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Jamais je ne me suis sentie aussi heureuse -s'exclama la jeune fille avec des larmes

de joie.

Il lui caressait les mains et, comme il désirait la voir partager ses sentiments les plus profonds, il ajouta :

Tu arriveras avec nous en ville, exactement la veille de la mort du prédicateur révolutionnaire. L'acte, conformément à la règle, obéira au cérémonial établi par nos coutumes et je souhaite que tu y assistes en ma compagnie.

Mais, pourquoi ? - lui a-t-elle demandé frémissant légèrement.

Parce que là-bas nous retrouverons nos amis les plus éminents et je désire profiter de l'occasion pour te présenter, indirectement, à eux.

N'y aurait-il pas un moyen de m'épargner ce spectacle ? - a-t-elle insisté timidement. - La mort de mon père au supplice devant les soldats barbares ne m'a jamais quittée.

Saûl ne dissimula pas sa contrariété et répondit :

On dirait que tu ne comprends pas ? Le cas d'Etienne est très différent. Il s'agit d'un homme sans importance pour nous, qui s'arbore en réformateur séditieux et insolent. Sa personnalité représente en fait la continuité de l'irrespect et de l'insulte à la Loi de Moïse initiés dans un mouvement aux vastes proportions par le charpentier halluciné de Nazareth. Tu penses alors que l'on ne doit pas punir les voleurs qui attaquent une résidence ?

Ceux qui blasphèment le sanctuaire de l'Éternel ne méritent-ils pas une punition ?

Elle comprit qu'il déplairait à son fiancé qu'elle démontre une divergence d'opinion, aussi a-t-elle ajouté :

Je vois que tu as vraiment raison. Je ne dois pas discuter tes idées sages et justes. D'ailleurs, j'ai même l'intention de conquérir l'amitié de tes amis au Sanhédrin, car je ne perds pas l'espoir de leur protection en ce qui concerne Jeziel, dès que s'offrira une occasion pour de nouvelles recherches en Achaïe. Mais écoute, Saûl : si tu le permets, j'irai quand la cérémonie touchera à sa fin. D'accord ?

Notant sa bonne volonté conciliante, le jeune tarsien a exprimé un beau sourire de satisfaction.

Oui, nous sommes d'accord. J'espère, néanmoins, que tu y assisteras avec sérénité, certaine que je ne peux prendre que des décisions justes et louables dans l'accomplissement de mon devoir. Il est lamentable que le prisonnier se soit montré récalcitrant au point de m'obliger à des mesures extrêmes. Néanmoins, tu peux croire que j'ai tout fait pour éviter ce dernier recours. J'ai employé toutes les formes de clémence pour le dissuader de faire de si dangereuses allusions, mais sa conduite a été si irritante que toute complaisance est devenue pratiquement impossible.

Ils ont encore échangé, pendant de longs moments, des paroles d'affection que la nuit amicale gardait avec soin sous le manteau lumineux des étoiles. C'étaient les doux serments d'un amour immortel, béni de Dieu, objet le plus élevé de leurs pensées sanctifiées, de leurs projets et de leurs futurs espoirs.

Il était tard quand Saûl l'a quittée, retournant à Jérusalem, l'âme heureuse.

Quelques jours plus tard, Abigail, en compagnie de son fiancé et de sa sœur, se dirigea vers la ville qui présentait à ses yeux de nouveaux tableaux. Le jour même de son arrivée, la maison de Dalila s'était remplie d'amis qui allaient rendre à l'élue de Saûl un hommage en gage de leur admiration. Par ses dons naturels, alliés à une formation d'esprit solide et soignée, la jeune fille de Corinthe séduisait tout le monde. Ses paroles pleines de douceur semblaient profondément lointaines des futilités qui caractérisaient la jeunesse de l'époque. Elle savait appliquer les plus délicates idées pour traiter des sujets les plus variés sur lesquels elle était invitée à se prononcer, tirant de belles déduction de la Loi et des Écrits sacrés pour définir la position de la femme face aux devoirs les plus intimes dans le cadre de la vie familiale. Le docteur de Tarse était fier de remarquer l'admiration générale autour de sa personnalité vibrante et aimable. Synthétisant son plus grand idéal, Abigail remplissait son cœur de merveilleuses promesses. La surprise de ses amis qui le félicitaient du regard apportait à son âme ardente une joie nouvelle.

