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Sincèrement, chéri, moi aussi je désirerais revivre !... Être tienne, entretenir tes rêves de jeunesse, inventer des étoiles pour le ciel de ton existence ; tout cela constitue mon idéal de femme !... Ah ! Si je le pouvais, j'irais voir tes parents avec amour, je partirais à la conquête de leur cœur, au prix d'une grande affection ; mais je pressens que les plans de Dieu sont autres en ce qui concerne nos destins. Jésus me rappelle à sa famille spirituelle...

Pauvre de moi ! - s'exclama Saûl lui coupant la parole - de toute part, je me heurte à l'image du charpentier de Nazareth ! Quel fléau ! Ne dis pas de telle chose. Dieu ne serait pas juste s'il t'arrachait à mon affection. - Qui pourrait, alors, comme ce Christ, s'opposer à nos vœux ?

Mais d'un geste suppliant, Abigail le fixa et lui dit :

Saûl, à quoi bon se désespérer ? Ne vaudrait-il pas mieux nous incliner avec patience devant les desseins sacrés ? Ne nourrissons pas de doutes préjudiciables. Ce lit est fait de méditation et de foi, le sang, à plusieurs reprises, m'a déjà étouffée me prédisant la fin. Mais nous croyons en Dieu et nous savons que cette fin n'est que corporelle. Notre âme ne mourra pas, nous nous aimerons éternellement...

Je ne suis pas d'accord - répondit-il extrêmement affligé -, ces présomptions sont le fruit d'enseignements absurdes, comme ceux de ce fanatique nazaréen qui est mort sur la croix entre l'humiliation et la lâcheté. Jamais tu n'as été aussi mélancolique et découragée ; seules les sorcelleries des Galiléens pouvaient te convaincre de telles absurdités funestes. Mais, cherche à raisonner par toi-même ! Que t'a donné le crucifié si ce n'est la tristesse et la désolation ?

Tu te trompes, Saûl ! Je ne me sens pas abattue, bien que convaincue de l'impossibilité de mon bonheur sur terre. Jésus n'a pas été un maître vulgaire de sortilèges, il a été le Messie qui a répandu la consolation et la vie. Son influence a renouvelé mes forces, m'a remplie d'enthousiasme et d'une vraie compréhension des concepts suprêmes. Son Évangile de pardon et d'amour est le trésor divin des malades et des démunis en ce monde.

Le jeune homme n'arrivait pas à dissimuler l'irritation qui envahissait son âme.

Toujours le même refrain - a-t-il dit confus -invariablement, l'affirmation d'être venu pour les malheureux, les malades et les déshérités. Mais, les tribus d'Israël ne se composent pas seulement de créatures de cette espèce. Et les hommes valeureux du peuple élu? Et les familles de traditions respectables ? Seraient-ils privés de l'influence du Sauveur ?

J'ai lu les enseignements de Jésus - a répondu la jeune femme avec fermeté - et je pense comprendre tes objections. Le Christ, en accomplissant la parole sacrée des prophètes, nous révèle que la vie est un ensemble de nobles afflictions de l'âme afin que nous allions vers Dieu par les droits chemins. Nous ne pouvons concevoir le

Créateur comme un juge oisif et lointain, mais comme un Père voué aux bienfaits de ses enfants. Les hommes valeureux à qui tu fais référence, les exemptés des maladies et des souffrances, en possession de bénédictions réelles de Dieu, devraient être des enfants vaillants, soucieux d'accomplir la tâche qu'ils ont été appelés à mener à bien, au profit du bonheur de leurs frères. Mais dans le monde, contre nos tendances supérieures, l'ennemi s'installe dans notre propre cœur. L'égoïsme attaque la santé, la jalousie nuit au mandat divin, comme la rouille et la teigne abîment nos vêtements et nos objets quand nous les négligeons. Ils sont rares ceux qui se rappellent de la protection divine dans les jours joyeux de l'abondance, tout comme rares sont ceux qui travaillent ignorant l'aiguillon. Cela démontre que le Christ est un guide pour tous, il est une consolation pour ceux qui pleurent et une orientation pour les âmes éclairées appelées par Dieu à contribuer aux intérêts sacrés du bien.

