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J’emprunte l’étroit sentier qui va à la maison. Tout est silencieux.

La porte est fermée et les fenêtres aussi.

Je contourne la crèche. Derrière, il y a un jardin potager où les ronces et les orties s’en donnent à cœur joie. Au milieu de ce jardin se dresse la silhouette grotesque d’un épouvantail. Ses manches bourrées de paille s’agitent doucement dans la brise.

Je reviens à la porte et je, frappe. C’est vraiment une mesure pour rien, car cette boîte sent le vide.

Je tourne le loquet et il obéit comme une enfant de Marie au curé de son village.

Je me trouve dans une grande pièce qui doit être une cuisine. Elle est meublée en vrai rustique. Il est évident que cette construction a été louée toute meublée. Il est re-évident que ceux qui en ont pris possession se foutaient du confort comme de leur première sucette au caramel. Ils avaient besoin d’un petit truc isolé pour mijoter quelque chose de louche. Et en fait de bled isolé, faites un peu confiance, celui-là l’est !

Si un jour vous voulez embarquer Greta Garbo, la Divine, vous n’aurez qu’à l’amener ici. Elle n’aura pas besoin de se mettre du verre fumé sur le museau pour se faire repérer par les photographes.

Ici, c’est le grand motus. Comme qui dirait le no man’s land entre la vie et la mort. C’est à peu près propre à l’intérieur.

Je passe dans une autre pièce ; c’est une chambre. Une chambre de bled dans le genre de celle où j’ai pieuté. Le lit est haut comme l’obélisque de la Concorde. J’avise une garde-robe. Dedans, il n’y a que des cintres… Dans les deux autres chambres, c’est du pareil, avec la différence cependant que les lits ne sont pas faits. Les matelas sont roulés sur les sommiers et simplement recouverts d’un drap.

Je reviens à la cuisine. Au-dessus de l’évier il y a une étagère. Je regarde ce qu’elle supporte ; je découvre un tube de pâte dentifrice presque épuisé, un crayon à sourcils et un flacon vide de « Sous le vent » de Guerlain, format sac. Ces futilités me prouvent qu’une bonne femme créchait icigo et que cette gnère n’était pas une mère Michu !

Dans le bahut, je trouve des boîtes de conserve et de lait. Du nescafé. Bref, de ces choses qu’on emporte en pique-nique, ou bien qu’utilisent les gens ne voulant pas se mettre en cuisine.

La fille en bleu et son métèque venaient ici soit pour s’y cacher soit pour y préparer un sale coup, et moi je penche pour la seconde version en me remémorant l’histoire du toutou-explosif.

Ne trouvant rien d’intéressant, je décide de me propulser à l’extérieur. Le soleil est toujours là, à m’attendre, bien rond, bien chaud, bien provincial… Drôle d’enquête décidément.

Au fait, est-ce bien une enquête ? Je fouinasse comme ça, au petit bonheur, en suivant le vent de mes idées idiotes… Un vieux du métier hausserait les épaules… Et y aurait de quoi, moi je vous l’affirme depuis le premier étage de la Tour Eiffel !

Je me barre donc, et, en ralliant le portail, je me pose une question. Je me la pose à cause des orties qui envahissent la cour. Je me demande où les locataires de la masure carraient leur guindé. En effet, je ne vois pas traces d’une voiture au milieu de cette forêt vierge miniature. De plus, le sentier venant du chemin à la maison est beaucoup trop étroit pour permettre le passage d’une assez forte bagnole. Alors ?

Je retourne au point d’intersection. Je musarde un peu plus loin et je découvre que le chemin, passé le hameau, décrit un coude brusque et passe à proximité du jardin situé derrière la bicoque.

Des traces de pneus dans l’herbe me font comprendre que c’est derrière ce jardin que les zigs remisent leur carrosse. Je bigle dans l’herbe râpée, machinalement… Mais je ne découvre que des traces d’huile.

Bon, eh bien, m’est avis que je peux m’attraper par la pogne et m’emmener promener.

