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— Eh bien ! fit-elle, mais où allez-vous comme cela ?

L'escalier était mal éclairé, par une torche fichée dans un anneau de fer, mais il l'était assez pour qu'elle pût constater que les deux garçons étaient rouges jusqu'à la racine des cheveux. Même le jeune Chazay semblait avoir perdu de son habituelle assurance.

— Alors ? Vous avez perdu votre langue ? Où allez- vous ?

Ce fut Bérenger qui se dévoua et prit la parole :

— Nous allions... euh... faire un tour dehors. Il fait si chaud, là-haut, que nous n'arrivons pas à dormir...

— C'est vrai, appuya Gauthier, il fait terriblement chaud.

— Tant que cela ? Je n'avais pas remarqué. La journée, en effet, a été assez chaude, mais ce soir il fait presque frais...

— Pas là-haut ! fit Gauthier d'un ton pénétré. Le soleil a tapé toute la journée et le toit a gardé la chaleur. On pourrait même croire qu'il va faire de l'orage.

Mais ces considérations barométriques et thermométriques paraissaient peu claires à Catherine. Elles n'expliquaient pas la rougeur des deux compères, à moins qu'il ne fît vraiment, là-haut, une chaleur de four, ce qui n'était sûrement pas le cas.

Elle se souvint, tout à coup, des protestations indignées de Dame Rigoberte, le matin même, à cause de certain voisinage qu'elle jugeait désobligeant pour une honnête femme : celui d'un cabaret ouvert depuis peu, près de la porte du Grand-Pont, presque en face de la maison, et qui drainait sans peine la clientèle des mariniers et de tous les garçons du comptoir commercial. La femme de charge avait ajouté que le tavernier, un certain Courtot, s'était assuré les services de «

trois filles follieuses » qui remportaient le plus vif succès auprès des clients.

Catherine dévisagea l'un après l'autre les deux garçons, insistant plus particulièrement sur Gauthier.

— Vous n'auriez pas plutôt l'idée d'allez vous... rafraîchir au cabaret de Courtot ? Il n'est pas besoin de tant de précautions pour aller simplement prendre l'air...

Bérenger s'apprêtait déjà à nier, mais son compagnon lui imposa silence :

— Je n'aime pas mentir, affirma-t-il avec une certaine hauteur.

C'est vrai, nous allons chez Courtot. Je ne vous ai jamais caché que j'aime les filles, Dame Catherine. Je vais peut-être vous faire horreur... mais je suis de ceux qui ne peuvent s'en passer. Alors, je vais à la taverne...

La brutale franchise du jeune homme ne choqua pas Catherine, justement parce qu'elle y voyait avant tout de la franchise. Aussi ne fit-elle aucun commentaire se contentant de désigner le page :

— Bérenger n'a pas votre âge... ni vos besoins.

— Je sais. Et je ne voulais pas l'emmener...

— Mais je l'ai menacé de faire tant de bruit qu'il ne pourrait pas sortir, coupa Bérenger sans s'émouvoir. Je n'ai peut-être pas son âge, mais, moi aussi, je suis un homme, Dame Catherine, et à ne rien vous cacher...

— Si vous faites allusion à vos... parties de pêche du côté de Montarnal, Bérenger, j'aime autant vous dire tout de suite que vous ne m'apprenez rien. Mais, entre cela et aller vous encanailler dans une gargote avec des filles faciles, il y a un monde. Je croyais que vous aimiez... votre... compagne de pêche ?

Le page baissa la tête.

— C'est vrai, Dame ! Je l'aime et cela n'a rien à voir. Mais je ne sais quand je la reverrai et il n'y a aucune raison pour que je ne m'amuse pas, moi aussi. Je suis un homme, que Diable !

— Laissez le Diable où il est. Vous n'en avez que faire ! Et répondez-moi plutôt, bien franchement, à une seule question.

— Laquelle ?

— Ces filles du cabaret de Courtot... Avez-vous vraiment envie de les approcher ?

Le jeune garçon jeta à son aîné un regard qui appelait au secours, si ingénument angoissé que l'étudiant se mit à rire. D'un revers de main, il ébouriffa la tignasse du page et se chargea de répondre pour lui.

