LA MORT D'ETIENNE
Malgré ses intenses activités, le jeune homme de Tarse n'avait pas cessé de comparaître régulièrement chez Zacarias où, dans le cœur d'Abigail, il allait trouver le repos nécessaire. Si les luttes à Jérusalem consommaient ses forces, auprès de la femme aimée il semblait les retrouver, au doux ravissement avec lequel il attendait la réalisation de ses plus chers espoirs. Il avait l'impression que le monde était un champ de bataille où il devait combattre pour La loi de Dieu et comme l'Éternel était juste et généreux, il lui avait accordé dans le dévouement de son élue un havre de consolation.
Abigail était son monde sentimental. Les luttes de chaque jour, les mesures sévères qu'imposait sa position, la rigidité avec laquelle il devait traiter les questions confiées à son forum, étaient déversées dans le cœur de sa fiancée, pleine d'amour, de miséricorde et de justice. Elle accueillait ses idées avec une attention aimante, semblait les tempérer de la tendresse de son âme fraternelle, les restituant à son cher fiancé sous forme de suggestions affectueuses et justes.
Saûl s'était habitué à ce précieux échange de chaque jour. Quand manquaient à son cœur les douces consolations de la route de Joppé, il se sentait perturbé par ses sentiments énergiques et impulsifs. Abigail corrigeait son esprit. Elle taillait les bords de son caractère violent et rude, coopérait pour atténuer la sévérité de ses décisions autoritaires. Pendant des heures le jeune tarsien s'enivrait à l'entendre comme si ses sentiments de bonté étaient un aliment doux à son âme que les raisonnements rigoureux du monde avaient l'habitude d'enflammer. Lui qui n'avait pas expérimenté les aventures galantes de son époque, désireux de conserver sa conscience pure en raison de la Loi, avait découvert dans la créature élue la personnification de tous les rêves de sa jeunesse prometteuse.
Pendant la nuit qui suivit la mémorable session du Sanhédrin, Saûl de Tarse, abandonnant toutes les préoccupations d'ordre immédiat, se rendit plus anxieusement à la résidence de Zacarias. Les fatigues du jour avaient ébranlé ses forces. Il voulait gagner rapidement de la distance, se laisser absorber par la tendresse de sa fiancée, oublier les soucis qui brûlaient son esprit travaillé par les plus troublants raisonnements.
La nuit répandait déjà son manteau de clair de lune sur la nature quand le jeune docteur franchit le seuil, surprenant la généreuse famille qu'il salua délicatement et avec affection.
La présence de sa fiancée était pour lui un doux baume qui soulageait son cœur. En quelques instants, il semblait réconforté. Pris de bonne-humeur maintenant qu'il s'abandonnait à ses chaleureuses caresses, il raconta avec enthousiasme ses derniers succès. Zacarias, en tant que pratiquant fidèle de la Loi, lui donnait entièrement raison dans le cadre des décisions assumées. La personnalité d'Etienne fut minutieusement discutée, l'ex-disciple de Gamaliel, naturellement, a présenté le sujet à sa manière, faisant le portrait du prédicateur du « Chemin» comme étant celui d'un homme intelligent et donc dangereux, en vertu des idées révolutionnaires que sa verve inspirée propageait.
Abigail et Ruth écoutaient calmes, alors que tous deux poursuivaient leur entretien
animé.
À un certain moment, attentive à un commentaire direct de Saûl, la jeune fille a demandé :
Mais n'y aurait-il pas au moins un moyen de modifier la peine arbitrée ?
Que désirerais-tu que nous fassions ? - a dit le jeune homme avec emphase. - N'est- ce pas suffisant d'avoir libéré les trois têtes les plus en évidence, si l'on tient compte de la hardiesse de leurs prêches déplacés. Quant à Etienne, tout a été fait pour qu'il retourne à sa retraite en tant que descendant direct des tribus d'Israël. Néanmoins, la révolte a été sa condamnation. Il m'a insulté publiquement au Sanhédrin, il a piétiné nos principes les plus sacrés, il a critiqué les figures les plus représentatives du pharisaïsme avec des illustrations mensongères et ingrates.
