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Le même crime, exactement, avait été commis à Hambourg, six mois plus tôt.

Une balle peut rater son but ou blesser, Maigret en était la preuve. Elle fait du bruit, salit.

L’aiguille, qu’on introduit dans le cœur d’un homme Inerte, tue scientifiquement, sans erreur possible.

Le commissaire se souvint d’un détail. Le soir même, quand le gérant avait annoncé le départ des Mortimer, il rongeait une cuisse de poulet, assis sur le radiateur et, envahi par une bouffée de bien-être, il avait été sur le point de choisir pour lui cette faction à l’hôtel et d’envoyer Torrence au théâtre.

Cette pensée l’agita. Il regarda son collègue avec gêne, en proie à un malaise général, sans qu’il pût préciser si c’était le fait de sa blessure, de l’émotion ou des bouffées de chloroforme.

L’idée ne lui venait même pas de commencer une enquête régulière, ordonnée.

C’était Torrence qui était là ! Torrence avec qui il avait fait toutes les campagnes des dernières années ! Torrence à qui il n’avait qu’à dire un mot, qu’à adresser un signe pour se faire comprendre !

Torrence qui avait la bouche ouverte comme pour tenter encore d’avaler un peu d’oxygène, de vivre quand même. Et Maigret, qui ne pouvait pas pleurer, se sentait malade, inquiet, avec un poids sur les épaules, un écœurement dans la poitrine.

Il marcha à nouveau vers le téléphone, parla si bas qu’on dut lui faire répéter deux fois sa demande.

— La Préfecture… Oui… Allô !… La Préfecture… Qui est à l’appareil ?… Hein ?… Tarraud ?… Ecoutez, petit… Vous allez courir chez le chef… Oui, chez lui… Dites-lui… dites-lui de venir me rejoindre au Majestic… Tout de suite… Chambre… je ne sais pas le numéro, mais on le conduira… Hein ?… Non, rien d’autre…

» Allô… Qu’est-ce que vous dites ?… Non, je n’ai rien…

Il raccrocha, car son collègue le questionnait, trouvant sa voix étrange et l’ordre donné plus étrange encore.

Il resta un moment les bras ballants. Il évitait de regarder dans le coin où était étendu Torrence. Il aperçut son image dans un miroir et constata que le sang avait transpercé la serviette. Alors, à grand-peine, il retira son veston.

Quand le directeur du Service des recherches frappa à la porte, une heure plus tard, en compagnie d’un employé de l’hôtel qui le pilotait, il vit la silhouette de Maigret se profiler dans le mince entrebâillement de l’huis.

— Pouvez aller ! dit le commissaire d’une voix sourde à l’employé.

Et il n’ouvrit que quand l’homme eut disparu. Alors seulement, le directeur constata que Maigret avait le torse nu. La porte de la salle de bains était béante. Sur le sol, il y avait des flaques d’eau rougie.

— Fermez vite, fit le commissaire, sans souci de hiérarchie.

Il avait une plaie très longue, tuméfiée, au côté droit de La poitrine. Ses bretelles pendaient sur ses cuisses.

Il désigna de la tête le coin où était Torrence, mit un doigt sur ses lèvres.

— Chut !…

Alors, le directeur fut secoué d’un frisson. Soudain agité, Il questionna :

— Mort ?

La tête de Maigret retomba.

— Vous voulez me donner un coup de main, chef ?… murmura-t-il d’un ton morne.

— Mais… vous… C’est très grave…

— Chut !… La balle est sortie, c’est le principal !… Aidez-moi à serrer tout cela dans la nappe…

Il avait posé la vaisselle par terre, coupé la nappe en deux.

— La bande du Letton… expliqua-t-il. Ils m’ont raté… Mais ils n’ont pas raté Torrence…

— Vous avez désinfecté la plaie ?

— Avec du savon, puis avec de la teinture d’iode, oui…

— Vous croyez que ?…

— Cela suffit pour le moment !… Une aiguille, chef !… Ils l’ont tué avec une aiguille, après l’avoir endormi…

Ce n’était plus le même homme. On avait l’impression de le voir, de l’entendre à travers un rideau de tulle qui feutrait les images et les sons.

