Выбрать главу

Tout en gambergeant à ça, je me pointe devant la carrée du Dédé. Plutôt minable comme gentilhommière. Il y a des trous dans le toit, sans doute afin de faciliter l’accès des lieux au père Noël, la porte tient grâce au précieux concours de boîtes à sardines, et les carreaux des fenêtres travaillent en collaboration avec des bouts de carton.

Visiblement, Dédé ne roule pas sur l’or.

Je frappe. En attendant que l’hôte abandonne Morphée, je jette un coup d’œil au cadran de ma montre. Il annonce trois heures moins des broquilles.

C’est pas tellement protocolaire comme heure de visite. À partir de demain, mon passage dans le bled sera commenté en large et en hauteur, il ira rejoindre dans les récits d’hiver la légende du loup garou…

Dédé a un sommeil de plomb, car il ne répond pas vite.

La maison étant isolée, je gueule à plein chapeau :

— Oh, Dédé !

Et je ponctue mon appel de coups de tartines dans la porte.

Au bout d’un quart d’heure de ce régime, juste comme je m’apprête à abandonner la partie, je perçois un bâillement. On grogne à l’intérieur du bungalow ; on s’étire, on éructe…

— Oh, Dédé !

Un bruit de pas. Des bruits d’allumettes frottées qui ne doivent pas partir.

— Merde ! dit une voix avinée.

Le Dédé était schlass, d’où son sommeil hermétique. Renonçant à faire jaillir la lumière, il arrive à tâtons à la porte et tire le verrou. Moi j’ai préparé ma torche électrique. Au moment où il tire le vantail, je lui administre un faisceau cruel sur la bouille.

J’ai aussitôt, dans tous ses détails, une tête hirsute, bouffie, des yeux de hibou dérangé en plein jour…

— Salut, Dédé, je déclare gentiment.

Je le repousse à l’intérieur, je ferme la porte et j’inspecte la pièce. Dédé a simplifié le problème de l’ameublement à l’extrême. Dans son genre, c’est un type d’avant-garde. Au milieu de la pièce, il y a un grand pétrin de pur style Charles X. La nuit, il enlève le couvercle et le pétrin lui sert de lit, car il est plein de paille. Le jour, il remet le couvercle et cela lui offre une table. Lorsqu’il sera clamsé, on n’aura plus qu’à scier les pieds pour obtenir un cercueil de première classe.

Sur une étagère, j’aperçois une lampe à pétrole. À terre une boîte d’allumettes avec des allumettes non utilisées éparpillées tout autour.

— Dites, Dédé, si vous allumiez cette lampe, on pourrait se regarder ? je suggère…

— Les allumettes sont pas bonnes, dit-il, de sa voix épaisse comme du gros rouge de voyou.

— Parce que vous ne savez pas de quel côté il faut les frotter, vous allez voir.

Je vais allumer la lampe. Je règle la mèche fumeuse et je glisse ma torche électrique dans ma poche.

J’éclate alors d’un rire homérique : Dédé n’a pour tout vêtement qu’une chemise rapiécée et il est tellement paumé qu’il ne s’aperçoit pas qu’il a les joyeuses à l’air libre.

Il me regarde exactement comme si j’étais la réincarnation du capitaine Mandrin.

— Bonjour, murmure-t-il gentiment.

Je suis touché.

— Tu devrais enfiler ton pantalon, Dédé.

Il constate alors sa semi-nudité et s’affaire pour emménager son petit matériel humain dans le falzard de velours posé sur une chaire.

— Faut pas te frapper, mon grand, je continue. Je voulais simplement te demander quelque chose…

— Quoi ? croasse-t-il.

— Le chien blanc de l’autre jour, tu sais ? Celui qui était ratatiné sur le bord de la route, qu’en as-tu fait ?

— Ah, vous aussi, murmure-t-il.

Je sursaute.

— Comment, moi aussi ?

Il se frotte les yeux, fait à vide un exercice de mastication pour essayer de vaincre sa gueule de bois.

