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La ville passait par les mouvements de révolte de nombreux esclaves, mais son petit foyer continuait dans la même paix de ceux qui travaillent avec dévouement, obéissant à Dieu.

L'humiliation ressentie éveillait dans son imagination le souvenir des périodes les plus difficiles de l'histoire de sa race. Pour quelle raison et jusqu'à quand les Israélites souffriraient-ils de la persécution des éléments les plus puissants du monde ? Quel était le motif qui faisait qu'ils étaient toujours stigmatisés comme des êtres indignes et misérables où que ce soit sur terre ? Et pourtant, ils aimaient sincèrement ce Père de justice et d'amour qui veillait des cieux sur la grandeur de leur foi et pour l'éternité sur leur destinée. Alors que les autres peuples se livraient à l'abandon des forces spirituelles transformant les espoirs sacrés en expressions d'égoïsme et d'idolâtrie, Israël soutenait la loi d'un Dieu unique s'efforçant en toutes circonstances de conserver intact son patrimoine religieux avec sacrifice et au mépris de son indépendance politique.

Contrarié, le pauvre homme méditait sur son sort.

Jochedeb avait été un mari dévoué qui était devenu veuf quand le dit Licinius Minucius, quêteur de l'Empire, quelques années auparavant, avait entamé d'infâmes actions dans Corinthe afin de punir certains éléments mécontents et rebelles de la population. Sa grande fortune personnelle en fut extrêmement réduite et il dut supporter le coup d'un emprisonnement injuste résultant de fausses accusations qui lui valurent de lourds déboires et de terribles confiscations. Sa femme n'avait pas résisté aux coups successifs qui avaient fatalement blessé son cœur sensible, et rongée par un âpre désespoir, elle s'était enfoncée dans la mort le laissant avec ses deux enfants qui étaient une couronne d'espoir à sa laborieuse existence. Jeziel et Abigail grandissaient sous la protection de ses bras aimants et, pour eux, consacrant à Dieu ses expériences de vie les plus sacrées face à l'accumulation des devoirs domestiques sacrés, il sentait que le temps avait précocement blanchi ses cheveux. À son esprit surgit alors avec vigueur la gracieuse silhouette de ses enfants. C'était une consolation que de goûter pour eux aux saveurs agréables des expériences du monde. Le trésor filial compensait les flagellations de chaque incident de parcours.

L'évocation du foyer, où l'amour caressant de ses enfants nourrissait ses espoirs paternels, le soulagea de son dépit.

Qu'importait la brutalité du Romain conquérant, quand sa vieillesse s'auréolait des affections les plus chères à son cœur ? Ressentant une résignation consolatrice, il est arrivé au marché où il s'approvisionna.

L'activité n'était pas aussi intense que d'habitude, néanmoins, il y avait une certaine concurrence d'acheteurs, principalement des libérés et des petits propriétaires qui affluaient des routes de Cenchrées.

Il avait à peine fini ses achats de poisson et de légumes qu'une luxueuse litière s'est arrêtée au milieu de la place d'où sortit un officier patricien tenant un long parchemin. D'un signe, il demanda le silence, ce qui fit taire toutes les voix et la parole de l'étrange personnage a vibré fort à la lecture fidèle du décret :

- « Licinius Minucius, quêteur de l'Empire et légat de César, chargé d'ouvrir dans cette province une instruction pour rétablir l'ordre dans toute l'Achaïe, invite tous les habitants de Corinthe qui se considèrent floués dans leurs Intérêts personnels ou qui ont besoin d'un soutien légal, à comparaître demain, à midi, au palais provincial, près du temple de Vénus Pandémos, afin d'exposer leurs plaintes et réclamations qui seront traitées par les autorités compétentes. »

Une fois qu'il eut lu l'arrêt, le messager est retourné à son élégant véhicule porté par des bras d'esclaves herculéens, et il disparut au premier coin de rue dans un nuage de poussière que le vent fort du matin souleva tourbillonnant.

Parmi les badauds différents avis et commentaires surgirent immédiatement.

Les plaignants étaient innombrables. Dès leur arrivée, le légat et ses préposés prirent possession du petit patrimoine territorial de la majorité des familles les plus humbles dont la situation financière ne leur permettait pas de payer un procès au forum provincial, d'où la vague d'espoirs qui domina le cœur de bon nombre d'entre eux et l'avis pessimiste de certains autres qui ne voyaient dans ce décret qu'une nouvelle ruse pour obliger les réclamants à payer très cher leurs revendications légitimes.

