Je n'ai pas comment désapprouver tes déductions -a conclu la jeune fille condescendante.
Puis comme d'habitude, ils ont parlé de leurs profonds sentiments, et le jeune homme de Tarse trouva un singulier enchantement et un doux baume aux commentaires affectueux de sa chère compagne.
Quelques jours passèrent à Jérusalem pendant lesquels des mesures étaient prises pour qu'Etienne se présente au Sanhédrin et qu'il y soit interrogé pour en finir avec les prêches du « Chemin ».
Vu l'intercession conciliante de Gamaliel, le fait devait se résumer à une discussion où le prédicateur des nouvelles interprétations définirait devant le plus haut tribunal de la race ses points de vue, afin que les prêtres en tant que juges et défenseurs de la Loi, exposent la vérité en justes termes.
La demande de comparution arriva effectivement à l'humble église mais Etienne décida de s'esquiver, alléguant que conformément aux règles du Maître, il ne serait pas raisonnable de débattre, et cela malgré les arguments du fils d'Alphée qui était inquiet à l'idée d'entrer en conflit avec les autorités et qui se disait que son refus choquerait l'opinion publique. Saûl à son tour, ne pouvait pas obliger l'antagoniste à répondre au défi puisque le Sanhédrin ne pouvait employer la force qu'en cas de dénonciation publique, après l'instauration d'un procès où le dénoncé serait reconnu comme blasphémateur ou calomniateur.
Devant les excuses réitérées d'Etienne, le docteur de Tarse s'exaspéra. Et après avoir levé la majorité de ses compagnons contre l'adversaire, il organisa un vaste plan afin de le forcer à la polémique désirée où il chercherait à l'humilier face aux dirigeants du judaïsme dominant.
Après l'une des sessions ordinaires au tribunal, Saûl a appelé l'un de ses amis qui lui était soumis et lui a parlé à voix basse :
Néhémie, notre cause a besoin d'un coopérateur déterminé et je me suis souvenu de toi pour défendre nos principes sacrés.
De quoi s'agit-il ? - a demandé l'autre avec un sourire énigmatique. - Ordonnez et je suis prêt à obéir.
Tu as déjà entendu parler d'un faux thaumaturge appelé Etienne ?
L'un de ces hommes détestables du « Chemin » ? J'en ai déjà entendu parler, d'ailleurs il m'a semblé reconnaître dans ses idées celles d'un véritable halluciné.
Parfait, tu le connais de près - a répliqué le jeune docteur satisfait. - J'ai besoin que quelqu'un le dénonce comme blasphémateur en raison de la Loi et rappelle-moi plus tard ta coopération en ce sens.
Rien que ça ? - a demandé l'interpellé avec malice. - C'est facile et un plaisir. Ne l'ai- je pas entendu dire que le charpentier crucifié est à la base de la vérité divine ? Cela est plus qu'un blasphème. Il s'agit d'un révolutionnaire dangereux qui doit être puni comme calomniateur de Moïse.
Très bien ! - s'exclama Saûl avec un large sourire. -Je compte donc sur toi.
Le lendemain, Néhémie a comparu au Sanhédrin et a dénoncé le généreux prédicateur de l'Évangile pour blasphème et pour calomnie, ajoutant de lui-même des commentaires diffamatoires. Dans le dossier d'accusation, Etienne y figurait comme un vulgaire sorcier, maître de règles subversives au nom d'un faux Messie que Jérusalem avait crucifié quelques années auparavant sur des accusations identiques. Néhémie se présentait comme victime de la dangereuse secte qui avait porté atteinte et perturbé sa famille, et affirmait avoir été témoin de sordides sorcelleries pratiquées au préjudice d'autrui.
Saûl de Tarse a noté les moindres déclarations soulignant les détails compromettants.
La nouvelle éclata dans l'église du « Chemin », ayant des effets singuliers et pénibles. Les moins déterminés, avec Jacques en premier, se sont laissés émouvoir par des considérations de tout ordre, craignant de se voir poursuivis ; mais Etienne, tout comme Simon Pierre et Jean, restait absolument serein et recevait avec bonne humeur l'ordre de répondre courageusement à l'assignation.
