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Il termina son troisième Pimm’s pour scander son affirmation. Mark Roll repoussa son assiette.

— Harold a raison. Désormais, nous sommes certains qu’il y a des liens entre pirates — certains groupes en tous cas — et les Shebabs...

— Et il va y en avoir de plus en plus ! compléta sereinement Harold Chestnut. Parce que les Shebabs sont en train de reprendre possession de toute la Somalie. Ils avancent le long de la côte et s’emparent de toutes les villes les unes après les autres, sans même tirer un coup de feu. Ils vont contourner la « green zone » de Mogadiscio et continuer plus au nord. Pour rejoindre ceux d’entre eux qui se trouvent déjà à Harardhere, à moins de cent kilomètres de Hobyo, une des places fortes des pirates.

Il rota légèrement et Mark Roll en profita pour soupirer.

— C’est, hélas, très possible...

— Donc, renchérit Harold Chestnut, les Shebabs vont pouvoir s’acheter des armes. Et le prochain stade, c’est qu’ils s’allient avec les pirates pour préparer un attentat spectaculaire, à l’aide d’un navire saisi par ces derniers. C’est le nouveau cauchemar de Langley...

Malko se dit que c’était tout à fait justifié.

— Vous avez remercié l’officier-radio du Faina, j’espère ? dit-il.

Mark Roll hocha la tête avec tristesse.

— Nous avons envoyé un message de condoléances à sa veuve. Hashi Farah l’a abattu pour avoir pris cette photo. Ce qui prouve bien qu’ils veulent garder secrets ces liens.

— Où se trouve le Faina, désormais ?

— En face de Hobyo, sous la garde du USS « Howard » qui a ordre de tirer à vue sur toute embarcation débarquant des armes. Nous nous demandons maintenant si la prise de ce navire n’était pas une « commande » des Shebabs, pour obtenir un armement qu’ils n’ont pas. Des chars T.72 par exemple, pour combattre ceux des Éthiopiens.

— Pourquoi ne pas donner l’assaut au Faina ? s’étonna Malko.

— On attend les Russes qui ont envoyé un destroyer. Et il y a vingt-six hommes d’équipage à bord.

— Et ce Hashi Farah, il est toujours à bord ?

— Nous l’ignorons. Il y a un va et vient incessant entre le Faina et Hobyo pour apporter des vivres et permuter les équipes de pirates ; il a pu très bien se défiler sans qu’on le repère, mais c’est secondaire.

— Que cherchez-vous exactement ? s’enquit Malko. Entre les navires de la Ve Flotte, les Éthiopiens, vos drones et les écoutes, vous devez être assez bien informés...

Mark Roll secoua la tête tristement.

— Non, justement. Les navires restent en mer et les écoutes techniques ne sont guère efficaces. Il faudrait aller sur le terrain.

— Quel terrain ? L’Américain eut un geste vague.

— Là où évoluent tous ces malfaisants...

— Pour quoi faire ? Il se gratta la gorge :

— Langley m’a assigné une mission précise : il faut, coûte que coûte, savoir ce que préparent les Shebabs en liaison avec les pirates, pour, éventuellement, les contrer. Qu’une énorme opération terroriste ne nous éclate pas à la gueule sans crier gare.

— Comment ?

— Harold avait un réseau là-bas. Il suffit de le réactiver...

Malko croisa le regard de « Wild Harry » qui, les mains croisées sur sa panse pleine de langouste, souriait aux anges, les yeux mi-clos. L’image même du bonheur.

— Mark, remarqua Malko sans élever la voix, il me semble qu’il y a à cette table quelqu’un de particulièrement qualifié pour cette tâche...

Harold Chestnut leva l’index droit, sans abandonner son sourire angélique.

— Erreur, je ne suis plus dans le coup... Malko se tourna vers Mark Roll.

— Je pensais que Harold avait repris du service...

— Comme « consultant », précisa suavement Harold Chestnut. Uniquement comme consultant. Désormais, je me consacre, avec ma copine, à la culture des roses. Nous fournissons d’ailleurs l’ambassade américaine.

