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Décidément, cette souris était vouée au bleu.

Maintenant qu’elle est clamsée, je me sens un peu moins en renaud après elle, because faut avoir du fiel plein le gésier pour chercher des crosses à un macchabée, même si ledit macchabée vous en a fait roter sur le chapitre de la vanité professionnelle.

Je sais bien que j’ai fini par l’avoir, mais avouez que ça a été laborieux. Un bizarre cheminement à travers cette magnifique région.

Je vous jure : je m’en souviendrai, de ces vacances-là. La prochaine fois, je les passerai à Saint-Nom-la-Bretèche, tout culment… Et si jamais je vois un clébard à l’agonie sur mon chemin, je ferai une grande enjambée pour ne pas lui marcher dessus.

Toute cette amertume remâchée, toutes ces bonnes résolutions prises, je reviens au présent.

Chassez le naturel, il revient à tout berzingue.

Je décroche le téléphone.

— Ici police, je dis à la souris du standard. Il y a un instant, quelqu’un téléphonait ici : pouvez-vous me dire d’où venait l’appel ?

Elle me dit d’attendre un instant. Il ne lui faut pas longtemps.

— Ça n’était pas un appel, mais une demande, dit-elle.

Notez que je préfère ça. De toute évidence, lorsque je suis arrivé, la femme en bleu téléphonait à son complice pour connaître les raisons de son échec. Cela prouve également que l’écraseur ne perche pas loin, puisqu’il était de retour une demi-heure après son attentat.

— Quel numéro était demandé ? fais-je à la Pététeuse.

— Le 256 à Grenoble.

— Ça correspond à quoi ?

— Une seconde…

Je tambourine sur l’écouteur. Par la croisée, je vois arriver une voiture. Elle stoppe devant la porte. Deux mecs en descendent. Ces gars-là, ils iraient dans un bal masqué déguisés en policiers, ils ne se fringueraient pas autrement.

— Allô, dit la grognace…

— J’écoute !

— Le 256 est le numéro de l’imprimerie Steine, rue Gustave-Livat.

— Merci…

Je crois que je brûle… Une imprimerie !

On frappe à la porte.

Avant que j’aie dit d’entrer, mes deux confrères tournent le loquet.

— Vous arrivez un peu tard, je leur dis en guise de salut.

La rue Gustave-Livat est une petite artère silencieuse de la banlieue grenobloise.

L’imprimerie est située au fond d’une espèce d’impasse.

On grimpe deux marches, et on se trouve en face d’une porte de fer, munie de vitres en verre dépoli.

Une sonnette enfouie dans de la poussière avec, écrit dessous : sonnette de nuit.

Comme chez un toubib ou un pharmago !

J’essaie de tourner le loquet, mais il résiste, because la lourde est bouclée. J’appuie alors sur la sonnette.

J’entends un tintement lointain, dans les profondeurs du local.

Un long moment s’écoule. Je remets ça…

Alors une minuscule fenêtre que je n’avais pas remarquée s’ouvre au premier étage. Un homme passe la tête et demande ce que je veux.

D’un ton confidentiel, je chuchote :

— Ouvrez vite, je viens de la part de madame Baulois.

C’est magique. Il me dit d’attendre une seconde.

Et, en effet, il ne met guère plus d’une seconde pour descendre m’ouvrir.

Le gars qui se tient devant moi est un homme entre deux âges, petit, trapu, au regard méfiant, à la gueule de bon Judas de patronage.

— Qui êtes-vous ? demande-t-il brusquement.

— J’ai deux mots à vous dire, murmuré-je, en le poussant à l’intérieur.

— Mais… proteste-t-il, en voilà des façons…

Je lui mets un bourre-pif.

— Celles-ci te plaisent-elles mieux, tordu ?

Il me regarde d’un air éperdu.

— Qui êtes-vous, répète-t-il.

— Police !

Il fait plutôt une sale gueule, l’imprimeur.

— Vous êtes le dernier représentant de cette honorable association de malfaiteurs qui se substituait depuis quelque temps au Trésor de la France.

