Выбрать главу

— Voir le directeur, je fais.

— Vous avez un rendez-vous ?

— Non…

Il a un braiement qui serait décourageant pour n’importe qui.

Il m’explique que le directeur est occupé, très occupé, toujours occupé ; occupé à vie ! Que pour le voir, il faut adresser une demande en trois exemplaires quinze ans à l’avance, et que si on peut avoir un mot de recommandation du président de la République et du ministre des Finances réunis, ça vaut mieux…

Je stoppe son exposé par l’exhibition de ma carte.

Il la regarde.

— Police ! bavoche-t-il, déjà en extase.

Moralement, il me fait le salut militaire avec son bras absent.

Trois minutes plus tard, le directeur me désigne un siège.

Il a une bonne bille, le directeur. Le siège aussi d’ailleurs.

Ils sont aussi rembourrés l’un que l’autre. Tous deux sont rouge sang, avec de gros bourrelets… Ils ne sont peut-être pas frères jumeaux, mais ils ont au moins dû avoir le même père…

— De quoi s’agit-il ? demande cet homme éminent.

Oui, c’est le mot qui convient. Il est éminent. Et il ne se méprise pas, l’éminent se grise, dirait Breffort… Peut-être l’a-t-il dit, dans le fond ?

Je lui pose des questions concernant la fabrication du papier monnaie.

Il m’explique que ce papier est fabriqué dans un local spécial ; que les ouvriers qui y pénètrent sont fouillés à la sortie… Qu’ils n’ont même pas le droit d’aller aux gogues avec les rognures… Dans cette fabrication, on doit tout retrouver, poids pour poids, comme dans les confitures de groseille. Qu’il y a en permanence des contrôleurs… Que ceci, que cela… Que bref, il est impossible ! Impossible, vous m’entendez, monsieur le Commissaire ? d’en distraire une once !

Je ne sais combien vaut une once, mais il parle avec tant de conviction que je finis par croire qu’en effet, aucune fuite ne peut se produire dans cette honorable maison.

Je m’empare du faux billet de cinq raides que j’ai prélevé hier dans la mallette. Je le lui tends en lui demandant de le passer illico à son laboratoire, afin de savoir si le papier qui le compose provient bien de chez lui.

Il lève le talbin comme un grumeur de picrate lève son verre.

— Certainement, fait-il… Il est pratiquement certain que nous ayons fabriqué ce papier… Nous allons en avoir confirmation.

Il le remet à sa secrétaire en lui disant de porter ça au service du labo.

— Pourquoi cette enquête ? me demande-t-il…

— Parce que, monsieur le Directeur, nous avons de bonnes raisons de penser que votre papier ne va pas intégralement à la Banque de France.

Il se lève, plus rouge que jamais…

— Monsieur ! lance-t-il, très Lagardère ira-t-a toi !

— Calmez-vous, je murmure. Votre honorabilité n’est pas le moins du monde en cause, monsieur le Directeur… Seulement, étant donné que de faux billets ont été imprimés sur du papier sorti de chez vous, je dois bien conclure, et vous avec moi, qu’il existe une fuite, non ?…

Il est abruti comme un bœuf qui serait remboursé.

— Oui, oui, oui…

— Bon…

Une minute passe.

— Voyons, fais-je, l’intégralité de votre fabrication est toujours parvenue à bon port ? Comment la transportez-vous ?

— Par camions plombés, dit-il… Avant, nous la transportions nous-mêmes, mais nous avons eu un accident, l’an dernier…

— Un accident ! Quelle sorte d’accident, cher monsieur ?

— Notre camion a percuté un arbre dans le Morvan et a pris feu. Le chauffeur et le convoyeur ont péri ; le véhicule a brûlé. Depuis cette date, nous faisons appel à une maison de Lyon spécialisée.

