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— Ma femme n’a pas téléphoné ?

— Ce matin… On lui a dit que vous étiez en mission…

Elle y était habituée. Il savait qu’il pouvait rentrer chez lui et qu’elle se contenterait de l’embrasser, de remuer ses casseroles sur le fourneau et de remplir une assiette de quelque ragoût odorant. Tout au plus risquerait-elle, mais seulement quand il serait à table, et en le contemplant, le menton entre les mains :

— Ça va ?…

A midi ou à cinq heures, il eût trouvé le repas prêt de même.

— Torrence ?… demanda-t-il à Jean.

— Il a téléphoné à sept heures du matin…

— Du Majestic ?

— Je ne sais pas. Il a demandé si vous étiez parti.

— Ensuite ?

— Il a téléphoné à nouveau à cinq heures dix de l’après-midi. Il a recommandé de vous dire qu’il vous attendait.

Maigret n’avait mangé qu’un hareng depuis le matin. Il resta quelques instants debout devant son feu qui commençait à ronfler, car il avait un tour de main unique pour faire flamber les charbons les plus réfractaires.

Enfin il se dirigea lourdement vers le placard où se trouvaient une fontaine d’émail, un essuie-mains, un miroir et une valise. Il tira la valise au milieu du bureau, se déshabilla, endossa des vêtements secs, du linge propre, passa sa main hésitante sur son menton non rasé.

— Bah !

Il lança au feu qui prenait si bien un regard d’envie, posa deux chaises à proximité, y étala avec soin ses habits mouillés. Il restait sur son bureau un sandwich de la nuit précédente et il le dévora, debout, prêt à partir. Seulement, il n’y avait plus de bière. Il avait la gorge un peu sèche.

— S’il arrive n’importe quoi pour moi, je suis au Majestic, dit-il à Jean. Qu’on me téléphone.

Et il se laissa tomber enfin sur la banquette d’un taxi.

VII

Troisième entracte

Maigret ne trouva pas son collègue Torrence dans le hall, mais dans une chambre du premier étage, où un excellent dîner était servi. Le brigadier esquissa une œillade.

— C’est le gérant !… expliqua-t-il. Il aime mieux me voir ici qu’en bas… Il m’a presque supplié d’accepter cette chambre et les repas fins qu’il m’y fait servir…

Il parlait bas. Il désigna une porte.

— Les Mortimer sont à côté…

— Mortimer est revenu ?

— Vers six heures du matin, mouillé, crotté, furieux, avec de la craie ou de la chaux plein les vêtements…

— Qu’est-ce qu’il a dit ?

— Rien… Il a essayé de regagner sa chambre en passant inaperçu. Mais on lui a annoncé que sa femme l’attendait au bar. Et c’était vrai !… Elle avait fini par inviter un couple de Brésiliens… Le bar a dû rester ouvert rien que pour eux… Elle était affreusement ivre…

— Alors ?

— Il est devenu pâle. Ses lèvres se sont tordues. Il a lancé aux deux Brésiliens un salut sec, puis il a saisi sa femme sous les bras et il l’a entraînée, sans un mot… Je crois bien qu’elle a dormi jusqu’à quatre heures de l’après-midi… Il y a pas eu un bruit dans leur appartement jusque-là… Puis j’ai entendu des chuchotements… Mortimer a téléphoné pour se faire monter les journaux…

— Ils ne parlent pas de l’affaire, au moins ?

— Rien ! On a observé la consigne. Juste un entrefilet annonçant qu’un cadavre a été découvert dans l’Etoile-du-Nord et que la police croit à un suicide…

— Ensuite ?

Le garçon leur a monté des citrons pressés. A six heures, Mortimer a fait un petit tour dans le hall, est passé deux ou trois fois près de moi, l’air préoccupé. Il a expédié des câblogrammes chiffrés à sa banque de New York et à son secrétaire, qui est à Londres depuis quelques jours…

— C’est tout ?