Saûl était impressionné par cette clarté de raisonnement. Mais la conversation exigeait de la patiente de plus grands efforts et augmentait d'autant sa fatigue. Sa respiration était devenue difficile et le sang ne tarda pas à jaillir de sa poitrine dans une hémoptysie prolongée. Cette souffrance, marquée de tendresse et d'humilité, émouvait et exaspérait profondément son fiancé. Il comprit qu'il serait impitoyable d'attaquer dans de telles circonstances ce Jésus qu'il devait poursuivre jusqu'au bout. Il ne voulait pas croire que son Abigail était à la veille de mourir. Il préférait regarder l'avenir avec optimisme. Une fois rétablie, il la ferait revenir à ses anciens points de vue. Il ne tolérerait pas l'intromission du Christ dans le sanctuaire domestique. Dans son effort introspectif, néanmoins, il en conclut qu'il devait faire une trêve à ses pensées antagoniques pour cogiter des problèmes essentiels à sa propre tranquillité. Après la crise qui dura quelques longues et tristes minutes, la jeune patiente avait retrouvé ses grands yeux calmes et lucides. La contemplant dans cette douce attitude de suprême résignation, Saûl de Tarse ressentit de tendres commotions. Son tempérament impétueux se livrait facilement aux sentiments extrêmes. Les yeux larmoyants, il s'approcha davantage de sa fiancée bien-aimée. Il désira la caresser comme il l'aurait fait à un enfant.

Abigail - a-t-il murmuré tendrement -, ne parlons plus d'idées religieuses. Pardonne- moi! Rappelons-nous de notre florissant avenir, oublions tout pour consolider nos plus beaux espoirs.

Ses paroles bouillonnaient ardentes d'émotion. L'affection qu'il manifestait était le symptôme du repentir et des aspirations nobles et sincères qui travaillaient, maintenant, son esprit angoissé. Néanmoins, comme si elle était prisonnière d'un étrange abattement après de si grands efforts, la jeune fille de Corinthe était languissante, craignant de continuer leur conversation, vu les quintes qui la menaçaient fréquemment. Inquiet, il a compris ce qui se passait et serrant ses mains transparentes, il les a tendrement embrassées.

Tu dois te reposer - a-t-il dit sur un ton aimant -, ne t'inquiète pas pour moi. Je te donnerai de mes propres forces. Bientôt tu seras rétablie.

Et après l'avoir enveloppée d'un regard plein de gratitude et d'une infinie tendresse, il conclut :

Je reviendrai te voir tous les soirs dès que je pourrai m'éloigner de Jérusalem, et quand tu le pourras nous retournerons voir le clair de lune dans le jardin pour que la nature bénisse nos rêves sous les yeux de Dieu.

Oui, Saûl - a-t-elle dit posément -, Jésus nous accordera le meilleur. De toute manière, tu seras à jamais dans mon cœur, pour toujours, toujours...

Le docteur de la Loi allait se retirer mais il se dit que sa fiancée ne lui avait pas parlé de son frère. La générosité de ce silence l'impressionnait. Il aurait préféré être accusé, discuter les faits et leurs pénibles circonstances pour se justifier. Mais, au lieu des reproches, il trouvait des caresses plutôt que de la réprobation et une tranquillité généreuse où la douce jeune fille savait occulter les profondes blessures qu'elle avait dans l'âme.

Abigail - s'est-il exclamé quelque peu hésitant -, avant de partir, franchement je voudrais savoir si tu m'as pardonné pour la mort d'Etienne. Jamais plus, je n'ai pu te parler des circonstances qui m'ont amené à un épilogue aussi triste ; néanmoins, je suis convaincu que ta bonté a oublié mon erreur.

Pourquoi te rappelles-tu de cela ? - lui a-t-elle répondu s'efforçant de garder une voix ferme et claire. -Mon âme est maintenant en paix. Jeziel est avec le Christ et il est mort en t'adressant une pensée amicale. De quoi pourrais-je me plaindre, si Dieu a été si miséricordieux envers moi ? Maintenant encore, je remercie le juste Père de tout mon cœur pour le don de ta présence dans cette maison. Depuis longtemps, je demande au ciel de ne pas me laisser mourir sans t'avoir revu et entendu.

Saûl calcula l'extension de cette générosité spontanée et ressentit l'émotion lui monter aux yeux. Il s'est retiré. La nuit fraîche était pleine de suggestions pour son esprit. Jamais il n'avait médité aux insondables desseins de l'Éternel comme à cet instant là où il avait reçu une aussi profonde leçon d'humilité et d'amour de la part de la femme aimée. Il éprouvait dans son âme oppressée le choc de deux forces antagoniques qui luttaient entre elles pour posséder son cœur généreux et impulsif.