Saûl a remarqué son regard rempli de larmes et lui dit avec bonté :
Ne pleure pas. Je comprends les raisons sacrées de ton affection. Si besoin est, j'irai au bout du monde pour découvrir Jeziel, s'il est encore en vie. Je porterai des lettres de Jérusalem à la cour provinciale de Corinthe. Je ferai tout ce qu'il faut. Calme-toi. D'après tes informations, je pressens en lui un saint. Mais parlons d'autre chose. Il y a des problèmes immédiats à résoudre. Et nos projets, Abigail ?
Dieu nous bénira -, a murmuré la jeune fille émue.
Hier, Dalila et son mari sont allés à Lydde rendre visite à quelques parents. Néanmoins, ils étaient tous d'accord pour que tu sois avec nous à Jérusalem d'ici deux mois. Avant que ma sœur n'entreprenne son prochain voyage à Tarse, je veux qu'elle te connaisse personnellement afin d'exposer, avec franchise, à mes parents notre projet de mariage.
Ton invitation m'émeut beaucoup, mais...
Pas de restrictions ni de timidité. Nous viendrons te chercher. J'organiserai tous les préparatifs nécessaires avec Ruth et Zacarias, et, quant à ce dont tu auras besoin pour te présenter dans une grande ville, je ne permettrai pas que tu fasses de dépenses ici. J'ai déjà fais en sorte que tu reçoives prochainement plusieurs tuniques de modèle grec.
Et il conclut ce commentaire avec un beau sourire :
Je veux que tu apparaisses à Jérusalem comme une représentante parfaite de notre race qui a grandi parmi les beautés antiques de Corinthe.
La jeune femme fit un geste timide démontrant toute sa satisfaction.
Quelques pas plus loin, ils s'assirent sous de vieux pêchers fleuris où ils respirèrent longuement les douces brises qui parfumaient l'atmosphère. La terre cultivée et colorée de rosés de toutes les nuances exhalait un délicieux parfum. La fin du crépuscule était toujours pleine de sons qui passent précipitamment, comme si l'âme des choses était également anxieuse de silence, l'ami du grand repos... Il y avait de grands arbres qui veillaient dans l'ombre, les derniers oiseaux errants volaient rapidement et les brises caressantes venaient de loin agiter les grands ramages, accentuant les doux murmures du vent.
Enivré d'une indicible joie, Saûl regardait les premières étoiles qui souriaient dans le ciel couvert de lumière. La nature est toujours le miroir fidèle des émotions les plus profondes et ces vagues de parfum que les brises apportaient de loin faisaient écho à la mystérieuse allégresse de leur cœur.
Abigail a-t-il dit en tenant sa petite main entre les siennes -, la nature chante toujours pour les âmes ferventes et pleines d'espoir. Avec quelle anxiété t'ai-)e attendu sur le chemin de la vie !... Mon père m'a parlé du foyer et de ses douceurs et j'attendais de rencontrer la femme qui me comprendrait véritablement.
Dieu est bon - a-t-elle répondu avec enchantement - et seulement maintenant je reconnais qu'après tant de souffrances, II me réservait dans sa miséricorde infinie, le plus grand trésor de ma vie, ton amour sur la terre de mes ancêtres. Ton affection, Saûl, concentre tous mes idéaux. Le ciel nous rendra heureux. Tous les matins quand nous serons mariés, je demanderai dans mes ferventes prières aux anges de Dieu qu'ils m'enseignent à tisser les mailles de tes joies ; la nuit, quand la bénédiction du repos enveloppera le monde, je te donnerai une preuve d'affection toujours nouvelle de mon amour. Je prendrai ta tête tourmentée par les problèmes de la vie et je caresserai ton front de la douceur de mes mains. Je ne vivrai qu'avec Dieu et qu'avec toi. Je te serai fidèle toute ma vie et j'aimerai même les souffrances que le monde me causera peut-être par amour pour ta vie et en ton nom.
