« Asseyez-vous, faites comme chez vous… L’essentiel est d’être à son aise, de ne jamais se crisper…
Elle s’assied. Ses gestes sont ceux d’une somnambule.
— Que me voulez-vous ? insiste-t-elle…
— Oh, dites, amour, je fais, vous avez de la cire à cacheter dans les manettes, non ? Je vous l’ai dit, je veux parler… De quoi ?…
« De votre travail, par exemple, hein ? Qu’en dites-vous, c’est un sujet qui en vaut un autre…
Je lâche tout de go.
— Oh ! à propos de votre travail, vous savez que Compère est mort ?
Tout comme Trois-Sous, elle accuse vachement le coup.
Je la vois vaciller et se raccrocher au fauteuil.
Elle blêmit et ses yeux s’élargissent infiniment.
— Mort assassiné, je précise… Ah ! vous êtes tombée sur une drôle d’équipe, mon petit… Il y a à la tête de tout ça quelqu’un qui ne recule pas devant le définitif… de quelqu’un supprime comme à plaisir tous ceux qui, de près ou de loin, ont trempé dans cette sale affaire. J’ai idée que vous n’êtes pas en sécurité, ma belle… Pas du tout, du tout !
Elle a peur. Elle tremble…
— Vous feriez mieux de vous mettre à table. De la sorte, vous seriez arrêtée et garantie contre les balles de revolver que le quelqu’un dispense avec tant de largesse…
Elle pose sur moi un regard de chien battu.
— N’hésitez pas, fais-je. Je sais que c’est vous qui renseigniez Compère sur l’heure de départ du convoi de papier. Vous seule la connaissiez puisque vous aviez accès aux dossiers de votre directeur… Alors écoutez-moi. La seule chance que vous ayez de conserver la vie sauve, c’est de tout me dire, afin d’avoir droit à un petit séjour au cambron. Pendant ce temps, la bande sera anéantie. Si vous refusez de parler, je vous laisse à votre triste sort… Et c’est un triste sort que celui d’une jeune fille, destinée à recevoir un pruneau au milieu de son indéfrisable.
Elle hésite encore un instant.
Enfin, elle prend le parti qu’adoptent toujours les souris lorsqu’elles sont dans une situation embarrassante : elle éclate en sanglots…
Je laisse passer l’averse. Ça ne sert à rien d’arrêter un chagrin de femme. Surtout qu’il n’y en a jamais pour longtemps avec elles. La peine, C’est comme la fidélité, le temps de l’apprécier et elle a foutu le camp.
Deux ou trois petits hoquets et elle revient à la conversation.
— Ce n’est pas de ma faute, commence-t-elle… Je… Je ne pensais pas que ça puisse avoir des conséquences fâcheuses…
« Si j’ai accepté, c’est à cause de ma pauvre maman qui est infirme.
Décidément, elle manque d’imagination, la gosseline. La pauvre maman infirme, ça se faisait encore avant guerre ; mais faut être Jean Nohain pour déballer encore des pleurnicheries pareilles.
Elle m’explique qu’elle s’est laissé tenter, mais que…
Je la stoppe.
— Dites, mon cœur, et si on prenait tout au commencement, vous ne trouvez pas que ça faciliterait bigrement les explications, non ?
Elle opine.
— J’ai fait la connaissance de M. Compère cet hiver, dans une station de ski, commence-t-elle… Il était seul, moi aussi…
Bref, j’ai déjà pigé. Le Compère s’est farci la souris. Il lui a fait le coup de papa-maman amélioré pavillon chinois.
Et puis, lorsqu’elle a été mûre, il lui a dit qu’il y avait des ronds à gagner, moyennant un simple renseignement. Elle a tout d’abord refusé — prétend-elle, mais il lui a juré qu’il n’y avait aucun risque, qu’il ne s’agissait que d’une affaire de rivalité de firme… Il a commencé à les lâcher… Elle a donc accepté. La vieille mère infirme, quoi, avec, par-dessus le marché, un tourne-disques, une coiffeuse de glace, une chambre moderne et tout le bigne…
— Dites donc, vous n’avez jamais eu affaire qu’à Compère ?
