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Maigret cherchait un homme !

Il fit demi-tour, déambula sur la plage, parmi les pierres pareilles, dans le noir, à de monstrueuses pommes de terre.

Il était à la même hauteur que les vagues. Il recevait des embruns au visage.

C’est alors qu’il remarqua que la marée était basse et que la jetée était entourée d’une ceinture de roches noires entre lesquelles l’eau venait bouillonner.

Ce fut un miracle s’il aperçut l’homme. Au premier abord, il lui apparut comme une chose inanimée, comme une ombre indistincte parmi les ombres.

Il regarda avec attention. C’était sur la dernière roche, là où la lame dressait sa crête la plus orgueilleuse avant de retomber en poussière d’eau.

Il y avait quelque chose de vivant…

Maigret, pour y arriver, dut se glisser entre les pilotis soutenant la passerelle qu’il parcourait quelques minutes plus tôt.

Des algues recouvraient la pierre. Les semelles glissaient. On entendait un bruissement multiple, comme la fuite de centaines de crabes, l’éclatement de bulles d’air ou de baies marines et le frémissement imperceptible des moules incrustées jusqu’à mi-hauteur des madriers.

Une fois, Maigret manqua le pied et sa jambe s’engagea jusqu’au genou dans une flaque d’eau.

Il ne voyait plus l’homme, mais il était dans la bonne direction.

L’autre avait dû gagner cet endroit alors que la marée était plus basse, car le commissaire fut soudain arrêté par une mare large de deux mètres. Il en tâta le fond de son pied droit, faillit vaciller en avant.

En fin de compte, il se suspendit aux arc-boutants des pilotis.

Ce sont de ces moments où il vaut mieux ne pas être vu.

On esquisse des gestes auxquels on n’est pas préparé. On rate à tout coup, comme un mauvais acrobate. Mais on avance pour ainsi dire de par la force acquise. On tombe et on se ramasse. On barbote, sans prestige, sans beauté.

Maigret s’entailla la joue et, par la suite, il n’eût jamais pu dire si c’était en tombant à plat ventre sur les roches ou en se frottant à un clou planté dans les madriers.

Il revit l’homme, douta de ses sens tant il était immobile, tant il avait l’air d’une de ces pierres qui, de loin, prennent forme humaine.

Arrivé à une certaine distance, l’eau lui clapota entre les jambes. Il n’était pas marin.

Il s’avança avec une précipitation involontaire.

Et il atteignit enfin les roches mêmes où l’homme était installé. Il le dominait d’un mètre. Il se trouvait à dix ou quinze pas de lui.

Sans songer à sortir son revolver, il marcha sur la pointe des pieds, autant que le terrain le permettait, fit dégringoler des pierres dont le bruit se confondit avec celui du jusant.

Puis, soudain, sans transition, il bondit sur la silhouette figée, lui saisit le cou dans son bras replié et la renversa en arrière.

Les deux hommes faillirent glisser, être happés par la vague plus forte que les autres qui déferlait à cet endroit. Si cela n’arriva pas, ce fut simple hasard.

Dix fois on eût tenté le même exercice et dix fois il eût tourné mal.

L’homme qui n’avait pas vu son agresseur, se débattait comme une anguille. La tête coincée, il agitait tout son corps avec une souplesse qui, dans cette ambiance, prenait des proportions inhumaines.

Maigret ne voulait pas l’étouffer. Il essayait de l’immobiliser, sans plus, et la pointe d’un de ses pieds se raccrochait au dernier pilotis. Ce pied-là les maintenait tous les deux.

La résistance de l’adversaire fut de courte durée. Ce ne fut qu’une réaction spontanée, animale.

Dès qu’il eut pris le temps de réfléchir, dès qu’il vit Maigret, en tout cas, dont la tête frôlait son visage, il s’immobilisa.

Par des battements de paupières, il fit comprendre qu’il se rendait et, quand sa gorge fut libérée, il montra vaguement la masse mouvante de la mer, balbutia d’une voix qui n’était pas encore ferme :

— Attention…

— Vous voulez que nous causions, Hans Johannson ? Dit Maigret, dont les ongles étaient enfoncés dans les algues visqueuses.