Jochedeb, qui avait entendu le communiqué officiel, se plaça immédiatement parmi ceux qui se jugeaient en droit d'attendre une indemnisation légitime pour les préjudices dont il avait souffert en d'autres temps. Enthousiasmé à cette idée, il prit le chemin du retour, choisissant un parcours plus long afin d'éviter une nouvelle rencontre avec ceux qui l'avaient rudement humilié.

Il avait à peine entamé son chemin qu'est apparu devant lui de nouveaux groupes de militaires romains qui conversaient bruyamment et allègrement à la clarté du matin.

Confronté au premier groupe de tribuns et se sentant la cible de fâcheux commentaires qui transparaissaient dans leurs rires sarcastiques, le vieil Israélite se dit : -« Devrais-Je les saluer ou passer mon chemin silencieux et respectueux comme j'ai cherché à le faire à mon arrivée ? » Désireux d'éviter un nouveau pugilat qui aggraverait les humiliations de ce jour, il s'est courtoisement incliné comme un misérable esclave et a murmuré timidement :

Salut, valeureux tribuns de César !

Il avait à peine fini de le dire qu'un officier à la physionomie dure et impassible s'est approché, s'écriant pris de colère :

Comment oses-tu ? Un Juif qui s'adresse impunément à des patriciens ? La tolérance condamnable de l'autorité provinciale en est arrivée à ce point ? Rendons justice de nos propres mains.

Et de nouvelles gifles ont fouetté le douloureux visage du malheureux qui dut concentrer toutes ses énergies pour ne pas se laisser aller à une réaction désespérée quelle qu'elle soit. Sans émettre un seul mot, le fils de Jared s'est soumis à la cruelle punition. Son cœur palpitant semblait crever d'angoisse dans sa poitrine vieillie, alors que son regard reflétait l'intense révolte qui montait de son âme oppressée. Incapable de coordonner ses idées face à l'agression inattendue, dans son humble attitude il a remarqué que, cette fois, le sang jaillissait de ses narines tachant sa barbe blanche et le modeste lin de ses vêtements. Ce qui n'a pas affecté l'agresseur pour autant qui, finalement, a assené un dernier coup de poing sur son front ridé en maugréant :

File, insolent !

Retenant difficilement le panier qui était suspendu à son bras tremblant, Jochedeb s'est avancé chancelant, étouffant l'explosion de son extrême désespoir. « Ah ! Être vieux I » - pensait-il.

Simultanément, des symboles de foi modifièrent ses dispositions spirituelles et il entendit en lui la parole antique de la Loi : - « Tu ne tueras point ». Mais les enseignements divins, à son avis, dans la voix des prophètes lui conseillaient plutôt de répondre à l'offense -« œil pour œil, dent pour dent ». Il gardait à l'esprit l'envie d'user de représailles comme remède aux réparations dont il se jugeait en droit ; mais ses forces physiques n'étaient plus maintenant en mesure de réagir.

Profondément humilié et pris d'angoissantes pensées, il est rentré chez lui chercher conseil auprès de ses enfants bien-aimés dont l'attachement lui apporterait, certainement, l'inspiration nécessaire.

Son modeste domicile n'était plus très loin maintenant et à une certaine distance encore, toujours sous le coup de la contrariété, il pouvait apercevoir le simple et petit toit qui abritait tout ce qu'il avait de plus cher. Rapidement, il a parcouru la rue qui débouchait sur une petite porte en bois brute presque noyée dans les rosiers d'Abigail qui exhalaient un parfum fort et délicieux. De grands arbres verts répandaient une fraîcheur à l'ombre qui atténuait l'ardeur du soleil. Au loin, il pouvait entendre une voix claire et amicale. Son cœur paternel l'avait reconnue. À cette heure-là, conformément au programme qu'il avait lui-même tracé, Jeziel labourait la terre, la préparant pour les premières semences. La voix de son fils semblait se marier à la joie du soleil. La vieille chanson hébreue qui sortait de ses lèvres chaudes pleines de Jeunesse, était un hymne d'exaltation au travail et à la nature. Les vers harmonieux parlaient de l'amour de la terre et de la protection constante de Dieu. Le généreux père retenait difficilement ses larmes. La mélodie populaire lui suggérait un monde de réflexions. N'avait-il pas travaillé pendant toute sa vie ? Ne se présumait-il pas comme étant un homme honnête dans ses moindres actes pour nr Jamais perdre le titre de juste ? Néanmoins, le sang de la persécution cruelle était là coulant de sa barbe vénérable sur sa tunique blanche indemne de toute souillure qui aurait pu tourmenter sa conscience.