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— Et cependant, il y est, affirma tranquillement la voix douce d'un cavalier qui venait d'apparaître auprès d'Arnaud.

A son aspect plus encore qu'à la cotte d'armes armoriée qu'il portait sur son armure, Catherine reconnut le Damoiseau de Commercy.

Montant un grand étalon rouan, il ne portait pas de casque et montrait nue sa belle tête fine couronnée de cheveux aussi doux et aussi dorés que ceux de Catherine elle-même. Il avait de grands yeux bleus ombragés de cils invraisemblables, une bouche sinueuse et tendre qui s'entrouvrait sur des dents très blanches et un sourire enjôleur que démentait la dureté calculatrice du regard. Toute sa personne élégante dégageait un léger parfum de musc et contrastait violemment avec le sévère équipement guerrier du seigneur de Montsalvy qui, auprès du beau Robert, paraissait plus rude que jamais et ressemblait assez à quelque reître parfumé à la graisse d'armes et au crottin de cheval.

Cependant, des deux, c'était le jouvenceau à la beauté presque féminine qui était le plus redoutable et le plus dangereux. Mâchant négligemment des clous de girofle, ainsi qu'il en avait l'habitude, pour se parfumer l'haleine, le Damoiseau désigna Catherine du bout de sa houssine dorée :

— Ravissante ! apprécia-t-il. Sale à faire peur, mais ravissante !...

Qui est-ce ?

— Ma femme ! riposta Arnaud d'un ton abrupt qui ne pouvait en rien prétendre tenir lieu de présentation.

Les grands yeux de Robert s'ouvrirent, démesurément.

Allons donc ! La rencontre est plaisante. Et... que vient faire dans ce trou boueux une si belle et si noble dame ?

Malgré son charme et son élégance, le Damoiseau n'inspirait aucune sympathie à Catherine. Au contraire, elle éprouvait pour lui une espèce de répulsion à laquelle se mêlait de la rancune. Sans lui, Arnaud aurait sans doute cherché refuge vers Montsalvy et elle-même ne se débattrait pas au milieu de cet affreux gâchis. D'un ton raide, elle répliqua :

— Ma mère se meurt en ce château dont on prétend m'interdire l'accès et que vous-même prétendez assiéger au mépris de tout droit !

— Assiéger ? Et où prenez-vous que nous assiégions, gracieuse Dame ? Voyez-vous ici quelques machines de guerre, des ingénieurs au travail, des échelles, des armes brandies ? Je n'ai même pas de casque. Non, nous... séjournons au bord de cette charmante rivière et nous attendons.

— Quoi ?

— Que le duc Philippe se décide à sortir, tout simplement car, pour en revenir à ce que je vous disais lorsque je me suis permis d'intervenir dans votre conversation, le duc est là, j'en suis certain.

Catherine haussa les épaules et plissa la bouche dédaigneusement.

— Vous rêvez les yeux ouverts, seigneur comte ! Mais en admettant même qu'il soit venu, ce que moi je me refuse à croire, vous devez bien comprendre qu'en constatant votre... séjour ici, il ne vous aura pas attendu. Châteauvillain possède un souterrain de dégagement, comme beaucoup de ses pareils et, à cette heure, le duc est loin.

— Ce château possède même deux souterrains, belle Dame, fit Sarrebruck imperturbable ; par bonheur, nous en connaissons les issues et nous les gardons, comme il se doit.

— Comment les connaîtriez-vous ?

Le Damoiseau sourit et caressa l'encolure de son des trier. Sa voix se fit plus douce encore, si la chose était possible.

— Vous n'avez aucune idée de l'efficacité d'un feu bien flambant...

ou d'un peu de plomb fondu judicieusement réparti. Avec cela, on obtient tous les renseignements que l'on veut.

Un frisson de dégoût courut le long du dos de la jeune femme. Le feu ! Encore... L'image atroce de la nuit précédente était trop présente à sa mémoire pour que ce rappel ne lui fût pas pénible. Serrant les dents pour ne pas hurler son horreur à ce garçon trop beau et qui, cependant, la révulsait comme s'il eût été le plus hideux des serpents, elle regarda tour à tour les deux hommes :

— Vous êtes des monstres ! De vous, seigneur comte, cela ne m'étonne pas car vos tristes exploits sont célèbres, mais mon époux...

