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Il n'avait pas encore dépassé la vieille entrée de son humble maison, qu'une voix caressante s'est écriée, éplorée et véhémente :

Père ! Père ! Qu'est-ce que ce sang ?

Une belle jeune fille avait accouru pour l'embrasser avec une immense tendresse en même temps qu'elle lui arrachait le panier de ses mains tremblantes et douloureuses.

Abigail, dans la candeur de ses dix-huit ans, était une gracieuse représentation de tous les enchantements des femmes de sa race. Des cheveux soyeux tombaient en anneaux capricieux sur ses épaules, contournant son visage attrayant dans un ensemble harmonieux d'affection et de beauté. Néanmoins, ce qui était le plus impressionnant dans sa tenue svelte de fille et de jeune femme, c'étaient ses yeux profondément noirs où une intense vibration intérieure semblait parler des plus grands mystères de l'amour et de la vie.

Mon enfant, ma chère fille ! - a-t-il murmuré se soutenant à son bras caressant.

Et il lui raconta bientôt tout ce qui s'était passé. Puis pendant que son vieux géniteur baignait son visage meurtri dans l'infusion balsamique que sa fille avait soigneusement préparée, Jeziel fut appelé pour découvrir ce qui lui était arrivé.

Le jeune homme a accouru inquiet et empressé. Il a étreint son père et l'a écouté lui raconter toute son amertume, mot après mot. En pleine force de la jeunesse, on n'aurait pu lui donner plus de vingt-cinq ans, mais la mesure des gestes et la gravité avec laquelle il s'exprimait, laissaient entrevoir un esprit noble, réfléchi et empreint d'une conscience cristalline.

Courage, père ! - s'exclama-t-il après avoir entendu sa pénible histoire, mettant dans cette expression de fermeté l'empreinte d'une profonde douceur - notre Dieu est fait de justice et de sagesse. Confie en sa protection !

Jochedeb a dévisagé son fils de haut en bas le fixant d'un regard bon et calme où il désirait laisser entrevoir à cet instant toute l'indignation qui lui semblait naturelle et juste, dominé d'un vif désir de représailles. Il est vrai qu'il avait éduqué Jeziel aux pures joies du devoir, obéissant loyalement à l'accomplissement de la Loi, cependant rien ne l'obligeait à abandonner sa soif de revanche pour se venger des offenses supportées.

Fils - lui dit-il après avoir réfléchi pendant un long moment -, Jéhovah est plein de justice, mais les fils d'Israël en tant qu'élus doivent également l'exercer. Aurions-nous raison d'oublier les offenses ? Je ne pourrai me reposer en toute conscience sans avoir accompli mes obligations. Je dois signaler les fautes dont j'ai été victime, aujourd'hui comme hier, et demain j'irai voir le légat lui en rendre compte.

Le jeune Hébreu eut un mouvement de surprise et ajouta :

Irez-vous, par hasard, voir le quêteur Licinius dans l'espoir que des mesures légales seront prises ? Et les leçons du passé, mon père ? N'est-ce donc pas ce même patricien qui vous a dépouillé de votre grand patrimoine territorial en vous jetant en prison? Ne voyez-vous pus qu'il a entre les mains les forces de l'iniquité ? Ne devriez-vous pas plutôt craindre de nouvelles attaques pour extorquer le peu qu'il nous reste ?

Jochedeb plongea dans les yeux de son fils un regard que sa noblesse de cœur baignait de larmes d'émotion, mais sa rigueur de caractère l'avait habitué à exécuter ses propres décisions jusqu'au bout et il s'exclama presque sèchement :

Comme tu le sais, je dois régler des comptes qui sont anciens et j'en ai de nouveaux, donc demain, conformément au décret, je profiterai de cette occasion que le gouvernement provincial nous offre.

Mon père, je vous en supplie - a averti le jeune homme, à la fois respectueux et aimant - ne prenez pas de telles mesures !

Et les persécutions ? - a explosé le vieillard énergiquement - et ce remous incessant d'ignominies autour des hommes de notre race ? N'y aurait-il pas un havre de paix sur ce chemin d'angoisses infinies ? Devrons-nous assister impuissants au dénigrement de tout ce que nous avons de plus sacré ? J'ai le cœur rebellé par ces crimes odieux qui nous atteignent impunément...

Sa voix était devenue traînante et mélancolique, elle laissait percevoir un découragement extrême, néanmoins sans s'émouvoir des objections faites par son père, Jeziel a continué :

Ces tortures, pourtant, ne sont pas nouvelles. Il y a plusieurs siècles déjà, les pharaons d'Egypte sont aussi allés très loin dans leur cruauté envers nos ancêtres, au point qu'à une époque les garçons de notre race étaient assassinés dès leur naissance. Antiochus Épiphane, en Syrie, a fait égorger des femmes et des enfants dans leur propre foyer. À Rome, de temps à autre, les Israélites ont souffert de vexations, de confiscations et de persécutions jusqu'à ce que mort s'en suive. Mais certainement, mon père, que si Dieu permet qu'il en soit ainsi, c'est pour qu'Israël reconnaisse dans les souffrances les plus atroces sa divine mission.

Le vieil Israélite semblait méditer aux pondérations de son fils, cependant il a ajouté résolument :

Oui, tout cela ne peut être nié, mais la vraie justice doit être accomplie, coûte que coûte, et rien ne pourra m'en dissuader.

Alors demain, vous irez vous plaindre au légat ? -Oui!

À cet instant, le regard du jeune homme s'est attardé sur la vieille table où reposait la collection des Écrits sacrés de la famille. Pris d'une soudaine inspiration, humblement, Jeziel lui dit :

Père, je n'ai pas le droit de vous exhorter, mais voyez ce qu'énoncé la parole de Dieu concernant ce que vous pensez en ce moment.

Et comme ils avaient l'habitude de le faire dans le temps afin de connaître les suggestions qui pouvaient leur être faites par les textes sacrés, il ouvrit le livre au hasard et lut dans la partie des Proverbes :

« Mon fils, ne méprise pas la correction de l'Éternel, et ne t'effraie point de ses châtiments car Dieu châtie celui qu'il aime, comme un père l'enfant qu'il chérit ». (2)

Le vieil Israélite a ouvert des yeux effarés qui révélèrent toute la stupéfaction que ce message indirect lui causait, et comme Jeziel le fixait longuement, démontrant anxieusement de l'intérêt à connaître son sentiment profond face à la suggestion des parchemins sacrés, il a souligné :

(2) Proverbes, chapitre 3, versets 11 et 12.

Je reçois l'avertissement de ces écrits, mon fils, mais je ne peux me résoudre à l'injustice et comme je l'ai dit, je porterai ma plainte aux autorités compétentes.

Le jeune homme a soupiré et a murmuré résigné :

Que Dieu nous protège !...

Le lendemain, une foule compacte ne faisait qu'augmenter près du temple de Vénus. De l'ancienne demeure où fonctionnait un tribunal improvisé, on pouvait voir des véhicules luxueux et extravagants croiser la grande place dans toutes les directions. Il s'agissait de patriciens qui se dirigeaient aux audiences de la cour provinciale ou d'anciens propriétaires, à la tête d'une fortune particulière à Corinthe, qui se livraient aux divertissements du jour, au prix de la sueur des misérables captifs. Une agitation inhabituelle caractérisait ce lieu. De temps en temps, on pouvait observer, des officiers ivres qui quittaient l'ambiance viciée du temple de la célèbre déesse débordant de parfums capiteux et de plaisirs condamnables.