Mais à Rome la situation devenait de plus en plus grave. La perversité de Tigellia à la tête de la préfecture des prétoriens semait la terreur parmi les disciples de Jésus. L'unique décret manquant était celui qui aurait condamné publiquement les citoyens romains, sympathisants de l'Évangile, car pour ce qui était des libérés, des descendants d'autres peuples et des enfants de la plèbe, ils remplissaient déjà les prisons.
Personnage éminent du mouvement, Simon Pierre ne s'accordait aucun repos. Malgré la fatigue naturelle de la sénilité, il cherchait à répondre à tous les besoins émergents. Son esprit puissant surmontait toutes les vicissitudes et s'acquittait des moindres devoirs avec le maximum de dévouement pour la cause de la Vérité. Il assistait les malades, prêchait dans les catacombes, couvrait de longues distances toujours enthousiaste et content. Les chrétiens du monde entier ne pourront jamais oublier cette phalange de personnes dévouées qui les a précédés dans les premiers témoignages de la foi, affrontant des situations pénibles et injustes, arrosant de sang et de larmes la semence du Christ, s'étreignant mutuellement pour se consoler dans les heures les plus noires de l'histoire de l'Évangile, dans les spectacles hideux du cirque, dans les prières d'affliction qui s'élevaient des cimetières abandonnés. Tigellia, grand ennemi des prosélytes du Nazaréen, cherchait à aggraver la situation par tous les moyens à la portée de son autorité odieuse et perverse.
Le fils de Zébédée se préparait à retourner en Asie quand un groupe de sbires des persécuteurs l'arrêta lors d'une dernière prédication fraternelle et inspirée où il prenait congé de ses confrères de Rome avec des exhortations d'émouvante reconnaissance à Jésus. Malgré des explications claires, Jean fut arrêté et impitoyablement rossé, et avec lui, des dizaines de frères furent enfermés dans les prisons immondes de l'Esquilin.
Pierre apprit la nouvelle et en fut péniblement surpris. Il connaissait l'extension des travaux qui attendaient son généreux compagnon en Asie et supplia le Seigneur de ne pas l'abandonner afin d'obtenir sa juste absolution. Comment procéder dans des circonstances aussi difficiles ? Il fit appel aux relations prestigieuses que la ville lui offrait. Néanmoins, ceux qui lui étaient proches avaient vraiment très peu d'influence politique dans les cabinets administratifs de l'époque. Les chrétiens qui avaient une position financière plus aisée n'osaient pas affronter le courant dominant de persécution et de tyrannie. L'ancien chef de l'église de Jérusalem ne se découragea pas. Il devait faire libérer son ami, s'utilisant pour cela de tous les moyens à sa portée. Comprenant la prudence naturelle des Romains sympathisants du Christ, il rassembla en hâte un groupe d'amis personnels pour examiner la situation.
Au beau milieu des débats quelqu'un se souvint de Paul. L'apôtre des gentils disposait dans la capitale de l'Empire d'un grand nombre d'amis importants. Dans le cas de son absolution, la mesure était partie de l'honorable cercle de Popéia Sabine. De nombreux militaires collaborateurs d'Afranius Burrus étaient ses admirateurs. Acacius Domicius, qui disposait de précieux contacts auprès des prétoriens, était son ami dévoué et inconditionnel. Personne mieux que l'ex-tisserand de Tarse ne pourrait se charger de la délicate mission de sauver le prisonnier. Ne serait-il pas raisonnable de demander son aide ? La mesure avait un caractère d'urgence car de nombreux chrétiens mouraient tous les jours dans la prison de l'Esquilin, victimes des brûlures d'huile bouillante. Tigellia et quelques comparses de l'administration criminelle se distrayaient du supplice des victimes. L'huile était jetée aux malheureux attachés au poteau du martyre. D'autres fois, les prisonniers ligotés étaient plongés dans de grands tonneaux d'eau bouillante.
