Tantôt faire voler un char sur le rivage,
Tantôt, savant dans l'art par Neptune inventé,
Rendre docile au frein un coursier indompté.
Les forêts de nos cris moins souvent retentissent.
Chargés d'un feu secret, vos yeux s'appesantissent.
Il n'en faut point douter: vous aimez, vous brûlez;
Vous périssez d'un mal que vous dissimulez.
La charmante Aricie a-t-elle su vous plaire?
HIPPOLYTE
Théramène, je pars, et vais chercher mon père.
THERAMENE
Ne verrez-vous point Phèdre avant que de partir,
Seigneur?
HIPPOLYTE
C'est mon dessein: tu peux l'en avertir.
Voyons-la, puisqu'ainsi mon devoir me l'ordonne.
Mais quel nouveau malheur trouble sa chère OEnone?
SCENE II – HIPPOLYTE, OENONE, THERAMENE
OENONE
Hélas! Seigneur, quel trouble au mien peut être égal?
La Reine touche presque à son terme fatal.
En vain à l'observer jour et nuit je m'attache:
Elle meurt dans mes bras d'un mal qu'elle me cache.
Un désordre éternel règne dans son esprit.
Son chagrin inquiet l'arrache de son lit.
Elle veut voir le jour; et sa douleur profonde
M'ordonne toutefois d'écarter tout le monde…
Elle vient.
HIPPOLYTE
Il suffit: je la laisse en ces lieux,
Et ne lui montre point un visage odieux.
SCENE III – PHEDRE, OENONE
PHEDRE
N'allons point plus avant. Demeurons, chère OEnone.
Je ne me soutiens plus, ma force m'abandonne.
Mes yeux sont éblouis du jour que je revoi,
Et mes genoux tremblants se dérobent sous moi.
Hélas!
OENONE
Dieux tout-puissants! que nos pleurs vous apaisent.
PHEDRE
Que ces vains ornements, que ces voiles me pèsent!
Quelle importune main, en formant tous ces noeuds,
A pris soin sur mon front d'assembler mes cheveux?
Tout m'afflige et me nuit, et conspire à me nuire.
OENONE
Comme on voit tous ses voeux l'un l'autre se détruire!
Vous-même, condamnant vos injustes desseins,
Tantôt à vous parer vous excitiez nos mains;
Vous-même, rappelant votre force première,
Vous vouliez vous montrer et revoir la lumière.
Vous la voyez, madame, et prête à vous cacher,
Vous haïssez le jour que vous veniez chercher?
PHEDRE
Noble et brillant auteur d'une triste famille,
Toi, dont ma mère osait se vanter d'être fille,
Qui peut-être rougis du trouble où tu me vois,
Soleil, je te viens voir pour la dernière fois.
OENONE
Quoi! vous ne perdrez point cette cruelle envie?
Vous verrai-je toujours, renonçant à la vie,
Faire de votre mort les funestes apprêts?
PHEDRE
Dieux! que ne suis-je assise à l'ombre des forêts!
Quand pourrai-je, au travers d'une noble poussière,
Suivre de l'oeil un char fuyant dans la carrière?
OENONE
Quoi, Madame?
PHEDRE
Insensée, où suis-je? et qu'ai-je dit?
Où laissé-je égarer mes voeux et mon esprit?
Je l'ai perdu: les Dieux m'en ont ravi l'usage.
OEnone, la rougeur me couvre le visage:
Je te laisse trop voir mes honteuses douleurs,
Et mes yeux, malgré moi, se remplissent de pleurs.
OENONE
Ah! s'il vous faut rougir, rougissez d'un silence
Qui de vos maux encore aigrit la violence.
Rebelle à tous nos soins, sourde à tous nos discours,
Voulez-vous sans pitié laisser finir vos jours?
Qulle fureur les borne au milieu de leur course?
Quel charme ou quel poison en a tari la source?
Les ombres par trois fois ont obscurci les cieux
Depuis que le sommeil n'est entré dans vos yeux;
Et le jour a trois fois chassé la nuit obscure
Depuis que votre corps languit sans nourriture.
A quel affreux dessein vous laissez-vous tenter?
De quel droit sur vous-même osez-vous attenter?
Vous offensez les Dieux auteurs de votre vie;
Vous trahissez l'époux à qui la foi vous lie;
Vous trahissez enfin vos enfants malheureux,
Que vous précipitez sous un joug rigoureux.
Songez qu'un même jour leur ravira leur mère,
Et rendra l'espérance au fils de l'étrangère,
A ce fier ennemi de vous, de votre sang,
Ce fils qu'une Amazone a porté dans son flanc,
Cet Hippolyte…
PHEDRE
Ah, dieux!
OENONE
Ce reproche vous touche.
PHEDRE
Malheureuse, quel nom est sorti de ta bouche?
OENONE
Hé bien! votre colère éclate avec raison:
J'aime à vous voir frémir à ce funeste nom.
Vivez donc. Que l'amour, le devoir vous excite,
Vivez, ne souffrez pas que le fils d'une Scythe,
Accablant vos enfants d'un empire odieux,
Commande au plus beau sang de la Grèce et des Dieux.
Mais ne différez point: chaque moment vous tue.
Réparez promptement votre force abattue,
Tandis que de vos jours, prêts à se consumer,
Le flambeau dure encore, et peut se rallumer.
PHEDRE
J'en ai trop prolongé la coupable durée.
OENONE
Quoi? de quel remords êtes-vous déchirée?
Quel crime a pu produire un trouble si pressant?
Vos mains n'ont point trempé dans le sang innocent?
PHEDRE
Grâces au ciel, mes mains ne sont point criminelles.
Plût aux Dieux que mon coeur fût innocent comme elles!
OENONE
Et quel affreux projet avez-vous enfanté,
Dont votre coeur encor doive être épouvanté?
PHEDRE
Je t'en ai dit assez. Epargne-moi le reste.
Je meurs pour ne point faire un aveu si funeste.
OENONE
Mourez donc, et gardez un silence inhumain;
Mais pour fermer vos yeux cherchez une autre main.
Quoiqu'il vous reste à peine une faible lumière,
Mon âme chez les morts descendra la première.
Mille chemins ouverts y conduisent toujours,
Et ma juste douleur choisira les plus courts.
Cruelle, quand ma foi vous a-t-elle déçue?
Songez-vous qu'en naissant mes bras vous ont reçue?
Mon pays, mes enfants, pour vous j'ai tout quitté.
Réserviez-vous ce prix à ma fidélité?
PHEDRE
Quel fruit espères-tu de tant de violence?
Tu frémiras d'horreur si je romps le silence.
OENONE
Et que me direz-vous qui ne cède, grands Dieux!
A l'horreur de vous voir expirer à mes yeux?
PHEDRE
Quand tu sauras mon crime, et le sort qui m'accable,
Je n'en mourrai pas moins, j'en mourrai plus coupable.
OENONE
Madame, au nom des pleurs que pour vous j'ai versés,
Par vos faibles genoux que je tiens embrassés,
Délivrez mon esprit de ce funeste doute.
PHEDRE
Tu le veux. Lève-toi.
OENONE
Parlez: je vous écoute.
PHEDRE
Ciel! que vais-je lui dire? Et par où commencer?
OENONE
Par de vaines frayeurs cessez de m'offenser.