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Elle devait s’appeler Albertine, bien sûr, mais Sonia c’était juste le blaze qui convenait à son châssis. Au premier regard que nous avons échangé, j’avais pigé que c’était dans la poche.

Ces trucs-là, pas besoin d’être le fakir Bay-Rhu pour les entraver. Lorsque je regarde une pépée et que je découvre dans ses mirettes ce petit vacillement, je commence à penser que la partie de jambes en l’air est proche.

Et elle l’était !

Le soir même, comme je sortais de ma piaule en robe de chambre pour aller respirer l’air pur des cimes sur le grand balcon de style savoisien qui faisait le tour de la cahute, je rencontrai la poulette.

Elle allait fumer une cigarette suisse longue comme un thermomètre.

Je lui proposai du feu.

C’est commun mais infaillible. À quoi bon se casser le but pour trouver des trucs nouveaux ? Les vieilles ficelles sont encore les plus solides.

Elle me dit merci et je lut répondis que tout le plaisir était pour moi.

Au bout de cinq minutes, ce que je ne connaissais pas de sa vie aurait tenu sur une formule télégraphique.

Elle s’appelait Sonia. Elle était mannequin à Paris. Elle avait un riche protecteur : le vieux crabe. Ce gars-là possédait des usines où l’on fabriquait je ne sais plus quoi de glandulard, peut-être bien des boutons de jarretelles. On se demande comment des mecs ont un jour l’idée de fabriquer des bricoles pareilles. En tout cas ça rapporte gros et le père Ramoli avait tellement d’auber qu’il était obligé de s’assurer le concours d’une Sonia de luxe pour croquer ses revenus.

Il se gavait de gardénal pour pouvoir en écraser, ce qui laissait des loisirs à la petite.

Je lui dis à Sonia que j’avais dans ma valise le flacon de Cinzano blanc dont rêvent toutes les femmes modernes et je l’invitai à trinquer.

Elle accepta.

Dix minutes plus tard, le professeur en vacances de la chambre voisine tabassait la cloison en gueulant que si on continuait un tel chabanais, il allait téléphoner à la gendarmerie ou alors qu’il voulait en être !

Le lendemain, Sonia me présentait son vieux.

Lui, c’était le genre fossile-généreux. Le brave débris, quoi !

Il avait le champagne facile et il s’était suffisamment trouvé en tête à tête avec un miroir pour comprendre qu’il devait renoncer à la jalousie.

Il m’accueillit fort bien. Après tout, il devait se dire que moi ou un autre… À ma physionomie ouverte comme la main d’un mendiant, il dut piger que j’étais franc et que les giries c’était pas le genre de mon magasin.

Il permettait à sa protégée de faire des excursions dans la nature avec moi, alors on allait gambader dans les pâturages et cueillir de la bruyère, juste comme dans les romans-photos pour bonniche en délire.

Rigolez pas ! Faut bien sacrifier de temps à autre au côté chromo de l’humain, non ? Pour le reste, ça se passait chez moi, le soir lorsque le vieux père La Jarretelle avait siroté son somnifère.

Sonia avait un petit talent de société. Elle, son vice, c’était la brouette chinoise. C’est moi qui faisais le jardinier, bien entendu. Elle gueulait si fort, la môme, que le prof de français, à côté, avait plus besoin de s’acheter Paris-Galant. Je l’ai compris deux jours plus tard, en constatant qu’il avait percé un trou dans la cloison. Il s’offrait des jetons à bon marché, le frère !

Sur la qualité du spectacle, il pouvait pas râler. Il était calé pour les langues mortes, mais pour les langues vivantes Sonia lui faisait la pige. J’avais beau obstruer le trou avec du chewing-gum mâchouillé, il en perçait un autre à côté. C’était pas un homme mais un vilebrequin. Au bout de huit jours ce côté du mur ressemblait à un morceau de gruyère ! À la fin j’ai renoncé. Faut bien que tout le monde s’amuse. À table, il était sérieux comme trente-six papes. Moi je me fendais le parapluie en regardant son œil gauche tout rouge.

