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Ils trouvent ça trop louche. Ils estiment que j’ai trop de bagouse ! Un vase pareil, il faut le reconnaître, ça frise l’incroyable.

Le brigadier me le dit en termes savants, aggravés par un subjonctif approximatif. Comme il ne connaît que son devoir et sa table de multiplication par 5, il décide de m’emmener à la gendarmerie.

Dans un sens, je préfère ça. Parce que des badauds, vous avez beau grimper à deux mille mètres, dès qu’il y a du pet, il en rapplique de tous les côtés. Moi, j’ai horreur de servir de point de mire. La nombreuse assistance, ça réconforte peut-être le locdu qui traverse les chutes du Niagara sur un fil, mais moi j’en ai classe.

Donc on s’annonce à la maison poulmann du terroir. Y a des affiches sur les murs peints à la chaux, des tables de bois bancales et d’autres gendarmes plus réussis encore que les premiers. On se croirait dans les coulisses des Folies Bergère !

Comme ils me cherchent du suif, je me mets à faire un drôle de rebecca dans le pays.

Je leur dis qu’à Paris je suis le gros crack de la police. Que rien que mon nom incite au garde-à-vous et que s’ils ne me prêtent pas leur concours, au lieu de jouer aux gros bras, ça va barder pour leur pétoulet.

Je braille tellement fort que l’adjudant rapplique. Je lui montre mes papiers et lui dis, pour éviter le côté feuilleton de mon histoire, que j’ai été victime d’un attentat et qu’au lieu de se mettre à ma disposition, ses boy-scouts veulent me fourrer en pistole.

Il doit être dans un bon jour, ou alors sa femme lui fait prendre du phosphore, toujours est-il qu’il pige et prend immédiatement mes patins.

— Très bien, monsieur le commissaire, que voulez-vous faire ?

Voilà un langage qui me réconforte davantage qu’une pastille de menthe Ricqlès.

— Je voudrais téléphoner à Paris, dis-je.

— Très bien, consent-il simplement, auparavant, je dois alerter la Mobile de Grenoble.

Je le laisse faire. Ensuite, je sonne Paris.

Je crois vous avoir déjà dit par ailleurs qu’avec le Vieux, ce qu’il y a de bien, c’est qu’il ne démarre pas de son burlingue. Quelle que soit l’heure à laquelle vous le sonnez, il est toujours au bout du fil.

— Bonjour, San-Antonio, murmure-t-il de sa voix cérémonieuse.

— Salut, patron.

— Vous passez de bonnes vacances ?

Je ne sais pas si c’est une idée, mais il y a quelque chose de narquois dans sa voix. Lui, il méprise les vacances. Il n’en a jamais pris depuis qu’il est la tête des Services. Et il doit jubiler en constatant que c’est moi qui l’appelle.

— Charmantes vacances, je murmure.

Et je lui explique tout, depuis l’histoire du chien agonisant sur la route jusqu’au badaboum de tout à l’heure.

Une autre caractéristique du Vieux, c’est de ne jamais dévoiler ses sentiments.

— Très curieux, murmure-t-il.

— Vous l’avez dit, résumé-je.

— Ce collier contenait un explosif puissant, poursuit-il, parlant davantage à lui-même qu’à moi. C’était une bombe et la petite antenne servait de détonateur. Sans doute la jeune fille dont vous me parlez l’a-t-elle actionnée ?

Il y a un silence.

— Avez-vous lu Kaputt ? demande-t-il brusquement.

C’est vraiment la dernière question à laquelle je m’attends, et c’est un tort, parce que, avec lui, il faut s’attendre à tout !

— De Malaparte ?

— C’est ça : de Malaparte !

— Oui, mais il y a longtemps.

— Souvenez-vous ! Dans Kaputt, Malaparte raconte que lors de la dernière campagne de Russie, les Soviets avaient dressé des chiens à faire sauter les panzers allemands. Pour cela, ils leur avaient appris à aller chercher de la nourriture sous ces engins. Lorsque les blindés boches arrivaient, ils lâchaient les chiens affamés sur eux. Or ces pauvres bêtes portaient une charge d’explosif autour du cou, et une antenne servait de détonateur…

— C’est juste, oui ! Et vous croyez que ce chien serait venu de Russie ? je gouaille.

