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Je sors.

CHAPITRE XIV

Il fait décidément de plus en plus beau. Rien qu’à cause de ce soleil somptueux, Duboin aurait eu raison de me faire jouer le rôle du malade malgré lui.

En voilà un qui n’a pas froid aux châsses, hein ? Vous pigez ? Aller refiler de l’appendicite en bouteille à un copain pour lui faire prolonger ses vacances, faut être un drôle de dur. Y a que dans les bouquins qu’on voit ça ; et encore, dans les miens seulement. C’est ce qui fait monter mes tirages, sûrement !

Je respire un grand coup. C’est bon de s’introduire de la montagne dans les éponges. Cet air-là, on sortirait de Lariboisière pour le renifler, parole !

À pas nobles et lents de gladiateur vainqueur, je traverse l’immense cour de la papeterie.

Le portier manchot s’empresse à mon avance. Il a lissé sa moustache, ajusté la visière de sa casquette pour me revoir.

— Monsieur le Commissaire, murmure-t-il, faut que je vous dise : je suis un ancien gendarme.

Je réprime mon hilarité naissante et je lui affirme que je m’en doutais, car il a de beaux restes.

Une humidité naît dans son regard et ailleurs aussi sûrement.

— Vingt ans de gendarmerie, dit-il…

Il se met à se raconter. À ses débuts, il était dans le Jura. Il avait un chef qui sodomisait les petits pâtres : il le dénonça…

— Qu’auriez-vous fait à ma place ? demande-t-il, d’autant plus que je n’étais pas pédé.

— Ben voyons !

Ensuite, il me raconte son accident de motocyclette au cours duquel il a paumé son brandillon. On va s’orienter sur le cancer de l’utérus de sa bonne femme lorsque je l’interromps.

— Enfin, vous avez une existence méritoire, tout entière consacrée au pays, au devoir, et à ces vertus français qui sont le plus beau fleuron de notre race !

Des échos de Marseillaise lui titillent le tympan.

— Dites-moi, fais-je brusquement, où habite la secrétaire de votre vaillant directeur ?

— Au-dessus de la boulangerie Bichonet.

Je lui pose alors la main sur l’épaule :

— Je suis content de vous ! dis-je d’une voix très République Française.

Il se met au garde-à-vous pour me regarder partir.

« Bichonet successeur », c’est écrit en cursive romantique sur la vitre de la boulangerie.

À côté du magasin se trouve une porte cochère.

Je m’y engouffre. Deux ou trois boîtes à lettres décorent un mur lépreux.

Un escalier me sollicite. Je vais pour m’y engager lorsque je m’aperçois que je ne connais pas le nom de la donzelle.

Vous allez me prendre pour une drôle de buse à pédale, et pourtant c’est ainsi : j’ai oublié de me munir de ce renseignement indispensable.

Je sors et j’entre dans la boulangerie.

— Bonjour, madame, dis-je au tas de viande installé sur un tabouret derrière une table de marbre ; je suis un employé du recensement.

Mon interlocutrice lève sur moi des yeux de vache qui aurait trop regardé passer les trains, ce qui lui aurait amené une tenace conjonctivite. Une moustache robuste orne ses lèvres et une barbiche agrémente son menton.

— Ah ! dit-elle.

Elle est aussi indifférente qu’un paquet de nouilles.

— Vous êtes combien, dans cette maison ? demandais-je…

— Y a Auguste et Fernand, dit-elle…

Elle ajoute, modestement.

— Et puis y a moi.

Je ne lui demande pas qui sont les prénommés Auguste et Fernand.

— Et dans la maison, qui y a-t-il comme locataires ?

— Moi, Auguste et Fernand, fait-elle, moins modestement.

— D’accord, mais au-dessus ?

