— Pas rentré ! Sa clé est ici…
— Donnez ! Police…
— Mais…
— Vite !…
Le fait est que, cette nuit-là, personne ne lui résista. Et pourtant il n’avait pas sa sévérité ni sa raideur habituelles. Mais peut-être sentait-on confusément que c’était pis ?
— Quel étage ?
— Quatrième !
La chambre, longue, étroite, sentait le renfermé. Le lit était défait. José, comme la plupart de ses pareils, avait dû rester couché jusqu’à quatre heures de l’après-midi, heure après laquelle les hôteliers refusent de faire les chambres.
Un vieux pyjama, usé au col et aux coudes, était jeté sur les draps. Par terre, une paire d’escarpins qui, contrefort cassé, semelle trouée, servaient de pantoufles.
Dans un sac de voyage, en imitation cuir, il n’y avait que des vieux journaux et un pantalon noir rapiécé.
Au-dessus de la toilette, un pain de savon, un onguent en pot, des cachets d’aspirine et un tube de véronal.
Par terre, un bout de papier roulé en boule, que Maigret ramassa, déplia avec soin. Il n’eut besoin que de l’approcher de ses narines pour reconnaître qu’il avait contenu de l’héroïne.
Un quart d’heure plus tard, le commissaire, qui avait fouillé partout, avisait un trou dans le reps de l’unique fauteuil, y glissait le doigt et, l’un après l’autre, retirait onze paquets de la même drogue, d’un gramme chacun.
Il les mit dans son portefeuille, descendit l’escalier. Place Blanche, il accosta un agent, lui donna des instructions, et le sergent de ville alla se camper à proximité du 71.
Maigret se souvenait du jeune homme aux cheveux noirs : un gigolo mal portant, aux yeux sans assurance, qui, d’émotion, avait heurté sa table en passant près de lui lorsqu’il était revenu de son rendez-vous avec Moretto.
Il n’avait pas osé rentrer chez lui, le coup fait, préférant abandonner ses trois frusques et les onze petits sachets qui représentaient pourtant, au prix du détail, un bon millier de francs.
Celui-là se ferait pincer un jour ou l’autre, car il manquait de cran et il devait être talonné par la peur.
Pepito possédait un autre sang-froid. Peut-être, lui, attendait-il dans une gare le départ du premier train. Peut-être s’était-il enfoncé dans la banlieue ou, plus simplement, avait-il changé de quartier et d’hôtel.
Maigret héla un taxi, faillit donner l’adresse du Majestic. Mais il calcula que là-bas cela ne devait pas être terminé Autrement dit, Torrence était encore dans la chambre.
— Quai des Orfèvres…
Il comprit, en passant près de Jean, que celui-ci était déjà au courant, et il détourna la tête comme un coupable.
Il ne s’occupa pas de son feu. Il ne retira ni son veston, ni son faux col.
Pendant deux heures, il resta immobile, les coudes sur le bureau, et il faisait jour quand il songea à lire un papier qui avait dû y être déposé au cours de la nuit.
Au commissaire Maigret. Urgence.
Un homme en habit a pénétré vers onze heures et demie à l’Hôtel du Roi-de-Sicile et y est resté dix minutes. Reparti en limousine. Le Russe n’est pas sorti.
Maigret ne broncha pas. Et les nouvelles arrivèrent toutes à la fois. Ce fut d’abord un coup de téléphone du commissariat du quartier Courcelles.
— Un nommé José Latourie, danseur mondain, a été trouvé mort près de la grille du parc Monceau. Il porte les traces de trois coups de couteau. Son portefeuille ne lui a pas été volé. On ignore quand et dans quelles circonstances le crime a été commis.
Maigret ne l’ignorait pas, lui ! Il imagina aussitôt Pepito Moretto derrière le jeune homme, à sa sortie du Pickwick’s, le trouvant trop ému et capable de se trahir, l’assassinant sans même se donner la peine de lui enlever son portefeuille, et ses pièces d’identité, peut-être par défi ?
— Vous croyez, par lui, remonter jusqu’à nous ? Le voici ! Semblait-il dire.