— En voilà assez ! coupa brutalement Arnaud qui avait paru, jusque-là, se désintéresser de cette passe d'armes entre sa femme et son associé, nous n'allons pas recommencer. Tu as entendu ce que l'on t'a dit, Catherine : le duc est là ! Que décides-tu ?

Elle garda le silence un instant, cherchant désespérément le défaut de l'armure, la mince fissure par laquelle, peut-être, il pourrait être possible d'atteindre ce cœur si étrangement refermé. Mais il était comme un mur, en face d'elle, enclos dans son amère jalousie et sa rancune plus hermétiquement encore que dans son armure.

Avec un soupir douloureux, elle murmura :

— Je t'en supplie !... Laisse-moi y entrer, ne fût-ce que dix minutes ! Sur le salut de mon âme et sur la vie de nos enfants, je fais serment de ne pas rester plus longtemps. Dix minutes, Arnaud, pas une de plus... et je ne les demande que parce qu'il s'agit de ma mère.

Ensuite, je tournerai le dos pour toujours à ce pays de Bourgogne et nous rentrerons ensemble chez nous.

Mais il détournait les yeux, refusant de voir ce beau regard implorant qui, peut-être, gardait plus d'empire sur lui qu'il ne voulait l'admettre.

— Je ne retourne pas à Montsalvy maintenant. J'ai à faire ici où l'on a besoin de moi. La Pucelle...

— Au Diable cette sorcière et ta folie ! cria Catherine que la colère reprenait. Tu vas tout perdre, ton rang, ton honneur, ta vie peut-être et jusqu'à ton âme pour suivre une aventurière que le bourreau flétrira un jour. Je t'en conjure, reviens à toi ! Tu as un sauf-conduit : va rejoindre la Reine...

— C'est la tête de Philippe de Bourgogne qui me servira de sauf-conduit quand je retournerai vers le Roi. Quant à toi...

Il n'acheva pas. D'un seul coup, le château muet venait de ressusciter. En un clin d'œil, les tours se couronnèrent d'archers et d'arbalétriers, tandis qu'avec un grondement d'apocalypse le grand pont s'abattait.

Surgis des profondeurs de la forteresse, une cinquantaine de cavaliers déferlèrent, la torche au poing.

— À moi ! Sarrebruck ! hurla le Damoiseau en tirant sa longue épée, tandis qu'Arnaud de Montsalvy, détachant la masse d'armes qui pendait à sa selle, fondait déjà sur les assaillants, suivi de ses cavaliers.

Catherine et les deux garçons se trouvèrent refoulés contre un mur.

Bérenger se pendit à la main de sa maîtresse :

— Fuyons, Dame Catherine, je vous en prie, allons- nous-en !

Messire Arnaud est devenu fou sans doute, mais il ne vous permettra jamais d'entrer dans ce château. Venez ! Il faut songer aux petits, à Michel, à Isabelle... Ils ont besoin de vous.

— Et puis, ajouta Gauthier, vous vous battez peut- être pour rien, ma Dame. Votre pauvre mère est peut- être déjà en terre. En ce cas, elle vous voit du haut du Ciel et vous tiendra compte de l'intention.

Bérenger a raison : il ne faut pas rester là.

Mais Catherine était incapable de bouger. Le combat qui se déroulait à quelques pas d'elle la fascinait. Enveloppé par quatre agresseurs, Arnaud se battait comme un démon. Un terrible coup de masse avait fait sauter son heaume et il combattait maintenant tête nue, lui aussi, rendu furieux par la douleur du choc.

C'était la première fois, en dehors du combat soutenu contre les brigands de la sierra, en fuyant Grenade, qu'elle le voyait dans une bataille et un peu de l'ancienne admiration lui revenait. La vaillance de l'homme ne faisait aucun doute. Loin de fuir l'engagement ou de chercher le coup subtil et en marge des lois chevaleresques, il se ruait franchement sur l'ennemi. Sa masse tournoyait autour de lui, abattant les fantômes vêtus d'acier ; mais si, dans le combat, l'un de ses adversaires venait à lui tourner le dos, il ne frappait pas.

Le Damoiseau, lui aussi, se battait bien. Il jetait de temps à autre des regards inquiets à son camp dont une partie flambait, incendié par les torches jetées par les hommes du château, mais il n'en frappait pas moins à coups redoublés de sa hache d'armes. D'ailleurs, la bataille, très inégale au début, s'équilibrait. Les cris du Damoiseau avaient alerté ses hommes au repos et ils accouraient maintenant vers le pont, leur troupe grossissant à vue d'œil.