Il devait avouer par la suite qu’à cet instant précis son compagnon eût pu, d’un simple coup de pied, l’envoyer rouler dans les eaux.

Ce ne fut qu’une seconde, mais dont Johannson, accroupie près du premier pilotis, ne profita pas.

Plus tard, Maigret avoua aussi, très franchement, qu’il dut tenir un moment le pied de son prisonnier pour remonter la pente.

Puis, tous deux, sans mot dire, firent le chemin en sens Inverse. La marée avait encore monté. A deux pas du rivage, ils furent bloqués par la même mare qui avait arrêté le commissaire et qui était devenue plus profonde.

Le Letton s’engagea dans l’eau le premier, perdit pied après avoir parcouru trois mètres, barbota, cracha et émergea enfin jusqu’à la ceinture.

Maigret se jeta en avant. Il y eut un moment où il ferma les yeux, parce qu’il avait l’impression qu’il était impuissant à maintenir à la surface un corps trop lourd.

Les deux hommes se retrouvèrent, détrempés, ruisselants, sur les galets de la plage.

— Elle a parlé ? Questionna le Letton d’une voix morte, où il n’y avait plus rien, rien en tout cas de ce qui peut retenir un homme à la vie.

Maigret avait le droit de mentir.

Il préféra déclarer :

— Elle n’a rien dit… Mais je sais…

Il leur était impossible de rester là. A cause du vent, leurs vêtements mouillés devenaient comme une compresse de glace. Le Letton, le premier, claqua des dents. A la vague lueur de la lune, Maigret constata que ses lèvres étaient bleues.

Il n’avait pas de moustaches. C’était la tête inquiète de Fédor Yourovitch, la tête du petit garçon de Pskov qui dévorait son frère des yeux. Mais les prunelles, encore que du même gris trouble, avaient une fixité cruelle.

En se tournant de trois quarts vers la droite, les deux hommes voyaient la falaise piquetée de deux ou trois points lumineux : les villas, dont celle de Mme Swaan.

Et quand le pinceau du phare passait, on devinait le toit qui l’abritait, avec les deux enfants, la bonne effrayée.

— Venez… dit Maigret.

— Au commissariat ?

La voix était résignée, ou plutôt indifférente.

— Non…

Il connaissait un des hôtels du port, Chez Léon, et il avait remarqué une entrée qui ne servait que l’été, aux quelques baigneurs qui passent la saison à Fécamp. Cette porte s’ouvrait sur une pièce transformée pendant la belle saison en salle à manger de demi-luxe.

L’hiver, les pêcheurs se contentaient de boire, de manger des huîtres et des harengs dans la salle du café.

Ce fut cette porte que Maigret poussa. Il traversa la salle obscure avec son compagnon, échoua dans la cuisine où une petite bonne poussa un cri de stupeur.

— Appelle ton patron…

Elle cria, sans bouger :

— M. Léon !… M. Léon !…

— Une chambre… dit le policier quand M. Léon parut.

— M. Maigret !… Mais vous êtes mouillé… Est-ce que vous… ?

— Une chambre, vite !…

— Il n’y a pas de feu dans les chambres !… Et une bouillotte ne suffira jamais à…

— Vous avez bien deux robes de chambre ?

— Naturellement… Les miennes… mais…

Il avait, lui, trois têtes de moins que le commissaire !

— Apportez-les !

Ils grimpèrent un escalier raide, aux coudes fantaisistes. La chambre était propre. M. Léon en ferma lui-même les volets, proposa :

— Un grog, hein ?… Et tassé !…

— C’est cela… Avant tout, les robes de chambre… Car Maigret se sentait redevenir malade, de froid. Le côté blessé de sa poitrine était comme gelé.

Entre son compagnon et lui régna pendant quelques minutes une familiarité de chambrée. Ils se dévêtirent l’un devant l’autre. M. Léon passa son bras muni de deux robes de chambre par la porte entrebâillée.