Saûl en fut plus que surpris, il était atterré.
Mais qu'est-ce que vous me racontez là ? Gamaliel rend visite au « Chemin » ? J'en arrive à douter de son intégrité mentale.
Mais nous savons - est intervenu Alexandre - que le maître a toujours marqué ses actes et ses pensées de la plus grande correction. Serait-il juste de réfuter une telle invitation par considération pour nous autres ; néanmoins, s'il ne l'a pas fait, il ne faut pas négliger lu décision prise en conformité avec la noblesse de vues qui l'a toujours inspiré.
D'accord - dit Saûl quelque peu contrarié -cependant, malgré l'amitié et la gratitude que Je lui consacre, pas même Gamaliel pourra changer mes résolutions. Il est possible que
Simon Pierre se justifie en sortant indemne des épreuves auxquelles il sera soumis ; mais quoi qu'il en soit, il devra être conduit en prison pour les interrogatoires qui s'imposent. Je me méfie de son évidente humilité. Pour quelles raisons laisserait-il ses filets de pêcheur pour s'afficher en bienfaiteur des pauvres de Jérusalem ? Je vois en tout cela une volonté de séduction bien dissimulée. Les plus humbles et les plus ignorants vont au devant de graves dangers. Les maîtres de la destruction viendront ensuite.
Leur entretien se poursuivit animé pendant quelque temps encore autour de l'attente générale des événements qui approchaient, jusqu'à ce que Saûl se retire et retourne chez lui, prêt à résoudre les derniers détails de son plan.
L'emprisonnement d'Etienne eut dans la modeste église du « Chemin » une grande répercussion et éveilla des craintes justifiées chez les apôtres de Galilée. Pierre reçut la nouvelle avec une profonde tristesse. Il avait trouvé un assistant dévoué et un frère en Etienne. De plus, par la noblesse de ses qualités affectives, celui-ci était devenu un personnage central qui attirait toutes les attentions. Vers son front inspiré convergeaient de nombreux problèmes et l'ex-pêcheur de Capharnaum ne pouvait plus dispenser sa prestigieuse coopération. Aimé des affligés et des souffrants, il avait toujours une parole encourageante qui confortait les cœurs les plus accables. Pierre et Jean se sont inquiétés plus par attachement que pour toutes autres considérations. Néanmoins Jacques, le fils d'Alphée, ne réussissait pas à masquer son chagrin en raison de la conduite courageuse du frère de foi qui n'avait pas hésité à affronter les pouvoirs pharisiens, maîtres de la situation. Selon lui, Etienne était fautif en matière d'exhortations ; il aurait dû être plus modéré, il avait été emprisonné à cause des arguments précipités avancés pour sa propre défense. Le débat était lancé. Pierre lui faisait comprendre l'occasion qui lui était donnée de révéler la liberté de l'Évangile. Et il renforçait ses arguments par la logique des faits. La décision d'Osée et de Samuel qui s'étaient ralliés au Christ, était évoquée pour justifier le succès spirituel du « Chemin ». Toute la ville commentait les événements ; nombreux étaient ceux qui s'approchaient de l'église avec un désir sincère de mieux de connaître le Christ, et en cela résidait la victoire de la cause. Jacques, néanmoins, ne se laissait pas convaincre par les arguments les plus forts. La discorde prenait corps, mais Simon et le fils de Zébédée plaçaient les intérêts du message de Jésus avant tout. Le Maître avait affirmé être l'émissaire de tous les découragés et des malades. Et ceux-ci connaissaient déjà l'humble église de Jérusalem, s'illuminant de la parole de vie et de vérité. Les infirmes, les démunis, les délaissés du monde, les tristes allaient à sa rencontre pour entendre ses messages réconfortants. Il fallait voir comme ils se réjouissaient dans la douleur quand il leur parlait de la lumière éternelle de la résurrection. Les petits vieux tremblants ouvraient grands les yeux comme s'ils appréhendaient de nouveaux horizons aux espoirs imprévisibles. Des êtres fatigués de la lutte terrestre souriaient heureux quand en entendant la Bonne Nouvelle, ils comprenaient que l'existence arrière n'était pas tout.
Pierre observait les souffrants que Jésus avait tant aimé et ressentait de nouvelles
forces.