« Cette brave madame Baulois n’est plus, mon cher. Elle s’est fait justice, comme on dit dans les journaux…

Il me dévisage pour essayer de voir si je mens. Mais non. Ma gueule est suffisamment éloquente. Alors il baisse la tête et pousse un étrange soupir.

Je regarde autour de moi. Tout est couvert de poussière. Tout croule sous le papier perdu… Ça sent l’abandon. De toute évidence, cette imprimerie désaffectée n’a été achetée que pour les besoins d’une cause que je connais fort bien.

— Alors, c’est ici qu’on fabrique les faux talbins, je murmure. D’où vient, en ce cas, que vous charriez le papier à Lyon ?

— Cherchez, et vous trouverez, dit l’homme.

— Pas besoin de chercher longtemps, coupé-je. Je commence à tout piger, mon amour. Compère et le métèque voulaient opérer à leur compte, hein ? Ils avaient planqué du papelard pour eux. Ils bichaient les chocottes à cause de la souris bleue qui se prenait de plus en plus pour Jeanne d’Arc et Al Capone réunis !

« L’attentat de La Grive, c’est le métèque qui l’a fait rater.

« J’y ai pensé en découvrant sa carcasse. Il avait bricolé le détonateur, afin que celui-ci ne fonctionne plus. C’est pourquoi j’ai pu le tripoter sans qu’il ne m’arrive rien. Seulement la fille qui a fait exploser l’engin a dû avoir le petit geste de trop qui suffisait pour le badaboum.

« Hier, vous étiez tous à Lyon. Mon intrusion dans la cave secrète a jeté la panique. Trois-Sous m’a signalé. Vous êtes allés voir dans le sous-sol. D’ordinaire, vous y entreposiez les billets avant leur diffusion. Seulement vous avez découvert le rouleau de papier. Ce papier planqué par Compère. Vous avez réglé son compte à l’exportateur. D’autant plus que vous aviez eu ce même jour la preuve de sa trahison en apprenant qu’il avait fait une déclaration de vol relativement à sa DS. Ça ne lui plaisait qu’à demi que la môme Baulois l’utilise pour ses opérations de gangstérisme. Comme ça, en cas de coup dur, il était paré.

« Et voilà, mon brave écraseur, voilà le tout dernier acte… Maintenant, il ne vous reste plus qu’à régler votre petite addition.

Je m’avance pour lui cloquer la pogne au colbak, mais j’éprouve l’une des plus grosses émotions de ma vie. Ce petit bout de zig fait une espèce de saut de carpe. Il me plonge dans le poitrail.

Une charge de béliers serait moins violente. J’en ai le souffle littéralement coupé.

Faut avouer aussi que ce mouvement a été presque instantané.

Et puis, ce réflexe-là ne correspond pas avec le physique de mon imprimeur à la noix. Pour une botte secrète, c’est une botte secrète, et pas une botte de poireaux, comme ne dirait pas Breffort, qui a sa dignité.

Je fais un valdingue à travers l’imprimerie. Mon dos heurte violemment une tireuse à plat. Je me mets à plat aussi. Il me semble qu’un régiment de cavalerie polonais défile à travers ma carcasse.

Bien chaud, bien parisien, comme sensation.

Je sens que le monde se dérobe. Un nuage pourpre emplit mon cerveau.

Avant que je puisse récupérer, il me shoote en pleine poire, avec une sauvagerie extraordinaire…

Je défaille, je lâche la rampe… Tout vacille, tout s’illumine à fond pour le feu d’artifice final. Je me suis laissé avoir à froid, de la façon la plus simple du monde.

Et maintenant, c’est fini. Mes muscles sont en tissu éponge, mes nerfs sont morts, mon cerveau est en plein court-circuit…

Comme à travers un rêve, je vois ce fumier porter la main à sa poche. Il sort quelque chose. Il me reste juste assez de lucidité pour comprendre que c’est un revolver. Il fait sauter le cran de sûreté et amène une balle dans le canon. Il l’avance dans ma direction. Je vois son doigt bouger sur la gâchette.