— Hein ? demande Dédé.

— Pourquoi as-tu dit : moi aussi ?

Il se frotte les yeux une nouvelle fois. Il semble renaître à la vie, s’échapper d’un univers brumeux.

Et alors, c’est à son tour de sursauter. Il vient de récupérer, de réaliser combien ma présence à cette heure de la nuit est insolite.

— Qu’est-ce que vous me voulez ? grogne-t-il.

— Le chien…

— J’ai pas de chien…

Il a peur. Autour de ses yeux naissent mille petites rides.

Pourquoi cette brusque frousse ?

— Je ne dis pas que tu aies un chien, camarade, je veux parler du clebs blanc que tu as ramassé sur la route l’autre jour. Et je te demande où tu l’as mis…

Il danse d’un pied sur l’autre.

— Joue pas à l’ours Martin, réponds plutôt à ma question. Où est la carcasse de ce chien ?

Dédé fait une chose imprévisible et qui me déconcerte : il pleure.

Oui, il pleure, comme un petit môme, à gros sanglots, avec des hoquets, des reniflements, des coups de langue à droite et à gauche pour boire ses larmes et gober sa morve.

J’en suis retourné comme une voiture de course un jour de verglas.

Je pose ma main sur son épaule.

— Eh bien, eh bien, mon petit père, qu’est-ce qui t’arrive, je chantonne. Qu’est-ce que c’est que ce gros chagrin ?

— C’est pas moi, larmoie Dédé, non, non, c’est pas moi qui ai pris son collier !

CHAPITRE IV

Après avoir entendu ça, on peut se croire tout permis. Hein, les gars ?

Avouez que le petit San-Antonio a le nez creux. C’était crétin, à première vue, de rechercher ce cadavre de clébard, et pourtant, sans que je puisse encore dire pourquoi, c’était efficace.

J’attends que Dédé ait fini de chialer. Ses larmes sont en partie dues au vin rouge qu’il a entonné la veille. Les chagrins d’ivrogne sont les plus sincères et les plus courts. Il ne tarde pas à retrouver son équilibre. Il est complètement dessaoulé et son regard a changé d’expression. Maintenant, je n’ai plus devant moi un gars flottant sur les ondes bouillantes du picrate, mais un paysan vaguement demeuré qui retrouve la ruse héréditaire de ses nabus.

Il est bouche close, le regard fuyant.

— Bon. Dédé, tu m’as l’air lucide, est-ce que tu sais lire ?

Il fait un signe d’acquiescement.

J’extrais ma carte de flic.

— Mords la came, mon gars. Tu vois, là, en gros caractères, ça veut dire police.

Police !

C’est le fin du fin pour les péquenots. Ils ont le rectum flétri comme de la salade d’automne lorsqu’on prononce ce mot-là devant eux.

Lui n’échappe pas à la grande règle. Il a les chocottes et tremble comme un tamis.

— Maintenant, je vais te résumer la situation, Dédé : ou bien tu me dis tout ce que tu sais au sujet du chien mort, et je sais que tu sais des choses : j’ai mes renseignements ! Ou bien tu la fermes et alors, fais-je en sortant mon revolver, si tu la fermes, il t’arrivera sûrement des ennuis. Lesquels ? C’est difficile à préciser à l’avance… Tu me comprends ?

Il murmure :

— J’ai rien fait, j’ai rien fait…

— Je sais que tu n’as rien fait. Là n’est pas la question. Simplement tu sais des choses que tu vas me raconter incessamment et peut être avant, vu ?

— Je sais rien, m’sieur le policier, rien de rien !

— Ah, là, Dédé, tu n’es pas gentil… Ce sont des réponses aussi idiotes qui motivent certains accidents… regrettables.

« Parle…

Il secoue la tête.

— Je sais rien.

Il est obstiné, buté… Moi, les mecs butés me foutent en rogne. J’ai envie de leur défoncer le portrait.