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Jochedeb a semblé longuement réfléchir aux remarques de son fils, dites sur un ton affectueux et tandis qu'Abigail pleurait en silence, le jeune homme ajouta :

Nous qui vivions en paix face au désarroi du monde car notre conscience était pure, nous devons maintenant trouver des solutions au vu des représailles à venir. Alors que je m'efforçais de vaincre le feu, j'ai remarqué que certains citoyens attachés à Minucius me dévisageaient avec une indicible méfiance. À cette heure, il est déjà certainement revenu des services de la cour provinciale. Nous devons nous rendre à l'amour et à la complaisance de

Dieu, car nous n'ignorons pas les tourments que réservent les Romains à tous ceux qui leur manquent de respect.

Un douloureux nuage de tristesse mêlé d'une sombre inquiétude s'est abattu sur eux

trois.

Chez le vieillard, on pouvait observer une terrible anxiété teintée de la douleur de poignants remords et, chez les deux jeunes gens, c'était un regard d'une amertume inouïe, angoissante et intraduisible.

Jeziel a alors pris sur la table les vieux parchemins sacrés et a dit à sa sœur, avec une triste intonation dans la voix :

- Abigail, récitons le psaume qui nous a été enseigné par mère, consacré aux heures difficiles.

Tous deux se sont agenouillés et de leur voix émue, comme des oiseaux torturés, ils ont chanté tout bas l'une des belles prières de David, qu'ils avaient appris dans les bras de leur mère :

« L'Éternel est mon berger,

Je ne manquerai de rien.

n méfait reposer dans de verts pâturages,

R me conduit doucement

Près des eaux paisibles,

R restaure mon âme,

R me conduit dans les sentiers de la justice A cause de son nom. Quand je marche

Dans la vallée de l'ombre de la mort,

Je ne crains aucun mal,

Car tu es avec moi...

Ta houlette et ton bâton me rassurent.

Tu dresses devant moi un banquet d'amour,

En présence de mes ennemis,

Tu oins d'huile ma tète,

Et ma coupe déborde de joie !...

Oui,

M'accompagneront tous les jours de ma vie Et j'habiterai dans la maison de l'Éternel Jusqu'à la fin de mes jours... » (3)

Le vieux Jochedeb écoutait l'émouvant cantique, se sentant oppressé par d'amers sentiments. Il commençait ù comprendre que toutes les souffrances envoyées par Dieu sont salutaires et justes. Et que tous les maux venant de la main de l'homme apportent, invariablement, des tortures infernales à la conscience négligente. Le cantique étouffé de ses enfants remplissait son cœur d'une accablante affliction. Sa chère compagne que Dieu avait rappelée à la vie spirituelle lui revenait maintenant en mémoire. Combien de fois avait-elle bercé son esprit tourmenté de ces vers inoubliables du prophète ? Il suffisait que ses observations amicales et fidèles se fassent entendre pour que le sens de l'obéissance et de la justice parle plus fort à son cœur.

Au rythme de l'harmonie miséricordieuse et triste qui avait une intonation singulière dans la voix de ses chers enfants, Jochedeb a longuement pleuré. De la petite fenêtre ouverte dans l'humble retraite, ses yeux ont cherché anxieusement le ciel bleu qui se remplissait d'ombres tranquilles. La nuit étreignait la nature et, très loin dans le ciel, commençaient à briller les premières étoiles. S'identifiant avec les suggestions grandioses du firmament, il a ressenti d'intenses émotions dans son âme tourmentée. Un attendrissement profond l'incita à se lever et désireux de révéler à ses enfants combien il les aimait et tout ce qu'il attendait d'eux en cette heure culminante de sa vie, il s'est incliné les bras ouverts dans une expression significative d'attachement et lorsque les dernières notes achevèrent le cantique des jeunes gens enlacés et agenouillés, il les a étreints en sanglots tout en murmurant :

(3) Psaume 23. - (Note d'Emmanuel)

Mes enfants ! Mes chers enfants !...

Mais, à cet instant la porte s'est ouverte et le petit serviteur des voisins a annoncé le regard terrifié :

Monsieur, le soldat Zenas et ses compagnons vous demandent à la porte.

Le vieux a porté sa main droite à sa poitrine oppressée, tandis que Jeziel sembla réfléchir le temps d'un court instant, et révélant la fermeté de son esprit résolu, le jeune homme s'est exclamé :

Dieu nous protégera.

Quelques instants plus tard, le messager qui commandait la petite escorte lisait le mandat d'arrêt de toute la famille. L'ordre était catégorique et irrévocable. Les accusés devaient être immédiatement jetés en prison afin que leur situation soit éclaircie le lendemain.

Étreignant ses deux enfants, le pauvre Israélite avançait devant l'escorte qui les regardait sans pitié.

Jochedeb a posé ses yeux sur les parterres de fleurs et les arbres bien-aimés de sa simple maisonnette où il avait tissé tous les rêves et tous les espoirs de sa vie. Un singulier désarroi a dominé son esprit fatigué. Une effusion de larmes coulait de ses yeux et passant devant le portail fleuri, il dit à voix haute tout en regardant le ciel clair, maintenant couvert des astres de la nuit :

Seigneur ! Aie pitié de notre affligeant destin !...

Jeziel a doucement serré sa main rugueuse comme pour lui demander de faire preuve de résignation et de calme, et le groupe a marché silencieusement à la lumière des étoiles.

LARMES ET SACRIFICES

La prison, où nos personnages avait été enfermés à Corinthe, était une construction ancienne aux couloirs humides et sombres, mais la pièce où tous trois se trouvaient, bien que dépourvue de tout confort, présentait l'avantage d'avoir une fenêtre avec des barreaux qui reliait son atmosphère désolée à la nature extérieure.

Jochedeb était épuisé et, se servant du manteau qu'il avait ramassé au hasard en quittant son domicile, Jeziel lui avait improvisé un lit sur les dalles froides. Le vieil homme, tourmenté par une foule de pensées, reposa son corps endolori, livré à de pénibles réflexions sur les problèmes de la destinée. Sans pouvoir exprimer ses douleurs poignantes, il s'était engouffré dans un angoissant mutisme, évitant le regard de ses enfants. Jeziel et Abigail s'étaient approchés de la fenêtre et se tenant aux solides barreaux implacables, ils étouffaient avec difficulté leurs justes appréhensions. Tous deux regardaient instinctivement le firmament dont l'immensité avait toujours représenté la source des plus tendres espoirs pour ceux qui pleurent et souffrent sur terre.

Le jeune homme a étreint sa sœur avec une immense tendresse et lui dit ému :

Abigail, tu te rappelles notre lecture d'hier ?

Oui - a-t-elle répondu avec la sérénité ingénue de ses yeux noirs et profonds , j'ai maintenant l'impression que les écrits nous soufflaient un grand message car notre point d'étude était justement celui où Moïse contemplait de loin la terre promise sans pouvoir l'atteindre.

Le jeune homme a souri satisfait de se sentir compris dans ses pensées et a affirmé :

Je vois que nous sommes parfaitement d'accord, le ciel, cette nuit, nous offre la perspective d'une patrie lumineuse et lointaine. Là-haut - continua-t-il en indiquant la voûte étoilée -, Dieu organise les triomphes de la vraie justice, de la paix aux affligés, du réconfort aux désertés par la chance.

Notre mère doit certainement être avec Dieu à nous attendre.

Abigail fut très impressionnée par les paroles de son frère et lui demanda :

Tu es triste ? Tu as été irrité par la façon de procéder de notre père ?