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Après s'être mis d'accord avec quelques subordonnés, le commandant attira l'attention du patricien déjà presque rétabli et lui demanda la permission de jeter le jeune homme à la mer.

Il vaut mieux empoisonner les poissons, plutôt que d'affronter le danger de la contagion et risquer tant de vies précieuses - lui dit Servius Carbo avec un sourire malveillant.

Le patricien a réfléchi un instant et demanda la présence de Lisipus pour que tous trois s'entretiennent sur le sujet.

Quelle est la situation du jeune homme ? - a demandé le Romain avec intérêt.

L'intendant se mit à expliquer que le jeune Hébreu avait embarqué avec d'autres hommes capturés par Licinius Minucius, lors des dernières émeutes en Achaïe. Lisipus, qui avait beaucoup de sympathie pour le jeune homme de Corinthe, chercha à peindre avec fidélité la correction de sa conduite, ses manières délicates, l'influence morale bénéfique qu'il exerçait sur ses compagnons très souvent désespérés et insoumis.

Après ses longues considérations, Serge a réfléchi et avec une profonde noblesse d'esprit, il dit :

Je ne peux accepter que Jeziel soit jeté à la mer. Je dois à cet esclave un dévouement qui équivaut à ma propre vie. Je connais Licinius et, si besoin est, je pourrai plus tard expliquer mon attitude. Je ne doute pas que la peste de Céphalonie ait atteint son organisme et pour cela même, je vous demande votre coopération pour que ce jeune soit définitivement libéré.

Mais cela est impossible... - s'exclama Servius réticent.

Pourquoi pas ? - a répondu le Romain. - Quand atteindrons-nous le port de Joppé ?

Demain, dans la soirée.

Très bien, j'espère que vous ne contrarierez pas mes plans, et dès que nous aurons atteint le port, je transporterai Jeziel à bord d'un canot jusqu'aux berges, prétextant vouloir faire des exercices musculaires dont j'ai d'ailleurs besoin. Après avoir accosté, je lui rendrai sa liberté. C'est un acte que je m'impose, conformément à mes principes.

Mais, Seigneur... - réagit le capitaine du bateau indécis.

Je n'accepte aucune restriction, de plus Licinius Minucius est un vieil ami de mon

père.

Puis il poursuivit après avoir réfléchi pendant un moment :

Vous n'alliez pas jeter le jeune homme à la mer ? -Si.

Et bien, mentionnez dans votre rapport que l'esclave Jeziel, pris d'un mal inconnu attrapé en Céphalonie, a été jeté en mer avant que la peste ne contamine les membres de l'équipage et les passagers. Pour que le jeune homme ne se compromette pas, je le lui dirai moi-même et je lui donnerai des ordres en ce sens. D'ailleurs, je le trouve très faible pour supporter les crises culminantes de la maladie encore à ses débuts. Qui pourra dire s'il résistera ? Qui sait, il mourra peut-être abandonné, à la minute même où il recouvrera sa liberté ?

Le capitaine et l'intendant ont échangé un regard intelligent donnant implicitement leur mutuel accord.

Après une longue pause, Servius accepta se reconnaissant vaincu :

Et bien, soit.

Le jeune patricien a tendu sa main aux deux autres et a murmuré :

Vous pourrez toujours disposer de moi comme d'un ami pour avoir rendu service à mon devoir de conscience.

Quelques instants plus tard, Serge s'est approché du jeune homme à demi endormi près de sa cabine, déjà atteint par une forte fièvre, et s'est adressé à lui avec délicatesse et bonté :

Jeziel, désirerais-tu retrouver ta liberté ?

Oh ! Seigneur, s'exclama le jeune homme une lueur d'espoir dans les yeux.

Je veux compenser le dévouement que tu m'as dispensé pendant les longs jours de ma maladie.

Je suis votre esclave, Seigneur. Vous ne me devez rien.

Tous deux parlaient grec et réfléchissant brusquement à son avenir, le patricien lui a demandé :

Tu connais la langue de la Palestine ?

Je suis fils d'Israélites qui m'ont enseigné ma langue maternelle dans ma plus tendre enfance.

Alors, il ne te sera pas difficile de recommencer ta vie dans cette province.

