Lorsque la grande enceinte régurgitait de monde de la haute société, conduit par un représentant du Temple, Etienne s'est assis à la place préalablement désignée et resta là sous la garde de soldats qui le fixaient ironiquement.
La session commença avec toutes les formalités réglementaires. Pour initier les travaux, le grand sacrificateur annonça le choix de Saûl, selon son propre désir d'interpeller le dénoncé et d'enquêter sur l'extension de la faute dans l'avilissement des principes sacrés de la race. En recevant cette invitation pour être le juge de l'acte, le jeune tarsien a esquissé un sourire triomphant. D'un geste impérieux, il a ordonné que l'humble prédicateur du « Chemin » s'approche du centre de la salle somptueuse où se dirigea Etienne, calmement accompagné par deux gardes aux sourcils froncés.
Le jeune homme de Corinthe fixa le tableau qui l'entourait, remarquant le contraste de l'une et de l'autre assemblées présentes, tout en se rappelant la dernière réunion dans la pauvre église où il fut amené à connaître l'antagoniste si capricieux. N'étaient-ce pas eux les « moutons égarés » de la maison d'Israël dont parlait Jésus dans ses éloquents enseignements ? Même si le judaïsme n'avait pas accepté la mission de l'Évangile, comment conciliaient-ils les commentaires sacrés des prophètes et leur exemple élevé de vertu, avec l'avarice et l'immoralité ? Moïse lui-même était un esclave et par dévouement à son peuple, il avait souffert d'innombrables difficultés à chaque jour de son existence consacrée au Tout-Puissant. Job avait supporté des misères sans-nom et avait donné le témoignage de sa foi par les souffrances les plus arrières. Jérémie avait pleuré incompris. Amos avait éprouvé le fiel de l'ingratitude. Comment les Israélites pouvaient-ils harmoniser l'égoïsme avec la sagesse aimante des Psaumes de David ? Il était étrange qu'étant si fervents dans la Loi, ils se livrent d'une manière aussi absolue aux intérêts mesquins, quand Jérusalem était pleine de familles, sœurs par leur race, dans un complet abandon. Comme assistant d'une modeste communauté, il connaissait de près les besoins et les souffrances du peuple. À ces onctions, il sentait que le Maître de Nazareth grandissait davantage maintenant à ses yeux, distribuant parmi les angoissés, les espoirs les plus purs et les plus réconfortantes vérités spirituelles.
Il n'était pas encore revenu de la surprise avec laquelle il examinait les tuniques brillantes et les ornements d'or exhibés dans l'enceinte, que la voix de Saûl claire et vibrante le rappela à la réalité de la situation.
Après avoir lu l'acte d'accusation où Néhémie figurait comme principal témoin et qui fut écouté avec la plus grande attention, Saûl a interrogé Etienne sur un ton à la fois intrépide et hautain :
Comme vous voyez, vous êtes accusé de blasphémateur, de calomniateur et de sorcier devant les autorités les plus représentatives. Néanmoins, avant toute décision, le tribunal désire connaître votre origine pour déterminer les droits qui vous assistent en cet instant. Êtes-vous par hasard de famille Israélite ?
L'interrogé est devenu pâle, mesurant les difficultés d'une complète identification au cas où cela serait indispensable, mais il répondit avec fermeté :
J'appartiens aux enfants de la tribu d'Issacar.
Le docteur de la Loi fut un peu surpris, mais l'assemblée ne le perçut pas, et il poursuivit :
En tant qu'Israélite, vous avez le droit de répondre librement à mes interpellations ; néanmoins, il est nécessaire d'éclaircir que cette condition ne vous exemptera pas des lourdes punitions au cas où vous persévéreriez dans l'exposition des graves erreurs d'une doctrine révolutionnaire dont le fondateur a été condamné à la croix infamante par l'autorité de ce tribunal, où pontifient les enfants les plus vénérables des tribus de Dieu. D'ailleurs, appréciant par supposition votre origine, je vous ai invité à discuter loyalement avec moi, lors de notre première rencontre à l'assemblée des hommes du « Chemin ». J'ai fermé les yeux sur le cadre de misère qui m'entourait pour analyser uniquement vos dons intellectuels ; mais démontrant une étrange exaltation d'esprit, peut-être en vertu des sorcelleries dont les influences sont évidentes en ces lieux, vous vous êtes maintenu dans une singulière réserve d'opinion malgré mes appels réitérés. Votre attitude inexplicable a amené le Sanhédrin à considérer la présente dénonciation de votre nom comme ennemi de nos conventions. Vous serez donc obligé de répondre à toutes les interpellations justes et nécessaires et je vous rappelle que le titre d'Israélite ne pourra vous exempter de la punition réservée aux traîtres de notre cause.
Après un laps de temps pendant lequel le juge et le dénoncé purent vérifier l'anxieuse expectative de l'assemblée, Saûl se mit à l'interroger :
Pourquoi avez-vous rejeté mon invitation à débattre quand j'ai honoré le prêche du « Chemin » de ma présence ?
Etienne, dont le regard était étincelant comme inspiré par une force divine, a répondu d'une voix ferme, sans révéler l'émotion qui le dominait intérieurement :
Le Christ, que je sers, a recommandé à ses disciples d'éviter, à tout moment, le ferment de la discorde. Quand au fait d'avoir honoré mon humble parole de votre présence, je vous remercie de cette preuve d'intérêt immérité, mais je préfère considérer comme David8 que notre âme se glorifie en l'Eternel, puisque nous ne possédons rien de bon en nous-mêmes si Dieu ne nous soutient pas par la grandeur de sa gloire.
Face à cette subtile leçon qui lui était jetée au visage, Saûl de Tarse se mordit les lèvres, pris de colère et de dépit, il chercha maintenant à éviter toute allusion personnelle pour ne pas tomber dans une situation semblable, et il poursuivit :
Vous êtes accusé de blasphème, de calomnie et de sorcellerie.
Je me permets de vous demander dans quel sens -répliqua l'interpellé avec audace.
(8) Psaumes de David, chapitre 34, verset 2. - (Note d'Emmanuel)
De blasphème quand vous présentez le charpentier de Nazareth comme Sauveur, de calomniateur quand vous narguez la Loi de Moïse reniant les principes sacrés qui régissent les destinées. Confirmez-vous tout cela ? Approuvez-vous ces accusations ?
Sans hésiter. Etienne a éclairci :
Je maintiens croire que le Christ est le Sauveur promis par l'Éternel ;"i travers les enseignements des prophètes d'Israël qui ont pleuré et ont souffert pendant de longs siècles pour nous transmettre les douces joies de la Promesse. Quant à la seconde partie, je suppose que l'accusation procède d'une interprétation erronée de mes propos. Je n'ai Jamais cessé de vénérer la Loi et les Écrits sacrés, mais Je considère que l'Évangile de Jésus est leur divin complément. Les premiers sont le travail des hommes, le second est le salaire de
Dieu aux fidèles travailleurs.
Vous êtes donc d'avis - a dit Saûl sans dissimuler son irritation devant tant d'assurance - que le charpentier est plus grand que le grand législateur ?
Moïse est la justice par la révélation, mais le Christ est l'amour vivant et permanent.
À cette réponse de l'accusé, il y eut un mouvement d'exaltation dans la grande assemblée. Quelques pharisiens irrités criaient des injures. Saûl, néanmoins, leur fit un signe impérieux et le silence revint permettant de reprendre l'interrogatoire. Et donnant à sa voix un timbre de sévérité, il a continué :