Au nom de César ! - s'écria le préposé impérial exultant de satisfaction. Il ordonna à ses soldats d'encercler les chrétiens désarmés et ne cessait de crier de manière spectaculaire. - Que personne ne fuie ! Celui qui essaiera, mourra comme un chien !
Se soutenant à sa forte houlette car cette nuit-là il n'était pas accompagné de Luc, Paul qui se tenait droit, démontrant son énergie morale, s'exclama fermement :
Et qui vous dit que nous fuirons ? Vous ignorez, semble-t-il, que les chrétiens connaissent le Maître qu'ils servent ? Vous êtes l'émissaire d'un prince du monde que ces tombes attendent, mais nous sommes des travailleurs du Sauveur magnanime et immortel !...
Volumnius l'a regardé surpris. Qui était donc ce vieillard plein d'énergie et de combativité ? Malgré l'admiration qu'il lui inspirait, le centurion a manifesté son mécontentement par un sourire d'ironie. Dévisageant l'ex-rabbin de haut en bas, d'un regard de profond dédain, il a ajouté :
Observez bien ce qui se dit et se fait ici...
Et après un éclat de rire, il s'est adressé à Paul avec insolence :
Comment oses-tu affronter l'autorité d'Auguste ? Effectivement, il doit exister des différences singulières entre l'empereur et le crucifié de Jérusalem. Je ne sais pas où serait son pouvoir de salut pour laisser ses victimes à l'abandon au fond des prisons ou sur les poteaux du martyre...
Ces mots étaient marqués d'une ironie mordante, mais l'apôtre a répondu avec la même noblesse de conviction :
Vous vous trompez, centurion ! Les différences sont appréciables !... Vous obéissez à un malheureux et odieux persécuteur et nous travaillons pour un sauveur qui aime et qui pardonne. Les administrateurs romains, de manière insensée, pourront inventer des cruautés, mais Jésus ne cessera jamais de nourrir la source des bénédictions !...
La réponse fit sensation sur l'auditoire. Les chrétiens semblaient plus calmes et confiants, les soldats ne cachaient pas la forte impression qui les dominait. Bien que reconnaissant l'intrépidité de cet esprit héroïque, le centurion ne voulait pas paraître faible aux yeux de ses subalternes et s'exclama irrité :
-Allons, Lucilius, trois coups de bastonnades pour ce vieil intrépide.
Le centurion s'approcha de l'apôtre impassible. À l'admiration silencieuse de tous ceux qui étaient présents, le bâton vrombit dans l'air et frappa l'apôtre en plein visage qui ne s'altéra en rien. Les trois coups furent rapides mais un filet de sang coulait le long de son visage lacéré.
L'ex-rabbin, à qui ils avaient pris son bourdon pour marcher, avait du mal à se tenir debout mais ne trahit pas pour autant la bonne humeur qui caractérisait son âme énergique. Il fixa les bourreaux avec fermeté et prononça :
Vous ne pouvez blesser que mon corps. Vous pourriez attacher mes pieds et mes mains, me fracasser la tête, que mes convictions resteraient intangibles, inaccessibles à vos modes de persécution.
Devant tant de sérénité, Volumnius a presque reculé atterré. Il ne pouvait comprendre cette énergie morale qui se trouvait devant ses yeux remplis de stupeur. Il commençait à croire que les chrétiens désarmés et anonymes détenaient un pouvoir que son intelligence ne pouvait atteindre. Impressionné par une telle résistance, il organisa rapidement le cortège des pauvres persécutés qui humblement obéissaient sans vaciller. Le vieil apôtre tarsien prit place parmi les prisonniers sans trahir le moindre geste d'ennui ou de révolte. Observantattentivement la conduite des gardes, alors que se déplaçait le groupe de victimes et leurs bourreaux, au premier contact avec la rosée froide de l'aube il s'exclama :
Nous exigeons le plus grand respect envers les femmes et les enfants !...
Personne n'osa répondre au commentaire prononcé sur un ton grave d'avertissement. Volumnius lui-même semblait obéir inconsciemment aux admonestations de cet homme doté d'une foi puissante et invincible.
