— Pourquoi coopérait-il avec vous, cet Amin ? questionna Malko.
Wild Harry » eut un sourire las.
— Le fric, bien entendu ! Mais lui, c’était pour la bonne cause. Il voulait économiser assez d’argent pour aller faire des études à l’étranger.
— Il n’a pas pu partir ?
Harold Chestnut jeta un regard noir à Mark Roll.
— Non. Pour deux raisons : d’abord, il n’avait pas encore assez d’argent, et, ensuite, l’Agence n’a jamais pu lui procurer une « green card ». D’ailleurs, si on le recontacte, c’est sûrement la première chose qu’il va réclamer.
Mark Roll sursauta, avec un sourire douloureux.
— Harold, vous savez bien que c’est impossible. Le State Department...
« Wild Harry » interrompit brutalement le chef de station de la CIA.
— Mark, vous êtes une merde ! Une sous-merde, même. Vous êtes prêt à envoyer Malko à Mogadiscio où il n’y a pas d’assurance vie, alors qu’il n’y a pas un seul « case-officer » dans toute la Division des Opérations qui accepterait d’y mettre les pieds, même cinq minutes, et vous n’êtes pas prêt à tout faire pour lui donner le maximum de chances... Vous avez de la chance qu’il soit là, assis en face de vous et qu’il ait besoin de blé pour entretenir son foutu château ! Il n’y a plus de vieux cons de mon espèce pour vous tirer les marrons du feu.
Mark Roll était devenu écarlate.
— Well, Harold, vous savez bien que le consul, ou plutôt la consule, est une vieille gouine acariâtre, qui nous déteste. Elle envoie toutes nos demandes au State Department avec un avis négatif.
« Wild Harry » siffla le reste de son Pimm’s d’un seul trait et cracha.
— Si elle reçoit un télégramme de Washington, elle se couchera ! Si Langley veut savoir ce qui se trafique à Mogadiscio, vous payez le prix ou vous allez vous faire foutre.
Un ange traversa le restaurant et s’enfuit, en brisant une fenêtre, épouvanté par ces écarts de langage. On n’était plus entre gentlemen...
Malko, touché par la réaction de Harold Chestnut, décida de calmer le jeu.
— Harold, demanda-t-il, savez-vous où se trouve Amin actuellement ?
L’ex case-officer secoua la tête.
— Nope. Je ne sais même pas s’il est encore vivant.
J’ai cinq numéros de portable, mais je ne veux pas les essayer à l’aveuglette, d’ici. Ce serait trop dangereux pour lui. Il faut aller sur place. Personne n’a jamais su qu’il travaillait avec moi. Sinon, on lui aurait coupé la gorge depuis longtemps.
— Même l’honorable Ahmed Mohammed Omar ?
— Surtout lui ! Il l’aurait balancé pour se faire un peu de fric.
Belle mentalité.
— Mais vous pensez qu’Omar pourrait quand même m’aider ?
— Oui, au niveau de la sécurité. Il a de bons contacts avec celle du président Youssouf.
— Il est où, lui ?
— Je pense, quelque part à Nairobi. Il se planque...
— À Nairobi ? Pourquoi ?
— Une embrouille, sûrement, fit évasivement « Wild Harry ». Ce type vendrait sa mère et la livrerait. Mais on devrait pouvoir mettre la main dessus.
Malko demeura silencieux quelques secondes. « Wild Harry » méritait bien son surnom. En dépit de sa bonne volonté évidente, son plan partait un peu dans tous les sens. Tourné vers Mark Roll, il demanda avec un sourire suave.
— Et vous, Mark, quel est votre plan pour m’envoyer dans ce délicieux pays ?
Il crut que le chef de station allait lui sauter au cou.
— Vous parlez allemand ? lança-t-il.
Malko ne put s’empêcher de sourire.
— En principe, oui. C’est ma langue maternelle. Pourquoi ?