Huit heures et demie. Au téléphone, la voix du gérant du Majestic.
— Allo !… Le commissaire Maigret ?… C’est incroyable, inouï !… Il y a quelques minutes, le 17 a sonné… Le 17 !… Vous vous souvenez ?… Celui qui…
— Oswald Oppenheim, oui… Eh bien ?
— J’ai envoyé un garçon… Oppenheim, couché comme si rien ne s’était passé, a réclamé son petit déjeuner…
X
Le retour d’Oswald Oppenheim
Maigret était resté deux heures immobile. Quand il voulut se lever, il put à peine remuer les bras et il dut sonner Jean pour l’aider à passer son manteau.
— Fais-moi avancer un taxi…
Quelques minutes plus tard, il pénétrait chez le Dr Lecourbe, rue Monsieur-le-Prince. Six clients attendaient dans l’antichambre, mais on lui fit faire un détour à travers l’appartement et, dès que le cabinet de consultation fut libre, il y fut reçu.
Il n’en sortit qu’une heure après. Son torse était devenu plus raide. Le cerne de ses yeux était si profond que le regard en était changé, comme si Maigret eût été maquillé.
— Rue du Roi-de-Sicile ! Je vous arrêterai…
De loin, il vit ses deux inspecteurs qui faisaient les cent pas en face de l’hôtel. Il descendit de voiture, les rejoignit.
— Pas sorti ?
— Non… Un de nous deux est toujours resté en faction…
— Qui a quitté l’hôtel ?
— Un petit vieux tout cassé, puis deux jeunes gens, puis une femme d’une trentaine d’années…
Maigret haussa les épaules, soupira :
— Le vieillard avait de la barbe ?
— Oui…
Il les quitta sans mot dire, gravit l’escalier étroit et passa devant la loge. Un peu plus tard, il secouait la porte de la chambre 32 : Une voix de femme lui répondit en une langue inconnue. La porte céda et il vit Anna Gorskine, demi-nue, qui sortait du lit.
— Ton amant ? Questionna-t-il.
Il parlait du bout des dents, en homme pressé, sans se donner la peine d’inspecter les lieux.
Anna Gorskine cria :
— Sortez !… vous n’avez pas le droit…
Mais, flegmatique, il ramassa sur le plancher le trench-coat qu’il connaissait. Il semblait chercher autre chose. Il avisa au pied du lit le pantalon grisâtre de Fédor Yourovitch.
Par contre, il n’y avait pas de chaussures d’homme dans la chambre.
La juive, qui était en train de passer son peignoir, braquait sur lui son regard rageur.
— Vous croyez que, parce que nous sommes étrangers…
Il ne lui donna pas le temps de laisser éclater sa colère. Il sortit, tranquillement, referma la porte qu’elle rouvrit alors qu’il n’avait pas encore descendu un étage. Sur le palier, elle se contenta de haleter, sans prononcer une parole. Penchée sur la rampe, elle le suivit des yeux et soudain, n’y tenant plus, éprouvant le besoin lancinant de faire quand même quelque chose, elle cracha.
La salive tomba avec un bruit mat à quelques centimètres du commissaire.
L’inspecteur Dufour le questionna.
— Eh bien ?…
— Tu surveilleras la femme… Celle-là ne pourra pas se déguiser en vieillard…
— Voulez-vous dire que… ?
Mais non ! Il ne voulait rien dire ! Il n’avait pas l’esprit à entreprendre une discussion. Il remonta dans son taxi.
— Au Majestic…
L’inspecteur, navré, humilié, le regardait partir.
— Fais ton possible ! lui cria Maigret.
Il n’avait pas envie non plus de peiner son collègue. Si celui-ci s’était laissé rouler, ce n’était pas par sa faute. Est-ce que Maigret, lui, n’avait pas laissé tuer Torrence ?
Le gérant l’attendait sur le seuil, ce qui était une attitude toute nouvelle.
— Enfin !… Vous comprenez… Je ne sais plus ce que je dois faire… On est venu chercher votre… votre ami… On m’a affirmé que les journaux ne diront rien… Mais l’autre est là… Il est là !…