— Des roses ? fit Malko, suffoqué.

— Eh oui ! Le Kenya est un gros exportateur de fleurs. J’ai ramené de Somalie Hawo, qui était mon interprète. Nous avons décidé de créer une petite affaire d’exportation qui ne marche pas mal. Elle va d’ailleurs nous rejoindre. La voilà.

Malko tourna la tête vers l’entrée du restaurant et aperçut une longue jeune femme à la peau café au lait, le visage fin, les yeux étirés, moulée dans un tailleur-pantalon extrêmement sexy qui soulignait une chute de reins à mourir et une poitrine aiguë. « Wild Harry » était déjà debout. Il baisa la main de la nouvelle arrivante en s’inclinant profondément.

— Je vous présente Hawo. Sans elle, je serais enterré à Mogadiscio.

Malko baisa, à son tour, la main de la Somalienne et ils se rassirent.

— Quel rôle m’attribuez-vous exactement ? demanda Malko.

C’est Harold Chestnut qui répondit avec un sourire en coin.

— Un rôle de premier plan, mon cher, digne de votre expérience et de votre réputation. Reprendre le flambeau à Mogadiscio.

Malko se tourna vers Mark Roll.

— Vous avez dit qu’il était suicidaire d’aller là-bas.

— Exact, reconnut Harold Chestnut, mais vous ne serez pas seul.

— Ah bon ?

— Oui, je suis prêt à être votre « coach ». J’ai encore quelques amis somaliens qui ne demandent qu’à gagner des dollars. Notamment un type qui m’avait beaucoup aidé. Ahmed Mohammed Omar. Un warlord. Désormais, c’est un honorable membre du Parlement somalien fantôme, mais il aime toujours autant le pognon... Grâce à lui, vous pouvez aller en Somalie et ne pas vous faire tuer dans les cinq minutes qui suivront votre arrivée. Apparemment, notre ami Mark a concocté un autre plan pour cela. Je n’y crois pas beaucoup, mais on peut toujours essayer... C’est lui le chef.

Satisfait, il commanda son quatrième Pimm’s.

Malko croisa le regard de Hawo qui s’était assise en face de lui. Elle souriait, avec visiblement un certain intérêt pour lui dans ses prunelles.

Pourtant, il se demanda s’il n’allait pas reprendre tout de suite l’avion.

On était en train de le transformer en kamikaze.

CHAPITRE V

Mark Regardait le regard obstinément fixé sur la carcasse de sa langouste, qui, pourtant, ne méritait pas autant d’attention. Hawo souriait aux anges et « Wild Harry » avait commencé à aspirer son Pimm’s avec un bruit assez répugnant. Malko rompit le silence tendu.

— Mark, quelle est votre idée pour m’envoyer à Mogadiscio ?

Brutalement revigoré de voir que Malko ne lui avait pas encore jeté les restes de sa langouste à la figure, le chef de station de la CIA arbora un sourire épanoui.

— Ce serait formidable de reprendre pied en Somalie ! Langley y tient absolument et ils ont raison. J’apprécie beaucoup votre coopération. C’est un sacré risque.

Partage des risques inégal, forcément inégal. Mark Roll ne bougerait pas de son bureau climatisé pendant que Malko irait jouer à la roulette russe en Somalie... Ce dernier reprit la parole.

— O.K., Mark, j’ai compris que vous vouliez m’envoyer en Somalie. Pour quoi faire exactement ?

Le regard de Mark Roll dérapa vers « Wild Harry ».

— Harold va vous expliquer.

L’ex « case-officer » abandonna son Pimm’s à regret et fixa Malko.

— Pendant ma « campagne » somalienne, expliqua-t-il, je « traitais » dans le plus grand secret un jeune Somalien. Amin Osman Said. Un type plutôt éduqué qui travaillait dans une agence de voyage du marché de Baraka. Il parlait anglais et connaissait énormément de gens. C’est lui qui me signalait les « cibles ». Ensuite, j’envoyais les voyous de Ahmed Mohammed Omar qui me les livraient dans la « green zone ».