— Well, nos homologues du BND m’ont envoyé les représentants d’un armateur de Hambourg dont un cargo, le « Moselle », a été hijacké par des pirates. Le « Moselle » se trouve en ce moment à Hobyo. L’armateur et les pirates se sont entendus sur une rançon de deux millions de dollars, payée en liquide. Ses représentants ont débarqué à Nairobi, plutôt paumés, avec leur argent et un numéro de téléphone à contacter. Mon homologue du BND me les a envoyés.
— Vous voulez que je serve d’interprète ?
Mark Roll secoua vigoureusement la tête.
— Non, je voudrais que vous preniez la place d’un de ces types en vous faisant passer pour le représentant de l’armateur. Les autres n’y verront que du feu.
— Et ensuite ?
— Vous pouvez remonter la filière et demander de remettre la rançon directement en Somalie. Vous auriez déjà fait un sérieux pas en avant.
— Vers le précipice, ricana « Wild Harry ». Ces pirates sont vachement méfiants. Mark, il n’en a vu qu’à la télé. Moi, je les connais un peu mieux.
Malko n’était pas loin de partager son opinion, mais il se dit que, dans un premier temps, il ne risquait pas grand-chose. Si l’opération tournait court, comme c’était prévisible, on pourrait toujours revenir au plan B de « Wild Harry ».
— Je peux toujours les rencontrer, conclut-il. Vous leur avez fait part de votre projet ?
— Pas explicitement, reconnut Mark Roll, mais ils sont tellement paumés, qu’ils accepteront sûrement. Ils doivent venir à mon bureau à quatre heures.
— Eh bien, on va les voir, conclut Malko.
Mark Roll se tourna vers Harold Chestnut.
— Harold, j’aimerais bien que vous soyez là aussi. Vous connaissez tout cela mieux que moi.
— O.K., bougonna « Wild Harry », mais avant, je dois aller m’occuper de mes roses avec Hawo.
Avant de se lever, la somptueuse Hawo coula un regard brûlant à Malko et s’éloigna vers la sortie, le bras de « Wild Harry » autour de la taille, s’adaptant à sa claudication.
Étrange couple.
— Je pense que cela devrait marcher, fit Mark Roll d’un ton convaincu.
La méthode Coué.
Les deux hommes semblaient sortir d’une série télé allemande. Costume cravate d’une tristesse à mourir, visages de petits fonctionnaires, lunettes, lourdes serviettes de cuir noir, raides comme des parapluies. Par contre, Malko tomba en arrêt devant la blonde qui les accompagnait. Nez retroussé, bouche épaisse, cheveux en queue-de-cheval, un blouson en denim bleu et un jean extrêmement moulant. Lorsqu’elle se tourna pour attraper une chaise, Malko sentit son pouls s’envoler. Sa chute de reins pouvait rivaliser avec celle de Hawo.
Mais, elle était blanche...
Mark Roll fit les présentations : Heinrich Steiner, Ludwig Klein et Anna Litz.
Ils étaient à peine assis quand Harold Chestnut se glissa dans la pièce, aussitôt présenté comme « consultant ». Mark Roll résuma la situation pour Malko.
— Ils sont arrivés hier à Nairobi par Lufthansa, pour débloquer la situation de leur cargo, le « Moselle » arraisonné par des pirates, il y a un mois. Depuis, ils négocient par téléphone et mail. Les pirates demandaient dix millions de dollars et ils ont pu finalement traiter à deux millions. Ils ont hâte de régler l’affaire pour que le navire et l’équipage soient libérés. Apparemment, il se trouve encore en face d’Hobyo.
— Pourquoi êtes-vous à Nairobi ? demanda Malko en allemand. Cela ne pouvait pas se régler par un virement bancaire ? Beaucoup de rançons transitent par des banques de Dubai.
Curieusement, c’est la blonde à la croupe de rêve qui répondit.
— Nein ! Ils ne veulent que du cash.