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Au fond, il haïssait maintenant ce Christ crucifié parce qu'il détestait Etienne, considéré alors comme un dangereux ennemi. Il ne pouvait tolérer toute la teneur de cette doctrine, apparemment simple, mais qui venait ébranler le fondement des principes établis. Il poursuivrait implacablement le « Chemin », et tous ceux qui lui étaient associés.

Intentionnellement, il mobiliserait toute l'influence dont il disposait pour étendre l'inquisition qui s'imposait. Bien sûr, il devrait compter sur les reproches conciliants d'un Gamaliel et de quelques autres esprits qui, à son avis, se laisseraient tromper par la philosophie de bonté que les Galiléens avaient suscité avec les nouvelles écritures ; mais il était convaincu que la majorité pharisaïque de la fonction politique resterait à ses côtés, le soutenant dans l'entreprise initiée.

Le lendemain de l'emprisonnement d'Etienne, avec le maximum d'habileté, il se mit en quête des premières forces. Afin de trouver des sympathisants pour mettre en œuvre le large mouvement de persécution qu'il prétendait réaliser, il rendit visite aux personnalités les plus éminentes du judaïsme, s'abstenant cependant de faire appel à la coopération des autorités manifestement pacifistes. L'influence des prudents ne l'intéressait pas. Il avait besoin de tempéraments comme le sien pour que le soutien ne manque pas.

Après avoir mis en place un vaste projet avec ses compatriotes, il sollicita une audience à la cour provinciale pour obtenir l'appui des Romains chargés de résoudre tous les sujets politiques de la province. Bien que résidant officiellement en Césarée, le procureur était de passage en ville et c'est ainsi qu'il fut au courant des événements de la veille. En recevant la pétition du prestigieux docteur de la Loi, il lui accorda sa totale solidarité, faisant l'éloge des providences en perspective. Séduit par la verve du jeune rabbin, il lui fit comprendre, avec l'indifférence d'un homme d'état qui négligeait les sujets d'ordre religieux de tous temps et en toutes circonstances, qu'il reconnaissait que le pharisaïsme avait de multiples raisons de combattre les Galiléens ignorants qui dérangeaient le rythme des manifestations de foi dans les sanctuaires de la ville sainte. Concrétisant ses promesses, il lui accorda immédiatement le concours nécessaire pour atteindre l'objectif visé, à l'exception bien sûr des droits de nature politique que l'autorité romaine suprême devait garder intangibles.

Toutefois, l'adhésion des pouvoirs publics aux projets exposés suffisait au nouveau

rabbin.

Soutenu dans ses prérogatives par l'approbation presque générale de son plan, Saûl se mit à coordonner les premières actions pour démasquer les activités du « Chemin » dans les moindres détails. Aveuglé à l'idée de sa revanche publique, il idéalisait de sinistres tableaux dans son esprit surexcité. Dès qu'il le pourrait, 11 arrêterait tous les impliqués. L'Évangile, à ses yeux, dissimulait une sédition imminente. Il présenterait lr,s idées éloquentes d'Etienne comme étendard de l'agitation révolutionnaire, de manière à éveiller de la répulsion chez les compagnons les moins vigilants, habitués à pactiser avec le mal sous prétexte d'une tolérance conciliante. Il allierait les textes de la Loi de Moïse et ceux des Écrits sacrés pour justifier qu'il devait mener les déserteurs des principes de la race jusqu'à ce que mort s'en suive. Il démontrerait le caractère irrépréhensible de sa conduite inflexible. Il ferait tout pour conduire Simon Pierre en prison. À son avis, ce devait être lui l'auteur intellectuel du subtil complot qui se manigançait autour de la mémoire du dit charpentier. Emporté par ses idées précipitées, il en arrivait à penser que personne ne serait épargné par ses décisions irrévocables.