— Passez-moi ma chemise…

Une voix neutre. Des mouvements mesurés, imprécis. Un visage sans expression.

— Il fallait que vous veniez… Du moment qu’il s’agit d’un de nous… Sans compter que je voudrais qu’on ne fasse pas de bruit… Qu’on vienne le chercher tout à l’heure… Pas un mot dans les journaux… Vous avez confiance en moi, n’est-ce pas, chef ?

Il avait quand même un tremblement imperceptible dans la gorge. Cela affecta son interlocuteur, qui lui prit la main.

— Voyons, Maigret !… Qu’est-ce que vous avez ?…

— Rien… Je suis calme, je vous jure… Je crois bien que je n’ai jamais été aussi calme… Mais, maintenant, c’est une affaire entre eux et moi… Vous comprenez !…

Le directeur l’aida à passer son gilet, son veston. Maigret apparut déformé par le pansement qui épaississait sa taille, enlevait la précision de ses lignes, si bien qu’il semblait avoir des bourrelets de graisse.

Il se regarda dans un miroir et esquissa une grimace ironique. Il sentait parfaitement la mollesse de son attitude. Ce n’était plus le bloc dur, tout d’une pièce, formidable, qu’il aimait camper devant ses adversaires.

Le visage, pâle avec des traînées rouges, paraissait boursouflé, et on distinguait des poches naissantes sous les yeux.

— Merci, chef… Vous croyez que, pour ce qui est de Torrence, ce soit possible ?

— D’éviter la publicité, oui… Je vais avertir le Parquet… Je verrai personnellement le procureur.

— Bon ! Moi, je me mets au travail…

Il dit cela en arrangeant un peu ses cheveux défaits. Puis il marcha vers le corps de Torrence, hésita, demanda à son compagnon :

— Je peux lui fermer les yeux, hein ?… Je pense qu’il aimerait que ce soit moi…

Ses doigts frémissaient. Il les laissa un bon moment sur les paupières du mort comme une caresse. Le directeur, plus nerveux, supplia :

— Maigret !…

Le commissaire se leva, jeta un dernier coup d’œil autour de lui.

— Au revoir, chef… Qu’on ne dise pas à ma femme que je suis blessé…

Sa silhouette remplit un instant tout l’encadrement de la porte. Le directeur du Service des recherches faillit le rappeler, car il l’inquiétait.

Pendant la guerre, des compagnons d’armes lui avaient dit ainsi au revoir, avec ce même calme, cette même douceur irréelle, avant de monter à l’assaut.

Et ceux-là n’étaient jamais revenus !

IX

Le « tueur »

Les bandes internationales, spécialisées dans la haute escroquerie, tuent rarement.

En principe, on peut même poser qu’elles ne tuent pas, du moins ceux qu’elles ont décidé de délester de quelques millions. Elles emploient pour le vol des méthodes plus scientifiques, et la plupart de leurs affiliés sont des gentlemen dont les poches ne contiennent pas d’arme.

Mais il leur arrive de tuer pour leurs règlements de compte. Chaque année, un ou deux crimes impossibles à éclaircir sont commis quelque part. Le plus souvent, la victime n’est pas identifiée et on l’enterre sous un nom que l’on sait faux.

Il s’agit dans ce cas soit d’un traître, soit d’un homme que l’alcool rend loquace et qui a commis des imprudences, soit d’un comparse dont l’ambition menace les situations acquises.

En Amérique, pays de la standardisation, ces exécutions ne sont jamais l’œuvre d’un membre de la bande. On fait appel à des spécialistes, à des « tueurs », comme on les appelle, qui, à l’instar des bourreaux officiels, possèdent leurs aides et leur tarif.

En Europe, il en a parfois été de même et, entre autres, la fameuse bande des Polonais, dont les chefs ont fini sur l’échafaud, fut plusieurs fois mise à contribution par des malfaiteurs d’un autre rang désireux de ne pas se souiller les mains de sang.