— Bien sûr que non ! Mais c'est bon, hein, mon gars, quand on n'a pas encore de barbe au menton de s'imaginer qu'on est grand ? Allez, viens te coucher !

— Non ! Je veux aller avec toi...

— Alors, justement, viens !... je vais me coucher. Comme ça, tu seras bien sûr d'avoir vraiment agi en homme.

Après un salut gauche à l'adresse de leur maîtresse, ils remontèrent l'escalier.

La jeune femme les suivit des yeux tant qu'ils furent visibles avec un soulagement profond. Elle était reconnaissante à Gauthier de ce sacrifice fraternel. Il donnait la mesure de la qualité du garçon : violent, courageux, volontiers grossier et hâbleur, le jeune Chazay découvrait parfois, au hasard d'un geste ou d'une parole, un coin d'âme demeuré résolument juvénile.

Avec Catherine, il lui arrivait d'être d'une hardiesse qui frisait l'insolence et, parfois, il avait une façon de la regarder qui lui faisait penser qu'aux yeux de ce garçon elle était beaucoup plus une femme qu'une maîtresse.

Mais, avec Bérenger, qu'il rudoyait souvent, il avait des gestes pleins de délicatesse, comme si lui et le page eussent été frères. Des gestes que, certainement, les aînés Roquemaurel n'auraient pas eus...

Néanmoins, en rentrant chez elle, Catherine était soucieuse. Ces jours qui restaient à vivre avant le mariage royal l'inquiétaient. La chaleur de cette fin de printemps semblait faire éclore les appétits secrets encore beau coup plus vite que les églantines sur les buissons des chemins. L'inaction ne valait rien à personne. Si elle n'y veillait de près, les deux garçons pourraient bien faire quelque sottise...

Quant à Jacques, malgré son labeur de la journée, réussirait-il à tenir la promesse qu'il venait de lui faire, et, encouragé par cette intimité dans laquelle ils vivaient, saurait-il retenir les mots qui, ce soir, lui étaient montés si facilement aux lèvres ?

Et puis, il y avait elle-même. Tout à l'heure, elle avait bien failli se laisser surprendre et il lui avait fallu faire appel à toute son honnêteté, ainsi qu'au souvenir des siens, pour ne pas écouter d'une oreille complaisante une musique somme toute bien agréable. Qui pouvait dire si la tentation ne se ferait pas plus forte ? Depuis le jour de l'Aigle d'Or, où, le vin aux herbes aidant, elle s'était carrément offerte à Tristan, Catherine avait appris à se méfier d'elle-même.

Elle se déshabilla, brossa ses cheveux longuement, opération qui, sans l'aide de Sara, se révélait singulièrement fatigante, les tressa pour la nuit, puis s'agenouilla au pied de son lit afin de dire sa prière du soir.

Elle y puisait, en général, un certain réconfort. Ses résolutions en sortaient mieux trempées. Mais ce soir-là - était-ce après tout la chaleur ? - elle ne parvint même pas à fixer son esprit sur les paroles qu'elle murmurait. Elle défilait les oraisons l'une après l'autre comme une mécanique, sans que son esprit y prît la moindre part. Tant et si bien même qu'elle se trompa, s'embrouilla, voulut recommencer, se trompa encore et, finalement, découragée, souffla sa chandelle et se glissa dans son lit.

Là, étendue sur le dos, les mains croisées sur sa poitrine, elle ferma les yeux et s'efforça de trouver le sommeil sans y parvenir.

De l'autre côté de la cloison où s'appuyait la tête de son lit, quelqu'un marchait en s'efforçant d'assourdir le bruit de ses pas et ce quelqu'un, elle savait parfaitement que c'était Jacques. Il arpentait sa chambre lentement, régulièrement, faisant craquer toujours la même lame du plancher sous le tapis qui le couvrait.

Catherine, la gorge sèche, écoutait, suspendue à cette cadence qui traduisait si bien l'agitation intérieure de son ami. Ce plancher craquait au rythme d'un désir qui se faisait entendre ainsi beaucoup mieux que par des paroles et, derrière le voile de ses paupières closes, Catherine suivait, comme si elle eût été dans la chambre, la marche automatique de Jacques.