Ivres de joie spirituelle, ils ont encore longtemps parlé de l'amour qui les confondait dans la même aspiration de bonheur. Tous leurs commentaires les plus intimes faisaient de Dieu le complice sacré de leurs futurs espoirs qu'ils présumaient sanctifiés par des joies infinies.
La main dans la main, ils s'extasiaient devant la pleine lune merveilleuse, les lauriers semblaient leur sourire. Les rosés orientales, auréolées par les rayons de lune, étaient des messages de beauté et de parfum.
En se quittant, Saûl a ajouté, heureux :
Dans deux jours, je reviendrai te voir. Nous sommes d'accord. Quand Dalila partira, elle emportera des nouvelles nous concernant à mes parents et dans six mois précisément, je veux t'avoir à moi pour toujours.
Six mois ? - lui a-t-elle répondu à moitié rougissante et surprise.
Rien ne pourra, je pense, empêcher cette décision puisque nous avons au fond tout ce qui est indispensable.
Et si d'ici là nous n'avions pas encore reçu de nouvelles de Jeziel ? Moi, je désirerais me marier convaincue d'avoir son consentement et savoir qu'il est heureux de cette décision.
Saûl a esquissé un léger sourire où l'on pouvait voir une grande contrariété mal dissimulée, et il a répondu :
Quant à cela, sois tranquille. Nous traiterons d'abord de l'attitude des miens qui sont plus proches et dès que nous aurons résolu ce problème, si cela s'avère nécessaire, j'irai personnellement en Achaïe. Il est impossible que Zacarias ne reçoive pas de nouvelles de Corinthe dans les prochaines semaines. Alors, nous nous y attellerons plus fermement.
Abigail eut un geste de satisfaction et de reconnaissance.
Accouplés, maintenant, dans la même vibration de joie avant de rentrer dans la demeure où les propriétaires les attendaient plongés dans la lecture des prophéties, Saûl a porté la main de la jeune fille à ses lèvres et comme de coutume, il lui a murmuré un adieu :
Fidèle pour toujours !...
Quelques instants plus tard, après un court entretien avec ses amis, on entendait le trot des animaux sur la route de retour vers Jérusalem. Le petit véhicule avançait rapidement au clair de lune sous un nuage de poussière.
Le sermon d'Etienne
A leur entrée dans l'humble église de Jérusalem, Saûl et Sadoc ont remarqué la masse compacte de pauvres et de misérables qui était rassemblée là, une lueur d'espoir dans leurs tristes yeux.
Le modeste pavillon construit au prix de tant de sacrifices, n'était qu'un grand toit en tuiles aux murs fragiles, dépourvu de tout confort.
Jacques, Pierre et Jean furent singulièrement surpris par la présence du jeune docteur de la Loi qui était populaire en ville pour son oratoire véhément et pour sa connaissance pointue des Écrits sacrés.
Les généreux Galiléens offrirent à Saûl le banc le plus confortable. Il accepta ces gentillesses avec un sourire ironique évident sur les lèvres pour tout ce qui l'entourait. Il était foncièrement persuadé que Sadoc avait été victime de fausses appréciations. Que pouvait donc bien faire ces hommes ignorants, associés à d'autres déjà vieux valétudinaires et malades ? Quel danger pouvait bien représenter pour la Loi d'Israël ces enfants abandonnés, ces femmes à demi mortes dont le cœur semblait annihiler tout espoir ? Il ressentait un grand malaise à affronter tant de visages que la lèpre avait dévastés, que d'horribles ulcères avaient impitoyablement défigurés. Ici, un vieillard avec des plaies purulentes enveloppé dans des haillons fétides ; là, un blessé à peine couvert de guenilles, aux côtés d'orphelins en loques assis avec humilité.