Je claque mes doigts…

— O.K., tout est au poil, je vois maintenant d’où provient le papier des faux billets…

Je réfléchis. Un fait évident s’impose à mon esprit. Pour que Compère ait été rancardé avec précision sur l’heure de passage du camion à La Grive, il était nécessaire qu’il eût une intelligence dans la place.

La secrétaire du diro revient avec le faux bif.

— Le laboratoire dit que le papier vient de chez nous, monsieur le Directeur…

Elle est blonde, pas belle, pas laide, neutre comme toute la Suède.

Lorsqu’elle est sortie, je fais au directeur :

— Dites-moi, lorsque vous effectuez un envoi de papier, comment les choses se passent-elles ?

Il réfléchit…

— Je convoque mon transporteur par téléphone…

— Vous lui dites l’heure de départ ?…

Non…

— Existe-t-il une heure de départ, en fait ?

— Oui, mais seuls les services de la Banque de France en sont informés, afin de pouvoir établir un cordon de sécurité sur la route. Tous les trente kilomètres, des gardes mobiles contrôlent discrètement le passage du camion… S’il a du retard, ce retard est signalé et une patrouille part immédiatement à sa rencontre.

— Très bien… Ces patrouilles se trouvent où ?

— Avant les centres. Ainsi, par exemple, il y en a trois d’ici Lyon : à Voiron, à Bourgoin, à Bron !

Je tressaille. Je pige maintenant pourquoi l’attentat devait avoir lieu à La Grive ; cette localité se trouve à quatre kilomètres de Bourgoin, par conséquent lorsque le camion l’a traversée, il venait de subir un contrôle… Il devait s’écouler une bonne demi-heure avant le prochain, c’était ça de gagné sur le facteur temps !

— Un chauffeur et un convoyeur ? je murmure…

— Oui…

— Ils étaient armés ?

— Le convoyeur avait une mitraillette…

Voilà pourquoi l’idée du chien dressé… Un chien n’incite pas à la méfiance… Seulement ça a raté, par un hasard miraculeux, le clebs a été scrafé sans que le détonateur ait été touché !

— Revenons à la question qui nous intéresse, monsieur le Directeur : celle de l’heure de départ… Qui est-ce qui la décide ? Vous ou les services de la Banque de France ?

— La Banque de France…

— Et comment vous en avertit-elle ?

— Par pli cacheté…

— Qui a connaissance de ce pli ? Je veux dire, à l’avance ?

— Moi seul…

— Vous êtes certain ?

— Absolument…

— Et que faites-vous de ce pli, vous le détruisez ?

— Grand Dieu non, ma secrétaire le classe dans un dossier spécial que j’enferme dans mon coffre.

Il va à son coffre et l’ouvre. Il me tend un dossier que je repousse doucement, sans l’ouvrir…

— Personne ne peut ouvrir ce coffre ?

— Je suis tranquille sur ce point ! affirme-t-il. C’est un Fichet spécial. Je suis le seul à en connaître la combinaison ; du reste, vous allez dire que je suis gamin…

(Tu parles, Charles, d’un gamin !)

— Vous allez dire que je suis gamin, poursuit mon interlocuteur, mais à chaque instant je modifie la combinaison… Tenez, hier, c’était Germaine… Aujourd’hui, c’est Marcelle…

Je regarde le diro. Il est écarlate. En voilà un qui doit aimer se faire rigoler la zize… Il a la lèvre gobeuse, l’œil humide, rien qu’en prononçant des noms de fillettes.

Je soupire.

— Eh bien ! merci de votre aide, monsieur le Directeur… J’espère que nous éclaircirons bien vite le mystère… Je vous demande de conserver sur ma visite le secret le plus total…

— Comptez sur moi !

— Par total, j’entends total, renchéris-je…

Je le bigle à fond dans les carreaux. Il en profite pour rougir encore. Si je ne me trisse pas, il va éclater.

Je me lève…

— Votre discrétion est d’autant plus essentielle que l’affaire est grave, dis-je. Il y a déjà cinq morts dans cette histoire… Et des millions de perte pour l’État…