Votre attitude ne m'intimide pas. Le Christ a été clair en nous recommandant de ne pas craindre ceux qui ne peuvent que tuer notre corps.
Il n'a pu continuer. Le jeune tarsien, les mains sur la ceinture, le regard menaçant et les gestes rudes comme s'il affrontait un malfaiteur ordinaire, lui a crié furieusement à l'oreille :
Ça suffit ! Ça suffit ! Plus un mot !... Maintenant que t'a été accordé le dernier recours inutilement, j'utiliserai aussi mon droit de naissance, face à un frère déserteur.
Et ses poings fermés sont tombés sur le visage d'Etienne sans qu'il ait la moindre réaction. Les pharisiens ont applaudi ce geste brutal par des cris délirants comme si c'était un jour de fête. Donnant libre cours à sa folie, Saûl frappait sans compassion. Sans argument d'ordre moral, face à la logique de l'Évangile, il faisait appel à la force physique, satisfaisant sa nature volontaire.
Le prédicateur du « Chemin », soumis à de tels extrêmes, implorait l'aide de Jésus pour ne pas trahir son témoignage. Malgré la réforme radicale que l'influence du Christ avait imposée à ses idées les plus secrètes, il ne pouvait fuir la douleur de sa dignité blessée. Il a cherché, néanmoins, à reprendre immédiatement ses énergies dans la compréhension de la résignation que le Maître avait prêchée comme leçon suprême. Il s'est souvenu des sacrifices de son père à Corinthe, a revu mentalement son supplice et sa mort. L'épreuve angoissante dont il avait souffert lui revint en mémoire et il se dit que rien que dans la connaissance de Moïse et des prophètes il avait trouvé tant d'énergie morale pour affronter les ignorants de la bonté divine, comment ne pourrait-il pas témoigner maintenant qu'il avait le Christ dans son cœur ? Ces pensées affluaient à son cerveau tourmenté comme un baume de suprême consolation. Néanmoins, malgré la force de son esprit qui marquait son caractère, il se vit couler de copieuses larmes. Quand il remarqua les sanglots se mêler au sang qui jaillissait des blessures que ses poings avaient ouvertes sur son visage, Saûl de Tarse s'est retenu satisfait dans son immense colère. Il ne pouvait pas comprendre la passivité avec laquelle l'agressé avait reçu les coups de sa force rompue aux exercices sportifs.
La sérénité d'Etienne le perturba encore davantage. Sans aucun doute, il était face à une énergie ignorée.
Esquissant un sourire de raillerie, il l'a averti hautain :
Tu ne réagis pas, lâche ? Ton école est aussi celle de l'indignité ?
Le prédicateur chrétien, malgré ses yeux humides, a répondu avec fermeté :
La paix diffère de la violence, tout comme la force du Christ diverge de la vôtre.
Discernant une telle supériorité d'idées, le docteur de la Loi ne pouvait pas cacher le dépit et la rage qui transparaissaient de son regard foudroyant. Il semblait au comble de l'irritation, plongé dans les plus grandes absurdités. On aurait dit qu'il était arrivé au summum de la tolérance et de sa capacité à résister.
Il se retourna pour constater l'approbation de ses partisans qui étaient majoritaires et s'adressa au grand sacrificateur à qui il demanda un jugement cruel. L'effort physique fut tel que sa voix tremblait.
À l'analyse de l'acte d'accusation - ajouta-t-il hautain - et considérant les graves insultes ici pratiquées, comme juge de la cause je demande que l'accusé soit lapidé.
Des applaudissements frénétiques ont fait suite à ses paroles inflexibles. Les pharisiens si durement atteints par les propos ardents du disciple de l'Évangile pensaient ainsi se venger de ce qu'ils considéraient comme de l'arrogance criminelle à leurs prérogatives.
L'autorité supérieure reçut la requête et voulut la soumettre au vote au sein du cercle restreint des collègues les plus éminents.
C'est alors que Gamaliel, après avoir parlé à voix basse avec ses collègues de l'investiture élevée, commentant peut-être le caractère généreux et l'incontrôlable impulsivité de l'ex-disciple laissant entendre que la sanction proposée serait la mort immédiate du prédicateur du «Chemin », s'est levé dans le cénacle agité et a dit noblement :
Ayant droit au vote dans ce tribunal et ne désirant pas précipiter la solution d'un problème de conscience, je propose que la sentence demandée soit étudiée plus avant, alors que l'accusé sera maintenu en prison jusqu'à ce que sa responsabilité soit reconnue devant la justice.
