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« Je suis venu récupérer des malles de livres qu’elle a laissées pour moi, ici, à Bujumbura. »

« Alors tu es revenu pour un tas de livres ? » Armand éclate de rire. J’en fais autant, l’absurdité de mon projet m’apparaît pour la première fois. Nous poursuivons notre discussion. Il me parle du coup d’État qui a suivi mon départ, de l’embargo que subit le pays, des longues années de guerre, des nouveaux riches, des mafias locales, des médias indépendants, des ONG qui emploient la moitié de la ville, des églises évangélistes qui fleurissent partout, du conflit ethnique qui a peu à peu disparu de la scène politique. La voix chantonne à nouveau à mon oreille. Je saisis le bras d’Armand. Je balbutie : « Tu entends… » Je me mords la lèvre. Je tremble. Armand pose sa main sur mon épaule. « Gaby, je ne savais pas comment te le dire. Je préférais que tu le découvres par toi-même. Elle vient ici tous les soirs depuis des années… » La voix, une voix d’outre-tombe, me pénètre les os. Murmure une histoire de taches au sol qui ne partent pas. Je bouscule des ombres, trébuche contre des casiers de bières, tâtonne dans le noir, m’approche du fond de la cabane. Recroquevillée sur le sol, dans l’angle de la pièce, elle tète au chalumeau un alcool artisanal. Je la retrouve vingt ans plus tard, qui ont compté cinquante sur son corps méconnaissable. Je me penche vers la vieille dame. J’ai l’impression qu’elle me reconnaît, à la façon dont elle me fixe à la lueur du briquet que j’approche de son visage. Avec une tendresse infinie, Maman pose délicatement sa main sur ma joue : « C’est toi, Christian ? »

J’ignore encore ce que je vais faire de ma vie. Pour l’instant, je compte rester ici, m’occuper de Maman, attendre qu’elle aille mieux.

Le jour se lève et j’ai envie de l’écrire. Je ne sais pas comment cette histoire finira. Mais je me souviens comment tout a commencé.