J’oublie toujours que le Vieux a une sainte horreur des plaisanteries.

— Certainement pas, mais cela aurait pu donner une idée à quelqu’un… Où l’avez-vous trouvée, cette bête ?

— À la sortie d’un bled qui s’appelle La Grive, sur la route Lyon-Grenoble.

— Vous ne pensez pas, commence-t-il…

— Si, fais-je, il faut aller enquêter là-bas… Seulement, je vais avoir les mecs de la Mobile sur le dos, vous ne pourriez pas arranger ça ?

— Je téléphone immédiatement à Grenoble, vous aurez les mains libres…

— Parfait. Je vous tiendrai au courant…

— J’y compte, répond-il dignement en raccrochant.

Je pose l’écouteur antédiluvien sur son crochet et je me tourne vers l’adjudant.

— Voilà, dis-je, maintenant il ne me reste plus qu’à trouver une voiture.

Duboin, mon pote qui tient l’hostellerie, est un ancien journaliste qui s’est tourné vers la limonade parce qu’il l’estimait plus pétillante.

Un phénomène : ancien prix d’orgues au Conservatoire de Lyon, ancien officier durant la dernière, il tripote à tout et chope la vie comme elle vient, sans prendre la peine d’enfiler des gants.

Il a été un des premiers Français à mettre les pieds outre-Rhin. Avec lui, c’était le grand frisson pour nos petits copains de la Croix Gammée. Lorsqu’il entrait quelque part, il brossait les femmes et passait les bonshommes par les fenêtres : sans ouvrir ces dernières, pour que ce soit plus marrant, et sans s’occuper non plus de l’étage.

Donc un mec qui n’est pas du genre foireux.

Une heure après ce pastaga, je débarque à sa boîte à bouffetance. Lui, il est en train de taper la belote avec le prof de français.

Il est sur le point de lui gagner sa limace lorsque je m’annonce.

— Tu as une seconde ? je demande…

Il lance ses brèmes sur le tapis et me suit dans un coin de la salle.

— Figure-toi, attaqué-je…

— Je sais, tranche-t-il, tu viens de me faire perdre deux bons clients.

Son calme m’en met plein les carreaux.

— Comment le sais-tu déjà ?

— Mon petit doigt et le facteur conjugués m’ont affranchi… Remarque, enchaîne Duboin, je perds deux clients, mais ça va m’en amener un tas d’autres. Les hommes, c’est comme les mouches : la charogne les attire… J’ai déjà téléphoné à mes fournisseurs pour leur dire de doubler mes livraisons…

Il me regarde. Il est carré, avec quelque chose de puissant, de débonnaire et de rusé dans toute sa personne.

— Dis donc, murmure-t-il… C’étaient des truands, le Vieux et sa souris ?

— Non, non, fais-je.

— Alors quoi ! Tu fais du transport en artifices ?

Je lui déballe l’historiette du clébard.

— Quel dommage que je ne sois plus dans le fait divers, murmure-t-il. Un truc pareil, ça me faisait trois « cols » à la une !

— Ça les fera même sans ça, affirmai-je. Seulement je t’en prie : bouche cousue, hein, mon trésor ?

— Un tombeau est plus bavard que moi, puisqu’il a quelque chose écrit dessus, assure Duboin. Tu as une idée de ce qui s’est produit ? Un chien chargé d’explosif en plein Dauphiné, c’est peu commun. Surtout s’il vadrouille sur les routes. Dis donc, il a eu du pot, l’automobiliste qui l’a écrasé, tu ne crois pas ?

— Nature !

— Et un autre mec qui, lui, a eu du super-pot, c’est le gars San-Antonio, mes aïeux ! Il n’y a qu’à toi que ça arrive des trucs de ce genre… C’est vrai, il n’y a qu’à toi.

— C’est pas le tout, mon gros père, je tranche brusquement. Il faut que je trouve une calèche en vitesse. J’ai envie d’aller à La Grive d’urgence. La Grive, c’est le nom du patelin où j’ai trouvé le Médor détonant.