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1 Constantin de Grunwald : L'Assassinat de Paul Ier.

2 Lettre du 21 décembre 1774.

3 Mot russe désignant une vieille femme.

4 Cf. Henri Troyat : Catherine la Grande.

5 Lettre du 29 juin 1776.

6 Cité par J. Castera : Vie de Catherine II.

7 Cité par Alexeï Peskov : Paul Ier, empereur de Russie.

8 Ibid.

9 Ibid.

10 Ibid.

IV

DÉCOUVERTE DE L'EUROPE

Chaque jour apporte à l'impératrice un motif supplémentaire de s'extasier devant son petit-fils Alexandre, encore au berceau, et de détester son fils Paul et sa bru, qu'elle soupçonne d'attendre avec impatience le moment de faire valoir leurs droits sur leur bébé et — pourquoi pas ? — de soulever contre elle leurs rares partisans. Plus elle aime le nouveau-né, plus elle exècre ceux à qui il doit la vie. Dans son for intérieur, elle souhaiterait presque qu'Alexandre fût orphelin. Animée par un appétit vorace de possession, elle écrit à Grimm en évoquant les mérites du rejeton providentiel : « Cela deviendra un excellent personnage, pourvu que la secondaterie ne me retarde pas dans ses progrès. » Secondat, secondaterie, ce sont là deux des termes dont elle qualifie le couple grand-ducal. Elle s'étonne parfois de ce changement radical dans son attitude envers sa belle-fille. Après l'avoir couverte de louanges, elle lui découvre tous les défauts de la femme-enfant : légèreté, égoïsme, rouerie, afféterie, ambition et radieuse sottise. Les seules choses dont elle puisse lui savoir gré, ce sont sa santé et sa fécondité. Cela suffit-il pour mériter le titre de grande-duchesse de Russie ? Et dire que cette pécore prend des airs offusqués en parlant des mœurs dissolues de la cour ! Vite excédée, Catherine ne dissimule même plus son animosité contre Paul et Marie, lesquels s'en rendent compte chaque jour davantage. Pourtant, malgré l'hostilité manifeste de la tsarine, ils continuent à vivre au palais, dans son ombre, en hôtes à la fois inexpugnables et indésirables. La jeune femme, élevée selon les règles du puritanisme germanique, s'indigne, en silence, du libertinage éhonté de Sa Majesté, et son mari, excédé par les rebuffades systématiques de sa mère, cherche une revanche à son état de père déchu et de minable héritier du trône en organisant des parades et en élaborant des projets politiques dont il sait qu'ils n'aboutiront jamais. C'est ainsi que, sans renoncer à son admiration pour la discipline prussienne, il voue un vif intérêt aux grands philosophes français, dont l'ambition est de régénérer le monde. Certes, il n'égale pas l'impératrice dans le culte d'un Voltaire ou d'un Diderot, mais, ayant mis le nez dans leurs œuvres, il rêve à la meilleure façon d'établir, en Russie, l'égalité sociale, la tolérance religieuse et la réconciliation entre la justice et la charité. Dans le même élan — mais avec une arrière-pensée évidente ! — il préconise d'exclure les femmes de la succession dynastique. Sa rancune personnelle envers sa mère, jointe à tout ce qu'il sait des tsarines qui l'ont précédée à la tête du pays, le rend doublement hostile à un retour du pouvoir entre les mains d'une créature du sexe. Autant il est séduit par la grâce des femmes dans un lit, autant il redoute leur présence sur un trône. Peu après, emporté par son imagination galopante, il affirme, dans une lettre à Nikita Panine du 14 septembre 1778, qu'il a l'intention de lever une armée de mercenaires sur le sol allemand. Pour justifier cette ingérence en territoire étranger, il invoque le fait que, tout en étant le grand-duc héritier de Russie, il est resté le chef de la maison de Holstein. Puis, changeant d'avis, il oublie cette prétention et se passionne pour les bruits de guerre qui agitent les chancelleries. On parle d'un possible conflit entre l'Autriche et la Prusse. Si les hostilités éclatent, Paul sait déjà de quel côté sera son cœur. Il exigera, dit-il, de se battre à la tête d'un régiment de cuirassiers prussiens. Mais personne ne prête attention à ses rodomontades. Les événements qui se préparent au sein de sa famille le détournent d'ailleurs bientôt de ses préoccupations européennes : l'infatigable Marie est de nouveau enceinte. La cour, émerveillée, n'a d'yeux que pour la taille épaissie de la grande-duchesse. Tout en critiquant sa belle-fille parce qu'elle ne sait ni diriger son mari, ni faire la part entre les vrais problèmes et les broutilles de l'existence, l'impératrice rend hommage à sa fécondité. Avec une poulinière de cette race, les grossesses sont sans histoire. On peut bâtir des projets d'avenir sans risquer d'être démenti par les faits.

