles on avance, avec précaution, comme dans la jungle Vietnamienne.

Oui, prudence !

Je boucle soigneusement la trappe, puis le rideau du garage.

Tout ce cirque pour un rouleau de faf !

Mieux que l’heure, ce qui rythme l’existence d’un gaillard comme moi, ce sont les repas.

Un terrible besoin de morfiler me triture le gésier.

Je me dis qu’étant à Lyon, patelin de la gastronomie, je peux m’expédier un petit gueuleton confortable. Je ne dois tout de même pas oublier que je suis en vacances !

J’ai suffisamment vadrouillé entre Rhône et Saône pour connaître les bons coins. Duboin, justement, m’a fait connaître les endroits où l’on rencontre le poulet chasseur dans les meilleures conditions.

En m’attablant, je songe à Duboin. Il doit me prendre pour le plus beau tas de fumier que la terre ait porté. Voilà une paye que j’ai embarqué sa tire sans lui donner signe de vie.

Le moins que je puisse faire, c’est de lui tuber mes regrets.

Tandis qu’on met ma poularde en route, je lui téléphone.

Comme prévu, il est dans une rogne noire.

— Ah ! c’est toi, flic d’opérette ! beugle-t-il… Marchand de pétard ! Fesse de poulet ! Figure de rat ! Condé marron !

Il stoppe pour reprendre son souffle. Vite, j’en profite pour shooter.

— Fais gaffe à ton asthme, bouffi ! Deux mots de plus et c’était la syncope ! C’est pour ton horrible brouette que tu fais ce ramdam ! Qu’est-ce que les demoiselles des postes doivent penser en entendant tes invectives !

Il a repris sa respiration. Il en profite pour me dire que les demoiselles des postes il les a au cul. Je lui réponds que de mon côté c’est plutôt le contraire. qui se produit. Et pour cause ! Ça le fait marrer…

— Où en es-tu ? demande-t-il brusquement.

— Ça serait long à t’expliquer…

Il renaude sauvagement. Il m’explique qu’il avait cru dégringoler le type le plus salaud du monde pendant la guerre, en abattant un colonel de la Gestapo qui arrachait les yeux de ses détenus avec une cuillère à café ; mais qu’il s’apercevait maintenant qu’il se berçait d’une douce illusion, vu que le roi des salauds était à l’autre bout du fil.

Cela dit, il reprend un nouveau bol d’air.

— Fais pas le journaleux, Dub, je rouscaille. Je te dis que je n’ai pas le temps, maintenant !

— Et ma tire, dis, tordu ? J’ai peut-être le temps d’attendre des jours entiers comme je fais ? Si c’est la communication qui t’épouvante, appelle en P.C.V. ! Monsieur devient radinus, à cette heure ?

Je comprends que je m’en ferai un ennemi mortel si je n’y vais pas de mon petit résumé.

Il écoute tout sans l’ouvrir, au point que j’ai l’impression d’être seul en ligne.

— Tu es là ? je m’inquiète lorsque j’ai déballé le pactage.

— Et un peu là, affirme-t-il. Dis, ça se corse chef-lieu Ajaccio, ton affaire ! Merde, ça me fait regretter la belle époque où je buvais de l’infusion de queues de cerises pour mieux pisser de la copie !

« Alors, enchaîne-t-il, ce Compère tremperait dans la soupe ?

« Et il cache du papelard comme si c’était de l’or, tu trouves pas ça marrant, toi ?

— Un peu, mon neveu !

— Quels sont tes projets ? demande-t-il encore…

— Bouffer un poulet, dis-je. Le garçon me fait des signes désespérés pour me dire que c’est prêt…

— Je voudrais que tu en crèves !

— Merci ! à part ça, t’as pas d’autres vœux à formuler ?…

Il réfléchit…

— San-Antonio, se décide-t-il, tu n’es qu’un manche, ta matière grise t’est aussi utile qu’un dictionnaire à un mille-pattes !

« Qu’est-ce que t’as dans les châsses, dis, trésor, pour ne pas savoir utiliser les indices en ta possession ? Tiens, tu m’écœures, rappelle-moi ce soir, je vais t’avoir du nouveau.

Et il raccroche.

Je me gratte l’oreille et, pensif, je vais tenir compagnie à mon poulet.

Qu’est-ce qu’il a voulu dire, Duboin, par ses invectives finales ?

Y aurait-il un détail que j’aurais pas interprété ?

J’ai beau faire une petite revue de détail, je n’y entrave que pouic ! Après tout, j’aurais bien tort de me casser le couvercle.

D’un haussement d’épaule, je balaie mes inquiétudes et je me lance sur la tortore.

Le garçon me présente l’addition. Je mets la pogne à la feuille et je tire une pincée de biffetons. J’extrais de quoi cigler mon orgie. Comme je vais pour ranger le restant de mes talbins, j’ouvre la bouche comme si on allait m’installer le chauffage central dans le gosier. Ma surprise est trapue, parole !

Figurez-vous qu’au milieu de mon fricotin, se trouve le morceau de papier que j’ai prélevé sur le rouleau, dans la cave à Compère.

Je constate alors que ce papelard est le même que celui des billets ! Oui, mes vaches, vous entendez bien ? Le même ! Je comprends pourquoi Compère le planque aussi soigneusement : c’est du papelard à biffetons !

Je le bigle par transparence, il est filigrané… Du vrai ! Du vrai de vrai, mes aïeux !

Je reste songeur…

— Voici votre monnaie, Monsieur, fait le garçon.

— Gardez tout ! je lui dis avec un geste noble.

Il fait la grimace. C’est seulement une fois dehors que je réalise pourquoi : il ne restait que dix-huit centimes dans l’assiette !

À la routière, je suis reçu par un jeune blanc bec d’inspecteur, qui me laisse entendre que les collègues de Paris ne l’impressionnent pas.

Il est grand et blême, avec des yeux vaches. Ces yeux qu’ont les représentants de la loi, depuis le garde-champêtre de votre village jusqu’aux plus hautes autorités policières.

— En quoi le vol d’une voiture dans notre secteur peut-il vous intéresser ? dit-il.

J’en reviens pas. Jamais un blanc bec ne m’a parlé sur ce ton et avec cette suffisance.