Plein d'espoir, il suppliait Jésus de ne pas l'abandonner, de manière à témoigner de la richesse de sa foi évangélique.
Et il attendit cette opportunité avec fidélité et joie.
DEVANT LE SANHÉDRIN
Le jour dit, la grande enceinte de la plus haute instance Israélite se remplissait d'une foule de croyants et de curieux, avides d'assister au premier débat entre les prêtres et les hommes miséricordieux et étranges du « Chemin ». L'assemblée rassemblait ce que Jérusalem avait de plus aristocratique et de plus cultivé. Et bien qu'il s'agisse d'un acte public, les mendiants n'y eurent pas accès.
Le Sanhédrin exhibait ses personnages les plus éminents. Se mêlant aux prêtres et aux maîtres d'Israël, on pouvait remarquer la présence des personnalités les plus saillantes du pharisaïsme. Il y avait là des représentants de toutes les synagogues.
Connaissant l'acuité intellectuelle d'Etienne, Saûl voulait opposer le scénario, où dominait son talent, à l'humble église des adeptes du charpentier de Nazareth. Au fond, son mobile résidait dans la vaniteuse démonstration de sa supériorité, caressant en même temps, l'intime espoir de convaincre Etienne à rejoindre les rangs du judaïsme. En conséquence, il avait préparé cette réunion dans les conditions requises pour impressionner ses sens.
Etienne comparaissait comme un homme appelé à se défendre des accusations qui lui étaient imputées, et non comme un prisonnier ordinaire obligé de rendre des comptes à la justice. Analysant sa situation, il avait donc supplié les apôtres galiléens de ne pas l'accompagner, considérant non seulement qu'ils devaient rester auprès des malades, mais aussi la possibilité de sérieux accrochages en cas de comparution des adeptes du « Chemin », vu la fermeté d'esprit avec laquelle il chercherait à sauvegarder la pureté et la liberté de l'Évangile du Christ. En outre, les recours dont ils pouvaient disposer étaient très modestes et il ne serait pas juste de les confronter à la puissance suprême des prêtres qui avaient trouvé le moyen de crucifier le Messie lui-même. Pour le « Chemin », il n'y avait que les malheureux infirmes ; les pures convictions des plus humbles ; la gratitude des plus malheureux - seule force puissante par son contenu de vertu divine à soutenir sa cause devant les autorités dominantes du monde. Réfléchissant à cela, il éprouvait la joie d'assumer seul la responsabilité de son attitude, sans compromettre ses compagnons, comme l'avait fait un jour Jésus dans son apostolat sublime. Si nécessaire, il ne dédaignerait pas la possibilité du dernier sacrifice, témoignage sacré de l'amour à son cœur auguste et miséricordieux. La souffrance, pour Lui, lui serait douce. Ses arguments vaincraient les ardeurs des compagnons les plus véhéments. Ainsi, sans le moindre soutien, il comparut au Sanhédrin, très impressionné en voyant sa grandeur et sa somptuosité. Habitué aux tableaux tristes et pauvres des faubourgs où se réfugiaient les malheureux de toute espèce, il était fasciné par la richesse du Temple, par l'aspect magnifique de la tour des Romains, par les bâtiments résidentiels de style grec, par la façade des synagogues qui s'éparpillaient en grand nombre de toute part.
Comprenant l'importance de cette session où accouraient les éléments de l'élite pour manifester leur intérêt marqué pour Saûl qui, à ce moment-là, était l'expression de la jeunesse la plus vibrante du judaïsme, le Sanhédrin avait demandé le soutien de l'autorité romaine pour le maintien absolu de l'ordre. La cour provinciale n'avait pas lésiné sur les mesures prises. Les patriciens eux-mêmes résidant à Jérusalem comparurent nombreux au grand événement du jour, sachant qu'il s'agissait du premier procès sur les idées enseignées par le prophète nazaréen depuis sa crucifixion qui avait laissé tant de perplexité et tant de doutes dans l'esprit du public.