Le 27 avril 1779, Marie accouche, le plus naturellement du monde : encore un fils ! Hosanna ! A nouveau grand-mère, Catherine regrette d'avoir à remercier d'un si grand cadeau une femme dont elle n'apprécie ni le charme ni l'esprit. Quand il s'agit de choisir le prénom du bébé, l'impératrice n'hésite pas ; ce n'est plus la tradition familiale qui l'inspire, mais la politique ; comme cette naissance intervient au moment où, une fois encore, elle rêve d'envahir la Turquie et d'en faire un Etat satellite, avec Constantinople comme capitale, une appellation symbolique s'impose : le grand-duc ne peut s'appeler que Constantin.

Tour à tour aïeule despotique et stratège aux vues planétaires, la tsarine étend son hégémonie des chambres à coucher aux champs de bataille. Résolue à renverser les alliances historiques de la Russie, elle envisage un rapprochement avec Vienne au détriment de Berlin. Le voyage de l'empereur Joseph II à Saint-Pétersbourg lui offre l'occasion de resserrer ostensiblement ses liens avec l'Autriche. Des fêtes triomphales célèbrent la rencontre de Leurs Majestés. Une telle alliance ne peut qu'irriter Paul, qui se considère comme un sujet virtuel de Frédéric II. Il lui semble qu'en se détachant de ce souverain qui a beaucoup fait, en tant que conseiller matrimonial, pour la Russie, Catherine II trahit à la fois les idées de feu son mari et celles de son fils, dont d'ailleurs elle se soucie comme d'une guigne. Pour se consoler de cette nouvelle déception, Paul recueille avec avidité les propos malveillants qui circulent sur le compte de sa mère, lit en cachette les pamphlets qu'on lui apporte et qui, tous, dénoncent la tyrannie de la tsarine et les influences néfastes qui déterminent sa politique étrangère. Le véritable inspirateur de l'impératrice est incontestablement « l'aventurier » Potemkine, lequel n'a que mépris pour le jeune couple. Subjuguée par cet homme énergique et ambitieux, elle est de plus en plus résolue à suivre ses avis. Epaulée par lui, elle serait même prête, dit-on, à proclamer, le moment venu, que son successeur sur le trône devrait être le charmant Alexandre et non Paul, le maniaque au cerveau détraqué. Quant à son autre petit-fils, Constantin, elle l'a, bien entendu, ravi à ses parents, mais il est encore trop petit pour qu'elle puisse déceler le fond de son caractère. Ce qu'elle tient pour acquis, c'est le fait qu'un jour ou l'autre il régnera sur Constantinople. Pour l'y préparer, elle fait venir des nourrices grecques, exige qu'il soit nourri de lait grec et qu'on lui fasse entendre, dès les premiers mois, les accents de la langue grecque. A force de supplications, Marie obtient, de loin en loin, la garde de ses enfants pendant quarante-huit heures. Quand, à l'issue de cette visite, ils reviennent chez leur grand-mère, cette dernière s'irrite des mauvaises habitudes qu'ils ont, selon elle, contractées auprès de leurs parents. Ce n'est pas ainsi, estime-t-elle, qu'on leur apprendra à gouverner l'un l'empire de Russie, l'autre l'Empire ottoman.