Le lendemain était clair et beau. Sous le soleil resplendissant de Jérusalem, Saûl a quitté sa fiancée bien-aimée pour s'occuper de bon matin des travaux du Sanhédrin.

Alors à tout à l'heure au Temple - dit-il affectueusement.

Au Temple ? - a demandé Dalila surprise en étreignant Abigail.

Oui - lui répondit-il gentiment -, Abigail assistera à la partie finale de la punition d'Etienne.

Mais comment cela ? - a interrogé la jeune femme. - Des femmes à la cérémonie ?

La lapidation se fera près de l'autel des holocaustes et non dans les atriums sacrés - a- t-il expliqué. À mon avis, rien ne s'opposera à ce que des femmes y assistent, et même s'il s'agit d'une résolution de dernière heure laissée au critère des prêtres, la mesure ne pourra pas toucher une décision personnelle me concernant et je désire qu'Abigail participe à mon premier triomphe pour la défense de nos principes souverains.

Toutes deux ont souri, heureuses d'observer ses excellentes dispositions.

En dernier lieu, Saûl - a dit Abigail d'un geste tranquille et tendre -, ne refuse pas d'offrir au condamné une dernière chance d'éviter la mort. Après deux mois de prison, il est possible qu'il ait changé ses sentiments les plus profonds. Demande-lui, une fois de plus, s'il insiste à insulter la Loi.

Le jeune tarsien lui a envoyé un regard satisfait de reconnaissance, heureux de constater tant de grandeur de cœur et il a répondu :

Je le ferai.

De bonne heure ce jour-là, le plus haut tribunal d'Israël présentait une agitation inhabituelle. L'exécution du prédicateur du « Chemin » était l'objet de nombreux commentaires. Les pharisiens surtout voulaient avoir toutes les informations. Personne ne voulait perdre l'angoissant spectacle. Les membres de la modeste église de Simon Pierre n'osèrent pas s'approcher. Saûl, en tant que persécuteur déclaré et s'utilisant des prérogatives de l'investiture légale, avait ordonné d'annoncer qu'aucun adepte du «Chemin» ne pourrait assister à l'exécution qui allait s'accomplir dans un des grands patios du sanctuaire. De longues files de soldats se trouvaient sur la grande place pour disperser tous groupes de mendiants qui se formeraient avec des intentions inconnues, et dès les premières heures de la matinée, de nombreux mendiants de Jérusalem étaient éloignés des environs à coups de bâtons.

Après midi, des autorités et des curieux se réunirent, avides de sensation, dans l'enceinte du Sanhédrin dans un brouhaha étouffé. On attendait le condamné qui est finalement arrivé entouré d'une escorte armée comme s'il s'agissait d'un malfaiteur ordinaire.

Etienne était bien défiguré même si son visage ne trahissait pas cette sérénité qui lui était caractéristique. Le pas lent, la fatigue extrême, les ecchymoses à ses mains et à ses pieds témoignaient des lourdes souffrances physiques qui lui avaient été infligées à l'ombre du cachot. Une longe barbe modifiait sa physionomie, néanmoins, ses yeux exprimaient toujours la même fulgurance de sa bonté cristalline.

Face à la curiosité générale, Saûl de Tarse l'a dévisagé satisfait. Etienne paierait finalement ses incompréhensions et ses insultes.

À l'instant convoqué, le docteur inflexible a fait la lecture de l'acte. Mais avant de prononcer l'ultime sentence, fidèle à sa promesse, il ordonna aux soldats d'amener le condamné jusqu'à sa tribune. Affrontant le prédicateur de l'Évangile, sans aucune expression de pitié, il l'a interrogé avec rudesse :