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Ça m’excite de penser que la fille était là, tout près… Elle m’entendait… Elle préparait son petit citron à ressort pour m’envoyer chez les petits mecs qu’ont des ailes dans le dos et une assiette à dessert au-dessus du dôme afin de se garantir de la flotte.

Une grognasse de ce format, je donnerais la moitié de vos économies pour faire sa connaissance…

Je farfouille dans la turne. Au premier, y a deux chambres chichement meublées. Dans l’une je découvre un imperméable bleu accroché à un porte-manteau. Sur la table de nuit, il y a des fards, un vaporisateur de sac, des épingles à cheveux…

Sous le lit, je trouve une petite valise en peau de porc. Je l’ouvre et j’en prends plein mes châsses. Elle contient des billets de cinq sacs jusqu’au bord… Grosso-modo, j’estime son contenu à une cinquantaine de millions. De quoi rire et s’amuser en société, comme vous pouvez le constater… Tout cet artiche, elle l’a laissé, la Joconde…

Elle n’avait pas le temps de s’embringuer de ça… Pourtant, me direz-vous, on ne se taille pas d’une maison en laissant derrière soi un paquet d’osier pareil…

À moins que…

À moins que cet auber n’ait en réalité aucune valeur ! À moins qu’il ne s’agisse de billets de la sainte farce ! Alors là, oui, on pense plutôt à embarquer sa brosse à dents et son slip de rechange ! Bonne idée, même, que de faire des petites coupures, plus facile à écouler que les 10 où les 50 sacs !

J’examine l’un des billets par transparence. Il me paraît honnête.

Je prends un talbin de cinq lacsés dans mon portefeuille.

La confrontation est longue, longue comme un jour sans toi, dirait Géraldy. Mais je suis patient pour certaines choses. Au bout d’un petit quart d’heure, je fais une constatation. Sur la face où le gros emperruqué est à gauche, on voit un alignement de baraques, style Versailles ; la troisième comporte 18 fenêtres sur mon bifton et 15 seulement sur celui de la valise… Léger détail, mais largement suffisant pour dégauchir la vérité.

Je comprends maintenant pourquoi la fille en bleu a été aussi généreuse avec Dédé, le champion de la voirie de La Grive. Avec des talbins de cette espèce-là, on peut se permettre de les lâcher avec une benne basculante ! Vous ne pensez pas ?…

Un remue-ménage symptomatique m’annonce l’arrivée des bourres.

CHAPITRE XIII

Le commissaire principal Mathon ?

Deux cent trente livres de viande, douze mentons superposés ; l’œil de Jonas la baleine, des bretelles pervenche ; une cravate verte sur laquelle on a peint un clair de lune et une tête d’épagneul…

Avec ça, un nez patiné par le beaujolais…

Vous biglez ?.

Il s’annonce, flanqué d’un maigrichon austère comme un enterrement civil.

— Alors ? me demande-t-il, que se passe-t-il ?

— Des choses marrantes, je fais…

Je lui fais un récit succinct des événements en reprenant tout depuis le début.

Il m’écoute sans rien dire…

Ensuite, nous allons visiter les cadavres.

— M’est avis, conclut Mathon, que vous avez mis la main sur une gigantesque affaire ! Vous vous rendez compte ! Pour fabriquer des fafs sur beau papelard comme ça, faut qu’ils soient drôlement outillés, les mecs ! Ma parole, on jurerait des vrais ! Avec le contenu de cette valise, nous aurions de quoi tous prendre notre retraite, hein ? À nous la bicoque aux volets verts et la canne au lancer léger…

Il soupire, l’âme tenaillée par un obscur regret…

— Enfin, notre blaud, c’est pas de nous enrichir, conclut-il, mais d’emmerder ceux qui veulent le faire d’une façon illicite.

Il a prononcé cette longue phrase sans escale, aussi est-il obligé de s’éponger le front et de faire plusieurs mouvements respiratoires.

— Cette souris en bleu, reprend-il, vous avez une idée sur la façon de mettre la main dessus ?