— Au-dessus, y a personne, notre logement est au deuxième…

— Bon, mais prenons par exemple le rez-de-chaussée…

— Au rez-de-chaussée, y a toujours moi, Auguste et Fernand, assure cette brillante représentante de l’espèce humaine. Vu que le rez-de-chaussée c’est la boulangerie, et que la boulangerie c’est moi, Auguste et Fernand…

Un instant je me demande si je ne vais pas lui enfoncer un pain d’une livre dans la gorge et l’autre dans le prose, histoire de la rendre étanche ; mais rappelez-vous, quoi qu’il arrive, que je suis un gentleman, et un gentleman sait se comporter en homme du monde.

Je serre mes doigts très fort pour réprimer la tentation de les nouer au cou de mon interlocutrice.

— Et au premier, je demande ?

— Au premier, fait-elle, y a M. Etienne, mais il est mort la semaine dernière… Et puis en face, poursuit-elle, y a mademoiselle Rose, la secrétaire du directeur de la papeterie…

J’esquisse un sourire grand format.

— Rose comment ? je demande.

— Rose Laberte.

— Merci infiniment, chère madame, je susurre… Je souhaite toujours trouver autour de moi la même compréhension…

Sur ces mots, je quitte la boulangerie.

Je respire une goulée de montagne avant de m’introduire dans la maison.

Au premier, je vois deux portes. Sur l’une, il y a une carte de visite portant le nom de « Rose Laberte ».

Mon Sésame m’en livre l’accès immédiatement.

J’entre et je referme soigneusement lourde à double tour, exactement comme elle l’était lorsque je suis arrivé.

En entrant, je ne peux réprimer un sifflement. L’appartement est tout ce qu’il y a de cossu. Et c’est du neuf. Du haut en bas, ça sent le tout nouveau. Les meubles sont luxueux, quoique un peu trop pompiers pour mon goût. L’appartement se compose d’une chambre, d’un petit salon-salle à manger et d’une cuisine. On se croirait dans une vitrine des Galeries Lafayette. Un poste radio-tourne-disques occupe un angle de la salle à manger. La cuisine se compose d’éléments modernes : cuisinière électrique, etc… Bref, la souris doit avoir des revenus, ou alors elle pieute avec un gonze qui les sème à la volée.

Je m’installe dans un fauteuil, confortablement, et je tends le bras pour amener à portée de ma main une cave à liqueurs confortablement garnie.

L’horloge sonne midi. La greluse ne va pas tarder.

Je verse une rasade de Cinzano qui renflouerait l’Île-de-France s’il était échoué. Dans le Cinzano je file un doigt de cassis et j’introduis le tout dans le trou que le bon Dieu m’a mis sous le nez à toutes fins utiles.

C’est épatant.

Un quart de plombe s’écoule, puis une demie… Je commence à tiquer, lorsque voilà que je perçois un bruit de pas dans l’escalier. Une clé dans la serrure. La môme Rose entre en trombe, referme la lourde à la volée…

Comme j’ai laissé la porte de la salle à manger ouverte, elle me voit du premier coup d’œil. Elle pousse un cri et fait marche arrière. Mais la porte est bouclée.

— N’ayez pas peur, ma ravissante petite jeune fille, je murmure…

Elle me reconnaît. Elle ouvre la bouche et, dans une expiration, murmure :

— La police…

D’où je conclus que, malgré sa promesse, le patron a parlé. Probable qu’il se la met au bout du chose, la Rose des vents, et qu’il ne la considère pas comme une tierce personne.

— Approchez, mon enfant, je susurre…

Elle entre dans la pièce.

— Violation de domicile, je continue, vous savez que je n’ai pas le droit d’entrer ainsi chez les gens… Le règlement est formel, et pourtant, le règlement je m’assois dessus, vous voyez…

Elle me regarde.

— Qu’est-ce que vous voulez ? demande-t-elle.

Combien de fois ai-je entendu cette question…

— Ce que je veux ?… Mon Dieu, pas grand-chose : parler un peu avec vous. Rien qu’à vous voir, j’ai compris que vous deviez avoir de la conversation.