Informé de la noble attitude de Gamaliel face aux accusations du docteur de Tarse, et sachant qu'il avait évité la lapidation immédiate d'Etienne, il fit le projet de l'inviter à leur rendre visite dans les installations sommaires de l'église du « Chemin ». Il exposa cette idée à ses compagnons qui l'approuvèrent unanimement. Jean serait le messager choisi pour cette nouvelle tâche.
Gamaliel n'a pas seulement reçu l'émissaire cavalièrement mais il a aussi démontré un grand intérêt à cette invitation et l'accepta avec la générosité qui illuminait sa vieillesse vénérable.
Une fois prêt, le sage rabbin s'est rendu à la pauvre maison des Galiléens où il fut reçu avec une joie infinie. Simon Pierre, profondément respectueux, lui a expliqué les finalités de l'institution, il l'a éclairé concernant certains faits constatés et a parlé du réconfort dispensé à ceux qui se trouvaient dans l'abandon. Gentiment, il lui a offert une copie, en parchemin, de toutes les annotations de Matthieu sur la personnalité du Christ et ses glorieux enseignements. Attentif, Gamaliel a remercié l'ex-pêcheur, le traitant également avec respect et considération. Il laissa entendre qu'il désirait soumettre tous les programmes de l'humble église à sa respectable appréciation, Simon a donc accompagné le vieux docteur de la Loi dans toutes les dépendances. Arrivés à la longue infirmerie où s'aggloméraient les malades les plus divers, le grand rabbin de Jérusalem n'a pas pu cacher sa surprise, ému jusqu'aux larmes par le tableau qu'il avait devant ses yeux. Dans des lits accueillants, il voyait des petits vieux aux cheveux blanchis par les hivers de la vie, et des enfants pâles dont les regards reconnaissants accompagnaient la silhouette de Pierre, comme s'ils étaient en présence d'un père. Il n'avait pas fait dix pas autour des meubles simples et propres, qu'il s'est trouvé devant un petit vieux à l'aspect calamiteux. Immobilisé par la maladie qui l'affligeait, le pauvre malade a semblé aussi le reconnaître.
Et le dialogue s'est entamé sans préambule :
Samonas, toi ici ? - a interrogé Gamaliel éberlué. -Mais comment est-ce possible, tu as abandonné Césarée ?
Ah ! C'est vous Seigneur ! - a répondu l'interpellé avec une larme au coin des yeux. -
Encore heureux qu'un de mes compatriotes et amis connaît ma grande misère.
Des sanglots saisirent sa voix l'empêchant de continuer.
Mais tes enfants ? Et tes parents ? Qui détient tes propriétés de Samarie ? - demanda le vieux maître perplexe. - Ne pleure pas, Dieu a toujours beaucoup à nous donner.
Après une longue pause pendant laquelle Samonas a semblé coordonner ses idées pour s'expliquer, il réussit à sécher ses larmes et lui dit :
Ah ! Seigneur, comme Job, j'ai vu mon corps pourrir dans le confort de ma maison ; Jéhovah dans sa sagesse me réservait de longues épreuves. Dénoncé comme lépreux, j'ai en vain demandé l'aide des enfants que le Créateur m'avait accordés dans ma jeunesse. Tous m'ont abandonné. Mes parents ont rapidement disparu me laissant seul. Les amis qui s'asseyaient à ma table à Césarée, ont fui sans que je puisse les voir. Je me suis retrouvé seul et abandonné. Un jour au suprême désespoir de mon malheur, des exécuteurs de la justice sont venus me voir pour m'informer de la sentence cruelle. Conseillés par l'iniquité, mes enfants s'étaient arrangés entre eux pour me destituer de tous mes biens, prenant possession de mes propriétés et des titres qui représentaient pour moi l'espoir d'une vieillesse honnête. Finalement et au comble de mes souffrances, ils m'ont conduit à la vallée des immondes où ils m'ont abandonné comme un criminel condamné à mort. J'ai ressenti un tel abandon et une si grande faim, de tels besoins, peut-être en raison de ma vie passée au travail et dans le confort, que j'ai fui la vallée des lépreux, faisant un long voyage à pied dans l'espoir de retrouver à Jérusalem mes précieuses amitiés d'autrefois.