Et il conclut :
En ce qui me concerne, je suis satisfait. Je considère la lapidation comme étant l'un des faits les plus importants pour l'avenir de ma carrière. Il certifiera mon zèle à défendre notre patrimoine le plus cher. Nous devons considérer qu'Israël, dans ses jours les plus sombres, a préféré l'émancipation religieuse à l'indépendance politique. Pourrions-nous, par hasard, exposer nos valeurs morales les plus précieuses à l'influence dégradante d'un quelconque aventurier ?
Le jeune homme voulut changer le cours de la conversation, tandis que Ruth ordonnait de servir un verre de vin réconfortant.
Avant de partir, le jeune tarsien a invité sa fiancée à la promenade habituelle. Cette nuit-là, la nature semblait décorée de merveilles. Le clair de lune, qui illuminait toutes les fleurs d'un ton pâle, était saturé de parfums délicieux. Tous deux, la main dans la main, sur le banc rustique, regardaient enivrés ce magnifique tableau. Saûl ressentait un doux réconfort. Il était soulagé. Si Jérusalem assombrissait son esprit dans un tourbillon d'inquiétudes, cette demeure simple sur la route de Joppé semblait le débarrasser de tout le poids de ses dépits, lui apportant un énorme potentiel de consolation.
Maintenant, ma chérie, tout est prêt - dit-il avec sollicitude. - Aujourd'hui à six jours Dalila viendra te chercher personnellement. Tu connaîtras la ville et mes amis honoreront en ton âme généreuse mon heureux choix. Tu es contente ?
Très - a-t-elle murmuré avec tendresse.
Nous avons déjà organisé un vaste programme récréatif. Je veux t'emmener à Jéricho où des personnes de nos relations nous attendent avec une immense joie. À Jérusalem, je te ferai connaître les édifices les plus importants. Tu seras fascinée par le Temple et par les trésors qui y sont conservés par dévouement religieux de notre race. Tu verras la tour des Romains. Mes collègues qui fréquentent la Synagogue des Ciliciens veulent t'offrir un précieux cadeau.
Abigail était extasiée à l'entendre parler. Ce jeune homme impulsif et rude aux yeux étranges, mais affectueux et sensible dans l'intimité, était exactement l'homme idéal attendu par son âme tendre.
Personne ne pourra m'offrir un cadeau plus précieux que ton cœur loyal et généreux qui m'a été envoyé par Dieu - a murmuré la jeune fille avec un franc sourire.
J'ai gagné beaucoup plus - répondit le docteur de Tarse - en recevant le bijou rare de ton affection qui enrichira toute ma vie. Quelquefois, Abigail - continua-t-il avec l'enthousiasme propre à sa jeunesse rêveuse -, dans mon idéal de victoires pour Jérusalem sur les grandes villes du monde, je pense arriver à la vieillesse comme un triomphateur plein de traditions de sagesse et de gloire. Depuis que t'ai rencontrée, ma foi en ma destinée a grandi ; j'ai consolidé mes espoirs, j'aurai ton concours dans la tâche immense qui s'ouvre à mes yeux. Les Romains accordent aux triomphateurs une couronne glorieuse de lauriers et de rosés. Si un jour Jérusalem m'accorde sa couronne triomphale, je ne la porterai pas à mon front, mais je la déposerai à tes pieds en témoignage d'un amour éternel et unique.
Aujourd'hui encore - a continué Saûl confiant en l'avenir -, Gamaliel m'a informé qu'il va prochainement s'éloigner du Sanhédrin pour que je lui succède dans sa prestigieuse position. Là réside, chérie, notre première victoire aux plus grandes proportions. Dès que Dalila reviendra de Tarse, nous pourrons marquer l'heureux jour de nos noces. Je présume qu'en t'ayant toujours à mes côtés, je corrigerai mes impulsions, la tâche me sera plus légère, l'existence plus aisée et plus heureuse. Le foyer est une bénédiction. Et nous aurons ce foyer.