Le docteur de la Loi qui était réputé avait remarqué la présence de plusieurs personnes qui venaient écouter ses paroles lors de l'interprétation des textes de Moïse à la synagogue des Ciliciens ; d'autres suivaient de près ses activités au Sanhédrin où son intelligence était reconnue comme un gage d'espoir pour la race. D'un regard, il comprit que ces amis étaient aussi là pour la première fois. Soucieux de trouver des services éventuels qui pourraient les distinguer et les recommander aux autorités les plus importantes, sa visite avait attiré de nombreux sympathisants du pharisaïsme dominant qui fréquentaient le Temple ignoré des Galiléens sans nom. Saûl en a conclu que cette partie de l'auditoire faisait acte de présence et serait solidaire face aux mesures qu'il aurait à prendre. Cette attitude lui semblait naturelle et logique, conformément aux objectifs qu'il se proposait d'atteindre. Ne disait-on pas que des faits incroyables avaient été commis par les adeptes du « Chemin » ? Ne s'agirait-il pas de mystifications grossières et scandaleuses ? Qui pourrait dire que tout cela n'était pas le produit ignoble de la sorcellerie et de sortilèges condamnables ? Dans l'hypothèse où il identifierait une finalité déloyale quelle qu'elle soit, il pouvait compter, même là, sur un grand nombre de coreligionnaires prêts à défendre le rigoureux accomplissement de la Loi au prix des plus grands sacrifices.
Tout en remarquant dé-ci delà une scène moins agréable à ses yeux, lui qui était habitué aux entourages de luxe, il évitait de fixer les estropiés et les malades qui s'entassaient dans l'enceinte et cherchait plutôt à attirer l'attention de Sadoc avec des commentaires ironiques et imagés. Quand la vaste enceinte dénuée d'ornements et de symboles de toute nature fut remplie, un jeune homme s'est frayé un chemin dans la foule et vint se placer aux côtés de Pierre et de Jean, se tenant tous trois sur une estrade presque naturelle formée de pierres superposées.
Etienne !... C'est Etienne !...
Des voix étouffées indiquaient le prédicateur tandis que ses admirateurs plus fervents le montraient du doigt avec un sourire d'allégresse.
Un silence inattendu se fit dans la salle où tous les fronts se tenaient maintenant dans une singulière attente. Le jeune homme, maigre et pâle, en qui les plus malheureux pensaient voir le dédoublement de l'amour du Christ, se mit à prier à voix haute implorant l'inspiration du Tout-Puissant pour lui et pour l'assemblée. Ensuite, il a ouvert un livre en forme de parchemin et a lu un passage des notes de Matthieu :
Allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d'Israël. Allez, prêchez, et dites : Le royaume des cieux est proche.7
(7) Matthieu, chapitre 10, versets 6 et 7. - (Note d'Emmanuel)
Etienne a levé ses yeux calmes et fulgurants au ciel et sans se sentir impressionné par la présence de Saûl et de ses nombreux amis, il se mit à parler plus ou moins en ces termes d'une voix claire et vibrante :
« Mes chers frères, les temps sont venus où le Berger rassemble ses moutons autour de sa bienveillance sans limite. Nous étions esclaves sous l'injonction des jugements, mais aujourd'hui nous sommes libres par l'Évangile du Christ Jésus. Des temps immémoriaux, notre race a gardé la lumière du tabernacle et Deus nous a envoyé son Fils immaculé. Où sont-ils en Israël ceux qui n'ont pas encore entendu les messages de la Bonne Nouvelle ? Ceux qui n'ont pas encore applaudi les joies de la nouvelle foi ? Dieu a envoyé sa divine réponse à nos aspirations millénaires, la révélation des cieux éclaire nos chemins. Selon les promesses de la prophétie, c'est pour tous ceux qui pleurent et souffrent par amour pour l'Éternel que l'Émissaire divin est venu dans les antres de nos douleurs amères et justes illuminer la nuit de nos âmes impénitentes pour que s'ouvrent les horizons de la rédemption. Le Messie a répondu aux problèmes angoissants de la créature humaine en lui offrant la solution de l'amour qui rachète tous les êtres et purifie tous les péchés. Maître du travail et de la joie parfaite de la vie, ses bénédictions représentent notre héritage. Moïse a été la porte, le Christ en est la clé. Avec la couronne du martyre il a conquis, pour nous tous, la récompense immortelle du salut. Nous étions prisonniers de l'erreur, mais son sang nous a libérés. Dans la vie et dans la mort, dans les joies de Canaan comme dans les angoisses du Calvaire, pour ce qu'il a fait et pour tout ce qu'il n'a pas fait lors de son glorieux passage sur terre, II est le Fils de Dieu qui illumine le chemin.