Bref, c’était la bonne vie.

Puis un soir…

On avait fait une balade en voiture, Sonia, son débris et moi.

On avait pris ma guindé, because le tréteau du vieux était tellement large qu’on aurait eu meilleur compte de faire circuler le porte-avions Entreprise sur ces routes en lacets.

Comme on rentrait, Sonia a voulu fumer une sèche. En farfouillant dans le fourre-tout pour trouver ses « Craven », elle a mis la paluche sur le fameux collier du chien écrasé. Je l’avais complètement oublié ces derniers temps…

— Qu’est-ce que c’est ? m’a-t-elle demandé.

— Je ne sais pas, mais jusqu’à nouvel ordre, j’appelle ce machin-là un collier de chien.

Elle s’est foutue à rigoler. Jamais je ne m’étais rendu compte à quel point l’objet était insolite.

Elle le retournait dans ses pattes, le montrait au vieux. Ceci juste au moment où ma direction commençait à déconner.

Je suis descendu de voiture pour voir. C’était un pneu qui avait eu une discussion avec un clou. Le clou avait fait le méchant et le pneu s’était platement dégonflé.

Comme la guindé était en pleine côte, je cherchai une grosse pierre pour la caler. Précisément, il y en avait une à dix pas. J’allai dans cette direction. Et alors, juste comme je me baissais pour saisir le gadin, il y eut une détonation sèche.

Je me retournai. Un épais nuage noir sortait de ma voiture.

Je courus jusqu’au véhicule.

Ma traction-berline était transformée en cabriolet décapotable. On eût dit qu’une main gigantesque l’avait ouverte d’en haut avec un ouvre-boîte, tout comme une vulgaire boîte de conserve.

L’intérieur était noirci. Tout était calciné, y compris mes deux passagers. De Sonia et de son vieux il ne restait que deux tas de bidoche racornis et sanguinolents. Par terre, je vis le râtelier du père La Jarretelle. Je regardai ce qui restait de Sonia. C’était pas racontable.

Je fis quelques pas en direction du talus et je me mis à dégueuler, sauf votre respect, parce qu’en pareille circonstance, c’était vraiment la seule chose à faire.

C’est exactement comme ça que tout a commencé.

CHAPITRE II

Oui, c’est comme ça !

Comme quoi y a des gonzes qui sont marqués par le destin, comme dit Félicie, ma brave femme de mère. Ainsi ma pomme, par exemple ! Je suis dans un coinceteau de montagne, peinard comme baptiste à enfourailler une poupée de l’espèce sublime, et voilà que mon putain de destin vient me faire du contrecarre.

Sans blague, y a de quoi se la ciseler et se l’exposer au Louvre ! Tandis que je laisse passer ma nausée, je gamberge un brin à ce qui vient de se passer. Il ne me faut pas longtemps pour piger que le bizarre collier de cador est à l’origine de l’explosion. C’était un truc suave, du gratiné pour attentat. Je ne peux retenir un frisson en songeant que j’ai moi-même consciencieusement tripoté le truc infernal, qu’il a séjourné dix jours dans ma guindé, à la merci du moindre choc…

Les pandores de l’endroit n’ont pas l’intellect très affûté.

Ça se voit à leur front aussi mince que leur galon d’argent. Entre la naissance de leurs cheveux et leurs sourcils, il y a juste de la gâchouse pour la visière de leur képi. Ils ont l’œil terne d’une limande pêchée de trois mois et leurs lèvres ont cette lippe — qui n’a rien à voir ni avec la brasserie ni avec les montres — et qui signalent les gueules de vaches à l’attention du grand public.

Le fait que je sois un commissaire des Services Secrets ne les impressionne pas le moins du monde. Tout ce qu’ils voient, c’est que ma tire a fait explosion, tuant mes deux passagers, et ce précisément à un moment où, comme par hasard, je venais d’en descendre !