— Oui, monsieur le commissaire…
— Jamais vu quelqu’un de la bande ?
— Jamais…
J’enrage. Au fond, tout ça ne m’a servi à rien. Ça n’est pas par cette garce que je remonterai à la source…
Et pourquoi pas, après tout ! Si je reprends le raisonnement que je lui ai servi tout à l’heure, je me dis que la femme en bleu voudra certainement supprimer un nouveau témoin gênant, en la personne de la secrétaire… Car, Compère étant l’amant de cette souris, elle ne sait pas, la grande meneuse, s’il ne lui a pas fait certaines confidences, sur l’oreiller… Les hommes sont tellement locdus !
Ma seule chance, pour l’heure, c’est de laisser la secrétaire en liberté. La petite Rose attirera l’abeille ; merde, v’là que je fais de la métaphore maintenant !
— Écoutez, je murmure… Puisque vous avez été réglo avec moi, je vais l’être avec vous… Je ne vous arrête pas et je passerai votre rôle sous silence.
Elle a un geste de reconnaissance, puis aussitôt, un autre d’effroi.
— Inutile d’avoir les chocottes, Rose, je veillerai sur vous.
Son regard est humide.
— Vous êtes bon, murmure-t-elle.
Je passe la main sur ses bas jusqu’à ce que je rencontre sa chaleur duveteuse.
— C’est mon point faible, je murmure… Je suis toujours trop bon avec les femmes.
CHAPITRE XV
Je vous l’ai déjà dit : la petite Laberte n’est pas chouïa chouïa.
C’est une fille, par contre, qui ne méprise pas l’homme et qui ne rechigne pas pour établir une navette entre notre vieille planète et le septième ciel.
Des trucs comme ceux qu’elle me fait, on n’en parle même pas dans la Bible.
La frousse lui donne une sorte de génie. Elle a besoin de s’extérioriser, cette chérie, aussi y va-t-elle de tout son petit cœur… J’en suis à me demander si je m’appelle San-Antonio ou si on est le lundi de Pâques…
Lorsque le grand soleil est terminé, elle est agitée d’un ou deux frissons, du type voluptueux renforcé pâmoison, puis elle me demande :
— Est-ce que vous aimez les pieds pannés ?
Le temps de réaliser, elle s’explique :
— Moi, je les adore, alors j’en avais acheté pour mon repas de midi… Vous allez faire dînette avec moi.
Vous le voyez, c’est le genre vraiment accommodant.
Tout en becquetant, je l’interviewe le mieux possible, dans l’espoir de lui arracher un tuyau intéressant, mais elle ne sait rien de rien. Inutile de se torturer la pensarde. Compère était généreux en pognon, pas en confidences… Il la voyait quelquefois, lui faisait une fleur, lui lâchait de l’osier, mais conservait la bouche cousue. Ça gazait d’autant mieux que la Rose des vents n’avait pas envie de connaître les dessous de cette affaire. Elle se disait, non sans raison, que moins elle en saurait, moins elle risquait d’avoir des emmerdements pour le cas où ça se gâterait. Vous voyez comme les gonzesses sont fortiches, hein ? Toujours à l’affût d’un cancan, d’un commérage, d’un ragot, et pourtant motus sur les grands trucs lorsqu’ils reniflent le brûlé pour leurs narines délicates.
Elle encaissait le pognozof gentiment ; pour le reste, c’était à la ferme qu’ils jouaient…
On se partage la poire de l’amitié lorsqu’une sonnerie retentit.
— Qu’est-ce que c’est ? je demande.
— Le téléphone, fait-elle.
— Le téléphone ! Tu as le téléphone, toi ? Je croyais qu’en province, c’était plutôt rare chez les particuliers…
— C’est mon patron qui me l’a fait placer, pour les cas où il avait besoin de moi.
Je la regarde. Elle a un peu rougi… Je comprends alors que le diro devait se la farcir à ses moments perdus… Il a fait placer le bignou pour l’avoir à sa disposition.