Je fais trois pas et je m’arrête. Mais tonnerre de foutre, qu’est-ce qui se passe donc ?

Je suis là, inquiet comme une bête qui flaire les prémices d’un séisme. Il va y avoir un tremblement de terre ou quoi ? Pourquoi suis-je incapable de m’en aller ? Qu’est-ce qui m’attache un fil à la patte ?

Lorsque mon individu se comporte ainsi, on peut parier une défense d’éléphant adulte contre une défense d’afficher qu’il y a du louche à tous les rayons. Du louche que mon petit cerveau de contribuable ne réalise pas, mais que mon tarin de flic décèle.

Je murmure :

« Mon tarin de flic. »

Et alors ça déclenche tout un pastaga sous mon chapiteau.

Je comprends que, ce qui me lie à cette maison, c’est précisément mon nez.

C’est mon brave pifomètre qui renifle l’air du milieu et qui émet le S.O.S.

Cet air, si j’analyse ma sensation, est chargé d’une odeur douceâtre et écœurante, fade et salement voluptueuse…

Une odeur que je connais trop bien pour l’avoir respirée mille fois déjà… Une odeur de cadavre.

Cette découverte une fois admise, il me reste à trouver d’où vient l’horrible senteur.

Je bigle vachement autour de ma pomme, en regardant par terre. Mais je ne vois rien… Au fond, il s’agit peut-être tout simplement d’un rat crevé quelque part dans le coin.

Pourtant non, maintenant, je sais que c’est d’un cadavre humain qu’il est question.

Je relève la tête, perplexe. Je la relève juste pour entraver le pot aux roses.

Mes yeux se posent sur l’épouvantail du jardin abandonné. Ils ne sont pas les seuls à se poser sur lui… Une nuée de mouches bleues en font autant.

Je m’approche. Oui, c’est d’un homme, d’un homme mort qu’il s’agit. Il est lié à un pieu planté dans le jardin, lequel devait servir primitivement de support à une barrière. Le macchabée est en bras de chemise, mais on a boutonné par-dessus un imperméable qui a été souillé de terre et mis en lambeaux intentionnellement. On a bourré les manches de l’imperméable avec de la paille. On a enfoncé sur la tête du mort un chapeau de feutre préalablement cabossé après avoir noué sur le visage un linge pour faire croire qu’il s’agit d’un sac de chiffons.

J’arrache le chiffon. Le mort me sourit, d’un hideux sourire. On ne lui a même pas fermé les châsses. Il pose sur moi un regard dur et fixe, et il me sourit cruellement.

C’est un métèque.

Ou du moins, c’était un métèque. Car la mort unifie tous les hommes, quelle que soit leur race…

Jolie pensée, n’est-ce pas ? Simplement afin de vous montrer que Pascal, La Rochefoucauld, Montesquieu et consorts n’étaient que des petits plaisantins à côté de moi.

Ce mort est le compagnon de la fille en bleu. Elle lui a envoyé la fumée, au zig ! Juste au moment de monter dans la tire qu’il remisait ici. Et puis, à cet endroit, elle ne craignait pas d’être aperçue par un nabus en rodage. Seulement, elle était marron avec la dépouille, because le type est un balaize et qu’elle ne pouvait pas s’en faire un paquet pour l’emmener promener. Fallait le laisser sur place. Elle n’avait pas le temps de l’enterrer. D’autre part, en l’abandonnant dans l’herbe, un paysan passant par-là l’aurait aperçu… Alors, elle a eu l’idée de le transformer en épouvantail. Elle le laissait sur place ; au contraire, elle le mettait bien en vue pour mieux le soustraire aux regards. Ça, croyez-en ma bonne vieille expérience, c’est de quelqu’un qui n’a pas froid aux yeux et qui a autre chose que de la limonade dans la moelle épinière. Elle commence à foutrement m’intéresser, cette greluche…

Je recoiffe le zèbre de son bada. Et je l’abandonne aux mouches. Il y a à parier un, tombereau de betteraves contre le râtelier de l’Aga Kan qu’elle ne reviendra plus.