Édifié dans sa foi, il a cherché à se reprendre et après de longues réflexions, il s'est allongé sur la dalle froide, cherchant un peu de repos dans le silence auguste de la nuit.
Le jour s'est levé empreint de graves attentes.
Quelques heures plus tard, entouré de ses nombreux gardes et auxiliaires, Licinius Minucius recevait les prisonniers dans la salle destinée aux criminels ordinaires où se trouvaient exhibés quelques instruments de punition et de torture.
Jochedeb et ses enfants trahissaient par la pâleur de leur visage l'émotion profonde qui les dominait.
Les coutumes en ces temps anciens étaient excessivement inhumaines pour que le juge implacable et la majorité de son entourage éprouvent de la commisération à leur misérable aspect.
Quelques sbires se trouvaient près des poteaux de torture où pendaient des fouets et des chaînes impitoyables.
Il n'y eut pas d'interrogatoire, ni aucun témoignage comme on aurait pu s'y attendre. Face à des mesures aussi odieuses et rudement appelé par la voix métallique du légat, le vieux Juif s'est approché vacillant et tremblant :
Jochedeb - s'exclama le bourreau impassible et effrayant -, ceux qui négligent les lois de l'Empire doivent être punis de mort, mais j'ai cherché à être magnanime par considération pour ta misérable vieillesse.
Un regard d'expectative angoissée a transfiguré le visage de l'accusé, tandis que le patricien esquissait un sourire ironique.
Certains ouvriers de l'exploitation agricole - a continué Licinius - ont vu tes mains perverses dans l'après-midi d'hier incendier les pâturages. De cet acte, il en a résulté de sérieux préjudices pour mes biens, sans parler des maux peut-être irréparables causés à la santé de deux de mes meilleurs serviteurs. Comme tu n'as rien en ta possession pour compenser les dommages provoqués, tu recevras ta juste punition en flagellations, pour que jamais plus tu ne viennes lever tes griffes de vautour sur les intérêts romains.
Sous le regard angoissé et larmoyant de ses enfants, le vieil Israélite s'est agenouillé et a murmuré :
Seigneur, par pitié !
Pitié ? - s'est écrié à tue-tête Minucius avec cruauté. - Tu commets un crime et tu implores des faveurs ? On fait bien de dire que ta race se compose de vers repoussants et méprisables.
Et désignant le tronc, il ordonna froidement à l'un de ses acolytes :
Pescennius, prépare-toi ! Fouette-le vingt fois.
Et devant la muette affliction des jeunes gens, le respectable vieillard fut solidement
attaché.
La punition allait commencer quand Jeziel, rompant l'attente générale, s'est approché de la table et a parlé avec humilité :
Quêteur illustrissime, pardonnez-moi de m'être tu jusqu'à présent, par lâcheté ; je vous assure néanmoins que mon père est accusé injustement. C'est moi qui ai incendié les terrains de votre propriété, révolté par la sentence de confiscation prononcée contre nous. Daignez le libérer et donnez-moi la punition méritée. Je l'accepterai volontiers.
Le patricien eut une lueur de surprise dans ses yeux glacials qui se caractérisa par une mobilité extrême, et fit remarquer :
Mais, tu n'as pas aidé mes hommes à sauver une partie des thermes ? Tu n'as pas été le premier à soigner Rufilius ?
Je l'ai fait pris de remords, illustrissime - répliqua le jeune homme soucieux d'exempter son père du supplice imminent -, quand j'ai vu l'extension du feu qui se propageait aux arbres, j'ai craint les conséquences de l'acte pratiqué, mais maintenant, j'admets en avoir été l'auteur.
Là dessus, inquiet pour son fils, Jochedeb s'exclama profondément tourmenté :
Jeziel, ne t'accuse pas d'une erreur que tu n'as pas commise !...