Le groupe se mit en marche en silence, traversant les routes désertes, pour finalement arriver à la prison Mamertine alors que rayonnaient à l'horizon les premières lueurs de l'aube.
Jetés préalablement dans un sombre patio jusqu'à ce qu'ils soient logés individuellement dans des cellules infectes à barreaux, les disciples profitèrent de ces rapides moments pour se consoler mutuellement et échanger des idées et des conseils édifiants.
Mais Paul de Tarse ne s'avoua pas vaincu. Il réclama une audience à l'administrateur de la prison, une prérogative qui lui était conférée par son titre de citoyenneté romaine, ce à quoi il obtint rapidement gain de cause. Il exposa sa doctrine sans simulation et, impressionnant l'autorité de sa verve captivante, il sollicita des mesures le concernant en demandant la présence de plusieurs amis comme Acacius Domicius et quelques autres pour faire une déposition concernant sa conduite et ses antécédents honnêtes. L'administrateur hésitait à prendre une décision. Il avait reçu l'ordre catégorique de jeter en prison tous les participants présents aux assemblées qui étaient affiliés à la croyance traquée et exécrée. Néanmoins, les décisions d'ordre supérieur contenaient certaines restrictions, afin de préserver d'une certaine manière les « humiliores »21, à qui la cour offrait une chance de libération s'ils prêtaient serment à Jupiter et abjuraient le Christ Jésus. Examinant les titres de Paul et connaissant, selon ses dires, les prestigieuses relations dont il pouvait disposer dans les cercles romains, le chef de la prison Mamertine décida de consulter Acacius Domicius sur les dispositions à prendre à son égard.
21 Humiliores étaient les personnes de condition humble sans aucun titre de dignité sociale. - (Note d'Emmanuel)
Appelé à se prononcer sur la question, l'ami de l'apôtre a immédiatement comparu, puis voulut s'entretenir avec le prisonnier après une longue entrevue avec le directeur de la prison.
Domicius expliqua au bienfaiteur que la situation était très grave ; que le préfet des prétoriens était investi de tous les pouvoirs pour diriger la campagne comme bon lui semblait ; qu'une grande prudence s'imposait et qu'en dernier recours, il ne resterait plus qu'à faire appel à la magnanimité de l'empereur, devant lequel l'apôtre aurait à comparaître pour se défendre personnellement au cas où la pétition présentée à César, ce jour même, serait accordée.
Entendant ces pondérations, l'ex-rabbin s'est rappelé qu'une nuit, au beau milieu d'une tempête entre la Grèce et l'île de Malte, il avait entendu la voix prophétique d'un messager de Jésus qui lui avait annoncé sa comparution devant César sans éclaircir les circonstances de cet événement. Ne serait-ce pas là le moment prévu ? Des milliers de frères étaient arrêtés ou dans une situation d'extrême désolation. Accusés d'incendiaires, il ne s'était pas trouvé une voix ferme et résolue pour défendre leur cause avec l'intrépidité requise. Il percevait chez Acacius son inquiétude quant à sa libération, mais derrière les
insinuations délicates, il y avait une invitation discrète pour qu'il cache sa foi à l'empereur, dans l'hypothèse où il serait admis à une réelle entrevue. Il comprenait les craintes de son ami, mais intimement, il désirait obtenir cette audience avec Néron afin de lui parler des sublimes principes du christianisme. Il se ferait l'avocat des frères persécutés et malheureux. Il affronterait de face la tyrannie triomphante, ferait appel à la rectification de son acte injuste. S'il était à nouveau emprisonné, il retournerait à sa cellule la conscience édifiée dans l'accomplissement d'un devoir sacré.
Après une rapide réflexion sur l'utilité du recours qui lui semblait providentiel, il insista auprès de Domicius pour qu'il le soutienne en faisant jouer toute son influence.
L'ami de l'apôtre mit tout en œuvre pour arriver à ces fins. Il profita du prestige de tous ceux qui vivaient en tant que subalternes auprès de l'empereur, et réussit à obtenir l'audience désirée pour que Paul de Tarse se défende, comme convenu, en faisant directement appel à l'autorité d'Auguste.