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Il hocha la tête et Catherine crut qu'il approuvait. Il s'éloigna un instant, revint avec un morceau de parchemin, une plume et de l'encre qu'il posa sur la table devant la jeune femme :

— Écrivez ! dit-il en lissant la feuille du plat de la main.

— Que j'écrive ? Mais à qui ?

— A votre amie, la dame de Châteauvillain. Vous lui direz que vous venez d'arriver dans son village et que vous avez été surprise de l'accueil qui vous a été fait lorsque vous vous êtes dirigée vers le château. Dites encore que vous voyagez avec votre écuyer et votre chapelain... et que vous désirez que l'on vous ouvre une porte...

Je vous ai dit que je ne voulais plus y aller ! Qu'est-ce que cette histoire ? Mon écuyer, mon chapelain ? Vous n'imaginez pas tout de même que je... Elle s'arrêta brusquement. Ce que souhaitait ce démon, elle venait de le comprendre le temps d'un éclair : cet écuyer, ce chapelain seraient des hommes à lui qu'il introduirait ainsi dans la place avec elle.

Il confirma d'ailleurs avec un sourire moqueur :

— Mais si, fit-il doucement. J'imagine très bien. Quand le Diable pose devant moi une clef de ce château, vous ne voudriez pas que je la rejette ? Écrivez, belle Dame, ensuite nous verrons à faire parvenir votre message.

— Jamais !

Elle s'était levée si brusquement que, derrière elle, le banc s'abattit.

De la main, elle repoussait le parchemin, mais le Damoiseau saisit cette main et la maintint contre la table. Ses doigts minces étaient devenus tout à coup aussi durs que l'acier.

— J'ai dit : écrivez !

— Et moi j'ai dit : jamais ! Espèce de truand sans honneur !

Croyez-vous que je sois faite du même bois pourri que vous-même ?

Vous voulez que je vous livre la maison de mon amie, l'endroit où m'a mère se meurt ? Vous avez réussi à faire tomber mon seigneur à votre niveau, mais jamais il ne se serait servi d'un moyen aussi lâche et aussi vil pour atteindre un ennemi.

— C'est possible et même certain ! Montsalvy avait parfois de ridicules délicatesses que je n'ai jamais comprises. Mais il n'a plus voix au chapitre et votre abbé pourra bientôt chanter pour lui toutes les messes qu'il voudra. Alors, laissons-le de côté ! Vous, vous êtes bien vivante, vous êtes là et vous m'apportez le moyen d'entrer là-haut. Ce moyen, je le prends.

— Vous le prenez ? Vraiment ? J'ai autant de volonté que vous et vous ne me forcerez pas à écrire ce que je ne veux pas écrire.

— Vous en êtes certaine ?

— Tout à fait certaine !

— Bien !... Mais je crois, moi, que vous allez changer d'avis !

Il claqua des doigts pour appeler auprès de lui l'un de ses hommes qui se tenait près de la porte.

— Va me chercher le page ! ordonna-t-il sans élever la voix.

Catherine s'aperçut alors que Bérenger, en effet, n'était pas dans la salle et même qu'elle ne l'avait pas aperçu depuis que l'on avait ramassé Arnaud le long de la rivière, mais, toute à son angoisse, elle ne s'en était pas autrement souciée.

Le page, d'ailleurs, semblait avoir la faculté d'apparaître ou de disparaître à la manière des elfes et sans faire plus de bruit qu'eux.

Mais, quand elle le vit revenir, entre deux soudards, les mains liées derrière le dos, elle comprit qu'un grand malheur les menaçait tous deux.

Le garçon était blême, bien qu'il s'efforçât de faire bonne figure, serrant ses lèvres au point de les faire blanchir pour que l'on ne les vît pas trembler.

— Pourquoi l'avez-vous attaché ? fit Catherine d'une voix étranglée. Qu'allez-vous lui faire ?

Le Damoiseau s'approcha du feu, prit une longue tige de fer pour le tisonner, rajouta deux ou trois bûches et une brassée de fagots qui crépitèrent aussitôt. De grandes flammes jaunes s'élancèrent vers les hauteurs noires de la cheminée. Puis, secouant sa cotte de soie où s'attachaient des brindilles, il sourit aimablement :

— Mais rien !... Rien du tout si vous vous montrez raisonnable !