Le préfet des prétoriens exigeait que les coreligionnaires assistent au supplice pour donner un exemple général. En silence, les incarcérés accompagnaient ces tristes agissements, le visage baigné de larmes. Une fois la mort de la victime constatée, un soldat se chargeait de jeter ses restes aux poissons affamés dans les vastes citernes des prisons odieuses. Vu la situation générale épouvantable, pourrait-il compter sur l'intervention de Paul ? L'Espagne était bien loin. Il était possible que son arrivée ne profite pas personnellement à Jean. Néanmoins, Pierre décida de lui faire appel et informa ses compagnons qu'il continuerait à œuvrer en faveur du fils de Zébédée, car rien ne l'empêchait de faire appel au prestige de Paul dès à présent, puisque la situation empirait à chaque instant. Cette année 64 commençait avec de terribles perspectives. Face aux intérêts de la cause, un homme énergique et résolu ne pouvait être dispensé.
Une fois que le vénérable apôtre de Jérusalem eut donné son avis, l'assemblée accepta la mesure suggérée. Un frère coopérateur dévoué de Paul, à Rome, fut envoyé en Espagne de toute urgence. Pris d'une grande anxiété Crescencius quitta Ostie emportant la lettre de Simon.
Après de longue pérégrination, l'apôtre des gentils s'était attardé à Tortosa où il avait réussi à rassembler un grand nombre de collaborateurs dévoués à Jésus. Ses activités apostoliques continuaient actives, bien qu'atténuées vu sa fatigue physique. Le mouvement des épîtres avait diminué mais n'était pas complètement interrompu. Pour répondre aux besoins des églises de l'Orient, Timothée avait quitté l'Espagne pour l'Asie, chargé de lettres et de recommandations amicales. Autour de l'apôtre s'était regroupé un nouveau contingent de coopérateurs diligents et sincères. Dans tous les coins où il passait, Paul de Tarse enseignait le travail et la résignation, la paix de la conscience et le culte du bien.
Alors qu'il prévoyait de nouveaux voyages en compagnie de Luc voilà qu'est apparu à Tortosa le messager de Simon.
L'ex-rabbin lut la lettre et décida immédiatement de retourner à la ville impériale. À travers les lignes affectueuses de l'ancien, il entrevit la gravité des événements en cours. De plus, Jean devait retourner en Asie. Il n'ignorait pas l'influence bénéfique qu'il exerçait à Jérusalem. À Éphèse, où l'église se composait d'éléments judaïques et gentils, le fils de Zébédée avait toujours été une figure noble et exemplaire, exempt d'un esprit sectaire. Paul de Tarse passa en revue les besoins du service évangélique dans les communautés orientales et en conclut que le retour de Jean était urgent, aussi décida-t-il d'intervenir sans perdre de temps.
Comme d'habitude, les considérations de ses amis concernant les problèmes liés à sa santé ne purent rien y faire. L'homme énergique et déterminé, malgré ses cheveux blancs, gardait le même esprit résolu, élevé et ferme qui l'avait toujours caractérisé dans sa jeunesse lointaine.
Avantagé par le grand nombre de bateaux, en ce début de mois de mai de l'an 64, il n'eut pas de mal à retourner au port d'Ostie auprès de ses compagnons.
Simon Pierre le reçut ému. En quelques heures, le converti de Damas connaissait la situation intolérable générée à Rome par l'action délictueuse de Tigellia. Jean était toujours incarcéré malgré les requêtes remises aux tribunaux. Lors de confidences éloquentes, l'ancien pêcheur de Capharnaûm révéla à son compagnon que le cœur lui réservait de nouvelles douleurs et des témoignages cruels. Un rêve prophétique lui avait annoncé des persécutions et de rudes épreuves. Lors de l'une de ces dernières nuits, il avait vu un singulier tableau où une croix aux proportions gigantesques semblait jeter son ombre sur toute la famille des disciples du Seigneur. Paul de Tarse l'écouta avec intérêt et se dit entièrement d'accord avec ses pressentiments. Malgré les sombres horizons, ils décidèrent de mener une action commune pour faire libérer le fils de Zébédée.