En ce jour qui fut marqué par la visite aux autorités les plus en vue dans l'intention de les gagner à. sa cause, d'autres faits surprenants sont venus aggraver les préoccupations qui l'assaillaient. Osée Marc et Samuel Natan, deux compatriotes très riches de Jérusalem, après avoir entendu la défense d'Etienne au Sanhédrin, impressionnés par l'éloquence et la justesse des concepts de l'orateur, distribuèrent à leurs enfants la partie de l'héritage revenant à chacun, et donnèrent au « Chemin » le reste de leurs biens. Pour cela, ils étaient allés voir Simon Pierre et avaient baisé ses mains endurcies par le travail après avoir écouté sa parole concernant Jésus-Christ.

La nouvelle se répandît dans les cercles pharisiens prenant la tournure d'un vrai scandale.

Le lendemain, face à l'agitation générale, Saûl de Tarse prit connaissance des événements que l'attitude d'Etienne avait provoqués. La défection des deux coreligionnaires se ralliant aux Galiléens lui causa un profond sentiment de révolte. On disait aussi qu'Osée et Samuel, en livrant au

« Chemin » la totalité de leurs biens, avaient déclaré en larmes qu'ils acceptaient le Christ comme le Messie promis. Les commentaires de ses amis à ce sujet l'incitaient aux plus fortes représailles. Désigné par les capricieux courants populaires comme le plus jeune défenseur de la Loi, il se sentait de plus en plus obligé de révéler son ascendant à cette charge qu'il considérait sacrée. Pour défendre son mandat, donc, il mépriserait toutes les considérations qui viendraient contredire son rigorisme où il présumait voir un devoir divin.

Face à la gravité des derniers incidents qui menaçaient la stabilité du judaïsme au sein même de ses éléments les plus éminents, il alla à nouveau voir les autorités suprêmes du Sanhédrin afin d'accélérer les répressions à venir.

Attentif à l'autorisation accordée par les plus hauts pouvoirs politiques de la province, Caifas proposa la nomination du vaillant docteur de Tarse comme chef et instigateur de toutes les mesures prises indispensables à la bonne garde et à la défense de la Loi. Il lui appartenait donc de mettre en oeuvre tous les recours qu'il jugeait nécessaires et utiles, réservant au Sanhédrin les ultimes décisions suprêmes, d'une nature plus grave.

Satisfait par le résultat de la réunion qu'il avait improvisée, le jeune tarsien fit remarquer avant de quitter ses amis :

Aujourd'hui même, je réquisitionnerai un corps de troupe qui couvrira le périmètre de la ville. Demain, j'ordonnerai la détention de Samuel et d'Osée, jusqu'à ce qu'ils se décident à retrouver la raison et, à la fin de la semaine, je m'occuperai de faire capturer la populace du « Chemin ».

Tu ne craindras pas les sortilèges, par hasard ? - a demandé Alexandre avec ironie.

Absolument pas - a-t-il répondu grave et décidé. -Sachant de ouï-dire que les militaires eux-mêmes commencent à être superstitieux sous l'influence des idées extravagantes de ces gens, je commanderai en personne l'expédition, car je prévois de jeter le dit Simon Pierre en prison.

Simon Pierre ? - a demandé l'un d'eux admiratif.

Pourquoi pas ?

Connais-tu la raison de l'absence de Gamaliel à notre rencontre d'aujourd'hui ? - lui dit l'autre.

Non.

Il se trouve qu'à l'invitation de ce même Simon, il est allé voir les installations et les activités du « Chemin ». Tu ne trouves pas tout cela extrêmement curieux ? D'une manière générale, nous avons l'impression que l'humble chef de la Galilée en désapprouvant l'attitude d'Etienne devant le Sanhédrin, désire corriger la situation, et cherche à se rapprocher de notre autorité administrative. Qui sait ? Peut-être que tout cela est bien utile. Tout au moins, il est bien possible que nous allions vers une nécessaire harmonisation.