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— À charbon, dit Duboin.

— Quoi ?

— Je t’appelle à charbon, répète-t-il ; j’essayais de faire des astuces à ta mesure, mais t’es vraiment très bas…

Un nouveau silence lourd comme l’hérédité d’un hydrocéphale !

— C’est sérieux ? questionne Duboin.

Ça l’est, bonhomme, je suis vidé… Je rentre, tu m’enverras mes bagages par le prochain train, et tu épingleras ma note après un de mes calbards, je t’enverrai un chèque.

— Ton chèque, tu peux te le coller où tu penses, grince-t-il.

— Je ne pense plus…

— C’est vrai ! Chez toi c’est congénital.

— Trêve de plaisanteries, coupé-je.

— C’est ça… Trêve de plaisanteries… Écoute, San-Antonio ! Tu ne vas pas me faire croire que des gars auront jalonné ta route de cadavres, t’auront balancé une grenade sur le coin de la gueule, t’auront fait sauter ta bagnole, et que tu les laisseras glaner, non ? Alors, monsieur met ses pognes dans ses fouilles et se désintéresse de la question ? Monsieur mobilise ses potes et les moule comme une paire de chaussettes trouées, hein ?

« Bon Dieu, je veux te l’entendre dire, le faire enregistrer et je mettrai le disque à mes clients, sur le pick-up du dimanche, entre une java et une valse anglaise, histoire de les faire marrer.

Il s’époumone. Je le devine, congestionné, les yeux sortant de leurs orbites (de cheval, dirait Duboin dans un bon jour).

— Monsieur me fait sauter mes meilleurs clients à la dynamite ! réattaque-t-il. Il me laisse sans bagnole, plusieurs jours durant. Il me rend ma brave jeep avec la bobine fusillée…

— Qu’est-ce que tu racontes !

— La vérité, mon président ! Toute la vérité, je lève la main droite, pas pour jurer, mais pour te la foutre sur la gueule, hé, flic à l’eau de bidet ! Morte, qu’elle était, la bobine… Je fous César dans le bain pour qu’il te fasse un morceau d’enquête à l’œil, et tout et tout ! Et tu pars !

— Je pars…

— Dire que j’ai appelé ce machin-là mon ami ! brame-t-il… Non, on les verra toutes « Tu veux que je te dise, tu n’es qu’un sale dégonflé. Où que tu te l’es faite, ta réputation ? Hein, dans les romans du Fleuve Noir, mon lapin… En réalité, c’est du vent, M. San-Antonio… Tes galons de commissaire, tu les as eus dans l’alcôve d’un préfet de police, dis ?

Je serre si fort mes poings que ça craque. S’il me disait ça face à face, Duboin, tout copain qu’il est, je lui ferais manger son râtelier !

Il poursuit…

— Un homme digne de ce nom n’a pas le droit d’abandonner une enquête pareille. Alors quoi, c’est le triomphe du vice, du crime ?

— Voilà que tu fais dans le tricolore, je ricane, tu te crois encore journaliste, non ?

— Ta hure ! je parle…

— Tu parles comme tu écrivais, marchand de salades ! Bouffeur de pintade mal cuisinée !

— Tu dis mal cuisinée ?

— Je le dis, et je vais te dire (autre chose encore, espèce de lavement attardé, tes boniments ne me feront pas fléchir. Je pars, c’est dit, et on n’y revient plus. Pour ce qui est de l’enquête, la police lyonnaise s’en occupe, Dieu merci, je ne suis pas le seul flic de France…

— La police lyonnaise, déclare Duboin, je l’ai pratiquée pendant vingt ans, alors passe la main, je t’en prie… Des mecs qui ne sont même pas capables de trouver où leurs bonnes femmes ont passé la journée, et qui mettent une annonce dans le journal lorsque leur chien a été volé…

— C’est tout ? je demande…

À mon ton, il comprend que je suis déterminé.

Il me dit encore que je suis un adepte de la sodomie, mais il me le dit plus brutalement et avec un sens du raccourci qui honore son vocabulaire. Puis il raccroche et retourne bouffer sa pintade. Je suis triste comme un chien castré qui assiste à une partouze.