Et mesurant ces paroles, comme s'il craignait quelque surprise contraire à ses projets, il a ajouté :

Jeziel, tu n'ignores pas que tu es malade, peut-être aussi gravement que je l'ai été il y a quelques jours de cela. Le capitaine, craignant une contagion générale, vu la présence de nombreux hommes à bord, prétendait te jeter à la mer ; mais comme demain après-midi nous arriverons à Joppé, j'ai profité de cette circonstance pour te rendre ta vie d'homme libre. Tu n'es pas sans savoir qu'en agissant ainsi, je suis en train d'enfreindre certaines règles qui régissent les intérêts de mes compatriotes, et il est juste de te demander de garder le secret concernant ces faits.

Oui, Seigneur - a répondu le jeune extrêmement abattu qui essayait péniblement de coordonner ses idées.

Je sais que bientôt la maladie prendra de graves proportions, a continué son bienfaiteur. Je te rendrai la liberté, mais seul ton Dieu pourra t'accorder la vie. Néanmoins, au cas où tu te rétablirais, tu devras être un nouvel homme, avec un nom différent. Je ne désire pas être inculpé de traître par mes propres amis et je dois pouvoir compter sur ta coopération.

Je vous obéirai en tout, Seigneur.

Serge lui a lancé un regard généreux et a terminé :

Je prendrai toutes les mesures nécessaires. Je te donnerai un peu d'argent pour que tu puisses répondre à tes premiers besoins et tu porteras l'une de mes vieilles tuniques, mais dès que tu le pourras, tu quitteras Joppé pour l'intérieur de la province. Le port est toujours plein de marins romains curieux et malveillants.

Le malade a fait un geste de remerciement, tandis que Serge se retirait pour répondre à l'appel de quelques amis.

Le lendemain, à l'heure dite, des maisons palestiniennes étaient en vue. Et alors que les premiers astres de la nuit brillaient, la petite barque s'est approchée de la rive silencieusement avec deux hommes à bord dont les ombres se perdaient dans la nuit proche. Quelques bons conseils et ils se firent leurs adieux, le jeune Hébreu a baisé avec émotion la dextre de son bienfaiteur qui est précipitamment retourné à la galère, la conscience tranquille.

Mais à peine avait-il fait quelques pas que Jeziel s'est senti oppressé par des douleurs générales qui prenaient tout son corps et par un abattement naturel, dévoré par la fièvre. Des idées confuses dansaient dans sa tête. Il voulait penser au bonheur de sa libération ; il désirait fixer l'image de sa sœur qu'il devait chercher dès qu'il le pourrait, mais une étrange torpeur annihilait ses forces, causant une somnolence invincible. Indifférent, il regardait les étoiles qui peuplaient la nuit rafraîchie par les brises marines. Il put remarquer qu'il y avait de l'agitation dans les maisons toutes proches, mais est resté inerte dans la lande où il s'était blotti près de la plage. Des cauchemars étranges ont dominé son repos physique alors que le vent caressait son front fiévreux.

À l'aube, il s'est réveillé au contact de mains inconnues qui fouillaient sans gêne les poches de sa tunique.

En ouvrant les yeux, hagard, il remarqua que les premières lueurs de l'aube pointaient à l'horizon. Un homme à la physionomie sagace était penché sur lui et cherchait quelque chose. Épouvanté, le jeune Hébreu a immédiatement deviné ce qui se passait, convaincu de se trouver face à l'un de ces malfaiteurs ordinaires, avides d'une bourse étrangère. Il trembla et fit un mouvement involontaire, mais vit que son assaillant inattendu levait sa main droite, tenant une arme, il était sur le point de le tuer.

Ne me tue pas, l'ami - a-t-il balbutié d'une voix tremblante.

À ces mots prononcés sur un ton émouvant, le vagabond a retenu le coup fatal.

Je vous donnerai tout l'argent que je possède - a fini le jeune homme avec dépit.

Et cherchant dans sa poche le peu que le patricien lui avait donné, il a tout remis à l'inconnu dont les yeux brillaient de convoitise et de plaisir. D'un seul coup, ce visage sournois se transforma en une expression souriante qui donnait l'impression de vouloir soulager et même aider.