Saûl a serré ses mains avec plus de ferveur répliquant ébloui :
Je te donnerai à mon tour mon cœur dévoué et sincère. Abigail, mon esprit n'était habité que par l'amour pour la Loi et celui de mes parents. Ma jeunesse a été très inquiète, mais pure. Je ne t'offrirai pas de fleurs sans parfum. Depuis les premiers jours de ma jeunesse, j'ai connu des compagnons qui m'ont incité à suivre les pas incertains de l'ivresse des sens, précédant la fin de nos aspirations les plus nobles en ce monde, mais je n'ai jamais trahi l'idéal divin qui vibrait dans mon âme sincère. Après les études initiales de ma carrière, j'ai rencontré des femmes qui cherchaient à me séduire, pleines d'idées dangereuses et erronées de l'amour. À Tarse, lors des jours somptueux des jeux juvéniles, après la victoire des meilleurs lauréats, j'ai reçu de la part de jeunes filles tourmentées des déclarations d'amour et des propositions de mariage, mais, la vérité est que j'étais insensible à t'attendre comme héroïne ignorée de mes rêves dans les assemblées ostentatoires de pourpre et de fleurs. Lorsque Dieu m'a conduit ici à ta rencontre, c'est dans un étincellement de sublimes révélations que tes yeux m'ont parlé. Tu es le cœur de mon être, l'essence de mon raisonnement et tu seras la main qui guidera mes constructions pour la vie.
Alors que la jeune femme sensible et heureuse avait les yeux baignés de larmes, le fougueux jeune homme poursuivait :
Nous vivrons l'un pour l'autre et nous aurons des enfants fidèles à Dieu. J'organiserai notre vie, tu seras l'obéissance personnifiée de notre paix. Notre maison sera un temple. L'amour de Dieu sera sa plus haute colonne et quand le travail exigera mon absence de l'autel domestique, tu resteras à veiller sur le tabernacle de notre bonheur.
Oui, chéri. Que ne ferais-je pas pour toi ? Tu ordonneras et j'obéirai. Tu seras l'ordre dans ma vie et je prierai le Seigneur de m'assister à être ton baume de tendresse. Quand tu seras fatigué, je me rappellerai ma mère et j'endormirai ton âme généreuse avec les plus belles prières de David !... Tu interpréteras pour moi la parole de Dieu. Tu seras la loi, je serai ton esclave.
Saûl s'attendrit à ces expressions d'effusion. C'étaient les plus belles jamais entendues de la part d'un cœur féminin. Aucune femme quelle qu'elle soit, hormis Abigail, n'avait jamais parlé à son esprit impétueux de cette façon. Habitué aux raisonnements longs et difficiles. enflammé par les syllogismes de docteurs en quête d'un brillant avenir, il sentait son âme desséchée, assoiffée. d'un véritable idéalisme. Depuis son enfance, grâce à une saine éducation domestique, il avait gardé toute la pureté des premières impulsions au fond de son cœur, sans jamais se laisser contaminer par les plaisirs faciles ou le feu des passions violentes qui laissent dans l'âme la braise des douleurs sans espoirs. Habitué aux sports, aux jeux de l'époque, toujours suivi par de nombreux compagnons égarés, il avait eu l'héroïsme sacré de faire passer les dispositions de la Loi avant ses propres tendances naturelles. Sa conception du service envers Dieu n'admettait pas de concessions pour lui. À son avis, tout homme devait rester intègre face aux contacts inférieurs du monde, jusqu'à ce qu'il atteigne le thalamus nuptial. Le foyer constitué devait être un tabernacle de bénédictions éternelles ; les enfants, les prémices de l'autel du plus grand amour consacré au Seigneur suprême. Pour autant sa jeunesse n'était pas exempte de désirs. Saûl de Tarse ressentait tous les appels ardents de la jeunesse impétueuse de son temps. Il imaginait des situations où ses attentes étaient satisfaites, mais enclin à l'affection maternelle, il se promettait à lui-même de ne jamais tergiverser. La vie du foyer est la vie de Dieu. Et Saûl se réservait pour des émotions plus sublimes. D'espoir en espoir, il voyait passer les années, attendant que l'inspiration divine lui montre le chemin de ses idéaux. Il espérait avec confiance. Ses parents pensaient trouver, ici ou là, celle qui serait l'élue de son cœur ; néanmoins, Saûl, énergique et résolu, refusait l'intervention de ses êtres chers quant au choix qui touchait à sa destinée. Abigail avait rempli son cœur. C'était la fleur mystique de son idéal, l'âme qui comprendrait ses aspirations en parfaite harmonie avec ses pensées. Les yeux fixés sur ses traits délicats que le clair de lune pâle illuminait, il ressentit l'anxiété de ne pouvoir la garder pour toujours dans ses bras forts. En même temps, une douce tendresse vibrait dans son âme. Il désirait l'attirer à lui comme il l'aurait fait avec un enfant câlin et caresser ses cheveux soyeux avec toute la force de ses sentiments.