C’est dur de décevoir un bon pote.

CHAPITRE XVI

— Le prochain car pour Grenoble est à huit heures, ce soir, me dit l’employé.

« Vous avez un train pour Paris, départ de Grenoble, vers six heures…

Je remercie et je commence à traînasser dans le patelin pour user les quelques heures qui me restent à y passer. Au fond, j’aurais eu le temps d’aller ramasser mes bagages chez Duboin ; seulement ça aurait compliqué les choses car, dans l’état d’esprit où il se trouve, on aurait pu redouter le pire.

C’est idiot, deux amis comme nous, lorsqu’ils en arrivent à la châtaigne pour faire prévaloir leur point de vue.

Ma tristesse se développe rapidos.

Le cafard qui remue dans mon bocal grossit à une allure record, comme un nourrisson élevé au lait Machin.

S’il y avait un ciné dans ce bled, je m’y précipiterais, même si on y passait un film moldo-valoque en version originale ; seulement ce coin, c’est le désert de Gobi en moins animé !

Heureusement, dans toute la France, on trouve des troquets.

J’installe mes assises dans l’un de ceux qui abreuvent Pont de Claix et je demande à la patronne de m’apporter une bouteille de rhum blanc.

Une fois en tête à tête avec le flacon, je sens que mon baromètre intime à tendance à se tourner vers le beau temps.

Au quatrième godet, l’optimisme rejoint sa base.

Je bouquine le Chasseur Français qui traînait sur mon guéridon ; puis un vieux numéro de Match, et enfin le bulletin paroissial.

Il faut bien forger son intellect, non ?

Il est six heures, lorsque je repense à la môme Laberte, celle qui fait roussir la paille des chaises quand elle s’assied.

Voilà une greluse à qui j’aimerais accorder un dernier regard avant de me faire la valoche. le cigle l’orgie à la bistrote et je les mets en direction de la papeterie.

Les ouvriers en sortent, lorsque je parviens à proximité. De loin, j’aperçois le tailleur de tweed de ma vamp. Elle bigle à droite et à gauche, me cherchant des yeux, mais elle ne peut m’apercevoir, car je suis embusqué derrière une palissade.

Enfin, elle se dirige, non vers le centre du patelin, mais en direction de l’extérieur.

Je lui file le train.

Elle quitte bientôt la grande route pour s’engager dans un chemin propret au bord duquel sont bâties quelques villas récentes. Probable que Baulois, le diro, pioge dans ce coin.

C’est tranquille. Pas un miron à l’horizon… Je continue de suivre la fille.

Tous les dix pas, je m’embusque derrière un poteau, afin de lui laisser prendre de l’avance.

Le chemin est en pente raide. Il n’y a pas de trottoir et la souris marche au milieu.

Soudain, une voiture qui se tient rangée un peu en avant de moi se met à dévaler la rampe, moteur coupé, silencieuse comme une ombre. La môme Rose ne l’entend pas venir. Elle ne peut pas savoir que la guindé lui fonce dessus. Lorsqu’elle percevra le petit miaulement des pneus sur le goudron et qu’elle se retournera, il sera trop tard, la guindé l’aura écrasée.

D’autant que dans les parages, une scie à moteur fait un boucan terrible… Si je crie, elle ne m’entendra pas… Tout se déroule à une allure vertigineuse… Je sors mon pétard avant même de comprendre pourquoi j’agis ainsi… Je tire deux fois en l’air. Rose sursaute, se retourne. Elle voit la voiture qui ne se trouve qu’à deux ou trois mètres d’elle. Elle bondit de côté. Le conducteur de la guindé fait un crochet pour essayer de la cueillir, mais il était déjà trop près, tout ce qu’il réussit à faire c’est de la bousculer avec son aile. Le choc ne doit pas être terrible, car elle reste debout…

Comprenant que c’est scié, le chauffeur relâche son embrayage, le moteur mugit, la voiture bondit… Un coup d’accélérateur et il s’éloigne à toute allure.