Saûl perçut le point de vue de l'ancien maître en déduisant qu'il mettait en jeu son sens de la tolérance bien connu. Cet avertissement contrariait excessivement ses résolutions, mais sachant qu'il ne pourrait pas vaincre l'autorité vénérable, il a scandé :
J'accepte la proposition en ma capacité de juge ; bien que l'exécution de la peine soit reportée comme vous le désirez et vu le poison distillé par les propos irrévérents et ingrats exprimés par l'accusé, j'espère que celui-ci sera immédiatement jeté en prison ligoté. Et je propose également que des investigations plus poussées soient faites sur les activités prétendument miséricordieuses des dangereux croyants du « Chemin », afin d'extirper par la racine la notion d'indiscipline créée par eux contre la Loi de Moïse, mouvement révolutionnaire aux conséquences imprévisibles qui signifie, en substance, désordre et confusion dans nos propres rangs et funeste oubli des conventions divines, conjurant ainsi la propagation du mal dont la croissance intensifiera les punitions.
La nouvelle proposition fut complètement approuvée. Avec sa profonde expérience des hommes, Gamaliel avait compris qu'il était indispensable d'accorder quelque chose.
Autorisé par le Sanhédrin, Saûl de Tarse put donc initier les mesures les plus téméraires concernant les activités du « Chemin », avec l'ordre de censurer, de corriger et d'arrêter tous les descendants d'Israël dominés par les sentiments tirés de l'Évangile, considéré à partir de là par le régionalisme sémite comme une source de poison idéologique grâce auquel l'audacieux charpentier nazaréen prétendait révolutionner la vie Israélite en provoquant la dissolution de ses liens les plus légitimes.
Devant Etienne prisonnier, le jeune tarsien a reçu la notification officielle avec un sourire triomphant.
La mémorable session se termina ainsi. De nombreux compagnons entourèrent le jeune juif, le félicitant de son ardente allocution, fidèle à l'hégémonie de Moïse. L'ex-disciple de Gamaliel recevait les salutations de ses amis et murmurait réconforté :
- Je compte sur vous tous, nous combattrons jusqu'au bout.
Les travaux de l'après-midi avaient été éprouvants, mais l'intérêt éveillé avait été énorme. Etienne était très fatigué. Devant les groupes qui se retiraient manifestant les commentaires les plus divers, il fut ligoté avant d'être conduit en prison. Absorbé par l'exemple du Maître, malgré la fatigue, il avait la conscience tranquille. Avec une joie sincère au fond, il constatait, une fois de plus, que Dieu lui avait accordé l'occasion de témoigner sa foi.
Quelques instants plus tard, l'ombre du crépuscule semblait rapidement avancer vers la nuit noire.
Après avoir supporté les plus cinglantes humiliations de la part des pharisiens qui se retiraient avec une impression profonde de dépit, gardé par des soldats rudes et insensibles, il se retrouva en prison portant de lourdes chaînes.
LES PREMIERES PERSECUTIONS
En raison de son autorité et de sa renommée, Saûl de Tarse avait été impressionné par l'intrépidité d'Etienne et conformément à son impulsivité, il se laissait exalter par l'idée de vengeance. À son avis, le prédicateur de l'Évangile lui avait infligé des humiliations publiques qui imposaient des réparations équivalentes.
Bien qu'étant à nouveau à Jérusalem depuis peu, tous les cercles de la société ne cachaient pas l'admiration qu'ils lui vouaient. Les intellectuels du Temple voyaient en lui une forte personnalité, un véritable guide, le considérant comme un maître du rationalisme supérieur. Les prêtres les plus anciens et les docteurs du Sanhédrin reconnaissaient son intelligence aiguë et déposaient en lui leurs espoirs pour l'avenir. À l'époque, sa Jeunesse dynamique, tournée presque entièrement vers le ministère de la Loi, centralisait pour ainsi dire tous les intérêts de la casuistique. Avec l'astuce psychologique qui le caractérisait, le jeune tarsien connaissait le rôle que Jérusalem lui destinait. Ainsi, les controverses d'Etienne avaient touché les fibres les plus sensibles de son cœur. Au fond, son ressentiment était la marque d'une jeunesse ardente et sincère ; néanmoins, la vanité blessée, l'orgueil racial, l'instinct de domination, brouillaient sa vision spirituelle.