La gorge de Catherine sécha d'un seul coup et son cœur manqua un battement. En voyant apparaître l'enfant, elle avait senti qu'on allait la soumettre à un affreux chantage mais, malgré la réputation détestable du Damoiseau, elle se refusait encore à croire qu'un homme portant les éperons d'or pût se déshonorer ainsi.

— Sinon ?... demanda-t-elle d'une voix étranglée.

— Eh bien mais... nous allons remplacer cette grosse marmite par cette grille qui est posée là et nous y étendrons ce jouvenceau après l'avoir préalablement enduit d'huile pour qu'il rôtisse convenablement

!

L'exclamation horrifiée de Catherine se perdit dans le hurlement d'épouvante du malheureux Bérenger. Fou de terreur, le page se débattait et se tordait comme un ver entre ses deux gardiens.

— Vous ne ferez pas ça ! N'avez-vous donc aucune crainte de Dieu

? — Dieu est loin et le château tout près ! Je m'arrangerai avec le Seigneur, quand le moment sera venu. Quelques statues, un ou deux arpents de bonne terre données à une abbaye et je serai aussi pur et aussi immaculé qu'un enfant nouveau-né pour pénétrer dans le royaume des Cieux. Quant à mes menaces, sachez que je ne les formule jamais en vain ! Déshabillez ce garçon et enduisez-le-moi d'huile !

L'un des écorcheurs étouffait sous sa main les cris de Bérenger, mais les yeux du pauvre enfant roulaient affolés, dans leurs orbites.

Catherine ne put supporter l'idée de ce qui allait suivre, si elle ne s'exécutait pas. Le page n'avait à attendre ni merci, ni pitié de ces misérables vomis par l'Enfer. Elle refusa de prolonger son agonie.

— Libérez-le ! dit-elle. Je vais écrire.

Et elle s'assit devant l'écritoire improvisée, tandis que l'on emportait Bérenger évanoui de terreur.

Le message venait de partir. La façon dont on l'avait fait parvenir à destination était simple : un appel de trompe qui fit paraître un guetteur aux créneaux de la porterie, un linge blanc, agité au bout d'une lance pour faire entendre que l'on désirait causer, puis le meilleur archer de la troupe avait placé sur son arc une flèche autour de laquelle la lettre était roulée aussi serrée que possible et liée d'un mince fil de chanvre.

L'homme était habile, son arme puissante. La flèche avait franchi aisément le créneau pour aller retomber sur le chemin de ronde.

Depuis, les hommes du Damoiseau, ainsi envoyés en ambassade, attendaient, au-delà du pont, que le château répondît.

Catherine avait été autorisée à rejoindre le chevet de son époux.

Ayant obtenu d'elle ce qu'il désirait, le chef des Ecorcheurs n'avait plus aucune raison de l'en empêcher.

— Cela vous permettra de lui faire vos adieux et de prier un moment pour le repos de son âme ! lui dit-il en manière de consolation, avec un salut d'un respect exagéré.

Elle ne lui répondit pas. Les nerfs encore secoués par la scène odieuse qu'il venait de lui imposer, elle avait monté l'étroit escalier, traversé une chambre qui ressemblait à la resserre d'un marchand tant on y avait entreposé de butin, franchi le seuil d'une autre chambre assez nue, dont l'ameublement se limitait à un châlit suffisamment vaste pour quatre personnes, un coffre et trois escabeaux.

Les carreaux de parchemin huilé ne laissaient passer qu'une lumière pauvre et une chandelle brûlait sur l'un des escabeaux à la tête du lit où reposait Arnaud.

Mais la première chose que vit la jeune femme fut Gauthier agenouillé sur les petits carreaux rouges du sol et occupé à ranimer Bérenger que l'on avait déposé là sans cérémonie après l'avoir délié.

Le mince visage du garçon était d'une pâleur de cire et il semblait avoir du mal à respirer. Quand la porte grinça, sous la poussée de Catherine, l'étudiant se retourna :

— Passez-moi votre fiole de cordial ! dit-il. Je n'arrive pas à le ranimer. Que lui a-t-on fait ?