Mais marquant ses paroles avec une ironie extrême, le légat a répliqué, en s'adressant au jeune Hébreu :
Très bien, je t'ai épargné jusqu'à présent, me basant sur les fausses informations qui m'avaient été données à ton sujet ; pour autant, tu auras toi aussi ta part de punition. Ton père paiera pour le crime où il a été vu de manière indéniable, et tu paieras pour celui que tu as admis spontanément.
Abasourdi par la décision à laquelle il ne s'attendait pas, Jeziel fut conduit au poteau de torture, face à l'angoisse paternelle. À ses côtés, s'est posté le compagnon de Pescennius qui l'a attaché sans pitié, et les premiers coups de fouet impitoyables et constants ont commencé à flageller son dos.
Un... deux... trois...
Jochedeb révélait une profonde faiblesse, on pouvait voir sa poitrine respirer laborieusement, alors que son fils démontrait supporter le supplice avec héroïsme et une noble sérénité ; tous deux avaient les yeux rivés sur Abigail qui les regardait excessivement pâle, démontrant par les larmes ardentes qu'elle versait, le déchirant martyre de son esprit aimant.
La terrible punition en était presque à la moitié, quand un messager est entré dans la pièce et, à voix haute, a annoncé au légat sur un ton solennel :
Illustrissime, des messagers de votre résidence vous informent que l'employé Rufïlius vient de décéder.
Le cruel patricien fronça les sourcils comme il avait l'habitude de le faire quand il explosait de colère. Des sentiments de rancœur surgirent alors dans son expression creusée de marques indélébiles par la perversité de son égoïsme exacerbé.
C'était le meilleur de mes hommes - s'est-il écrié. -Ces maudits Juifs paieront très cher cet affront.
Philocrate, applique-lui vingt coups de fouet en plus et, ensuite, jette-le en prison d'où il ne sortira que pour partir aux galères.
Entre les pauvres victimes et la jeune fille angoissée, il y eut un échange de regards intraduisibles. Cette captivité était la ruine et la mort assurée. Et ils ne s'étaient pas encore récupérés de leur cruelle surprise que le juge inexorable a poursuivi :
Quant à toi, Pescennius, renouvelle la tâche. Ce vieux criminel et sans scrupules, paiera la mort de mon fidèle serviteur. Frappe ses mains et ses pieds jusqu'à ce qu'il lui soit impossible de marcher et de faire le mal.
Face à cette sentence inique, Abigail est tombée à genoux, priant ardemment. De la poitrine de son frère s'échappaient de profonds soupirs qui couvraient ses yeux de larmes douloureuses, il percevait l'inexorable malheur de sa petite sœur, tandis que son père cherchait anxieusement son regard, craignant cette heure extrême.
Les coups de fouet continuaient sans cesse, mais à un moment donné, Pescennius n'a pas réussi à garder son équilibre et la pointe aiguisée du fouet en bronze blessa profondément la gorge du pauvre Israélite faisant jaillir le sang à flots. Ses enfants ont compris la gravité de la situation et se sont regardés épouvantés. Par des prières d'une ferveur sublimée, Abigail s'adressait à Dieu, à ce Dieu tendre et aimant que sa mère lui avait appris à adorer. Philocrate conclut sa tâche. Le front de Jeziel se redressait difficilement exhibant une pâteuse sueur teintée de sang. Ses yeux ont fixé sa très chère sœur mais laissaient transparaître une profonde faiblesse qui annihilait ses dernières résistances. Incapable de définir ses propres pensées, Abigail partageait son attention angoissée entre son père et son frère, mais en quelques instants, au flux incessant du sang qui coulait abondamment, Jochedeb laissa pendre pour toujours sa tête mêlée de cheveux blancs. Le sang a inondé ses vêtements et couvrait ses pieds. Sous le regard cruel du légat, personne n'osa dire un mot. Seul le fouet fendant l'atmosphère chaude de la salle brisait le silence d'un sifflement singulier. Mais ils remarquèrent que de la poitrine de la victime s'échappaient encore quelques sons confus qui laissaient entendre ces paroles d'affection :