— Non, avoué-je, pas la moindre… Son signalement va être diffusé, peut-être après tout que ça donnera des résultats… Il y a quelques flics moins cons que les autres dans ce pays, non ? Et puis, je reprends, sans me laisser impressionner par l’œil de baleine qui s’injecte de sang, nous avons un terrain d’exploration, n’est-ce pas, maintenant ?

— Compère ? demande-t-il…

— Vous ne croyez pas ?

— Si ! Je vais foutre mes zouaves là-dessus. On va dépoiler son passé, à ce zigoto, histoire d’avoir un aperçu sur ses relations et sur ses faits et gestes… Il faut absolument que nous dénichions l’imprimerie d’où sortent ces billets !

Je dis O.K. et je me trisse aux Beaux-Arts. De là, je téléphone au grand Patron, lequel doit se demander ce qui se passe, car je l’ai royalement moulé depuis un bout de temps.

Il est dans une forme écœurante, le boss.

— Ici, San-Antonio, dis-je, joyeusement.

— Je sais, répond-il, lugubre.

Je me racle le corgnolon, et j’y vais d’un second résumé. Moi qui n’ai, je l’avoue, pas le sens du digest, c’est mon cauchemar que d’avoir à présenter des rapports, même oraux.

— Bon, fait-il, vos vacances sont terminées depuis hier, je crois ?

— Jolies vacances, ronchonné-je.

Il n’est pas sensible à mes protestations.

— D’après les résultats de votre enquête, fait-il, nous avons affaire à des faux monnayeurs ; or ça n’est pas notre rayon. Remettez donc l’affaire à vos collègues de Lyon et rentrez !

— Quoi ?

Ça n’est pas très déférent, mais ça m’a échappé. Il débloque, le Vieux, ou quoi ? Vouloir que je rentre au moment où ça devient palpitant ! Non mais ! Et mes fesses ? Est-ce qu’on ôte la gamelle de soupe d’un chien affamé ? Est-ce qu’on arrache le bouquin policier d’un lecteur au moment où le détective va confondre le coupable !

Rentrer ! Et puis quoi encore…

— Vous m’avez entendu ? dit cette came… Je vous attends, j’ai une mission à vous confier à l’étranger…

Je sais qu’il a horreur des plaisanteries, et plus encore des objections ; quant aux protestations, il ne peut les supporter ; pourtant, je n’hésite pas à défendre mon os…

— Voyons, patron, je ne peux pas abandonner la partie en ce moment ! Vous devez bien comprendre que c’est devenu une affaire personnelle, non ?

— Je n’ai pas à m’occuper de vos affaires personnelles, pas plus que vous n’avez à vous occuper des miennes !

Ça, c’est du distillé.

— Très bien, je crache, quand dois-je être de retour ?

— Le plus tôt possible…

— Écoutez, j’ai emprunté une voiture que je dois rendre ; d’autre part, il faut que je récupère mes effets de voyage…

— Je vous attends demain soir, déclare le boss.

Il coupe la communication.

— Pourri ! je gueule dans l’appareil… Vendu ! Salope ! Juteux ! Peau de vache !

— Vous avez terminé ? demande d’une voix suave la standardiste…

— Non, je commence, fais-je…

Et puis brusquement je me souviens d’une chose que j’ai un peu trop tendance à oublier : à savoir que je suis au service de cette bonne vieille République Française et que je ne suis pas à mon compte. Mon temps, ma peau appartiennent à l’État… Les initiatives personnelles ne sont valables que dans le cadre des ordres reçus.

Je fais péter deux ou trois jurons. C’est la soupape de sûreté qui fonctionne…

Ensuite, je dégringole l’escadrin et je les mets en direction de la casa de Duboin.

— T’en fais une gueule !

C’est par ces mots que le géométrique Duboin m’accueille.

— Il y a de quoi ! je fais… Voilà que le patron me somme de rentrer ! Tu t’imagines ! C’est bien la première fois de ma gueuse de carrière que je décramponne avant d’être allé jusqu’au résultat final !