— Pour l’instant, ils achèvent de dîner. Huîtres, poulet rôti, salade. On me tient au courant de tout. Le gérant est tellement ravi de m’avoir enfermé ici qu’il se coupe en quatre pour m’être agréable. C’est ainsi qu’il est venu m’annoncer tout à l’heure que les Mortimer ont des places pour le Gymnase. L’Epopée. Quatre actes de je ne sais plus qui…

— L’appartement de Pietr ?

— Rien ! Personne n’y est entré. J’ai fermé la porte à clé et poussé une petite boule de cire dans la serrure, si bien qu’on ne peut entrer sans que je le sache…

Maigret avait saisi une cuisse de poulet qu’il dévorait sans vergogne, tout en cherchant en vain un poêle absent. Il finit par s’asseoir sur le radiateur, questionna :

— Rien à boire ?

Torrence lui servit un verre d’excellent mâcon blanc qu’il but avidement. Au même instant, on grattait à la porte ; un domestique entra avec des airs de conspirateur.

— Le gérant me prie de vous dire que M. et Mme Mortimer ont fait avancer leur voiture.

Maigret eut un regard à la table encore chargée de victuailles comme, dans son bureau, il avait eu un regard navré à son poêle.

— J’y vais, dit-il à regret. Restez ici.

Il s’arrangea un peu devant la glace, essuya ses lèvres et son menton. L’instant d’après, dans un taxi, il attendait que les Mortimer-Levingston prissent place dans leur limousine.

Ils ne tardèrent pas à apparaître, lui en pardessus noir qui cachait son habit, elle emmitouflée de fourrures comme la veille.

Elle devait être lasse, car son mari la soutenait discrètement d’une main. L’auto démarra sans un soupir.

Maigret, qui ignorait qu’il y avait une première au Gymnase, faillit ne pas pouvoir entrer. Des gardes municipaux étaient de piquet devant la marquise. Les badauds, malgré la pluie, regardaient les invités descendre de voiture.

Le commissaire dut demander le directeur, piétiner dans les couloirs où il faisait tache, car il était seul à y circuler en veston.

Le directeur était fiévreux. Il gesticulait.

— Je ne demande pas mieux, moi ! Mais vous êtes le vingtième à me demander une « petite place » ! Il n’y en a plus, des places !… Et vous n’êtes même pas en tenue de soirée !…

On l’appelait de tous côtés.

— Vous voyez ! Mettez-vous dans ma peau !…

Maigret finit par rester debout contre une porte, parmi les ouvreuses et les marchands de programmes.

Les Mortimer-Levingston avaient une loge. Il y avait là-dedans six personnes, dont une princesse et un ministre. Des gens entraient et sortaient. On baisait des mains. On échangeait des sourires.

Le rideau se leva sur un jardin ensoleillé. Des « chut ». Des murmures. Des piétinements. Enfin la voix de l’acteur, encore mal assurée, qui allait s’affermissant, créant l’atmosphère.

Mais des retardataires arrivaient toujours. Et les « chut. » renaissaient. Un petit rire de femme fusa quelque part.

Mortimer était plus grand seigneur que jamais. Il portait l’habit à merveille. Le plastron blanc faisait ressortir le ton ivoire de sa peau.

Vit-il Maigret ? Ne le vit-il pas ? Une ouvreuse apporta un tabouret au commissaire, qui dut le partager avec une grosse dame en soie noire qui était la mère d’une actrice.

Premier, deuxième entracte. Des allées et venues dans les loges. Une exaltation artificielle. Des saluts échangés des fauteuils à la corbeille.

Dans les couloirs, au foyer, et jusque sur le péristyle une rumeur de ruche en effervescence. Des noms chuchotés, noms de maharadjahs, de financiers, d’hommes d’Etat, d’artistes.

Mortimer sortit trois fois de sa loge, parut dans une avant-scène, puis au parterre, s’entretint avec un ancien président du Conseil dont on entendait le rire sonore vingt rangs plus loin.

Fin du troisième acte. Des fleurs sur la scène. Une ovation à une actrice maigriote. Le vacarme des strapontins levés, la houle des pieds sur le parquet.