— Vous l’avez avec vous ? interrogea Malko.
— Ja wohl ! confirma la jeune femme. Nous l’avons amené avec une autorisation des douanes allemandes.
Ces messieurs sont chargés de veiller dessus jusqu’à la remise de cette somme contre un reçu.
Un peu étonné par le silence des deux hommes, Malko demanda.
— Qui est le représentant de l’armateur ?
— Moi, fit Anna Litz. Dièse Herren appartiennent au BND. Ils sont là pour sécuriser la remise de la rançon.
— Où est l’argent ?
— Pour l’instant, dans le coffre de notre ambassade.
— Et comment comptez-vous contacter les pirates ?
La blonde sortit de son sac Hermès un papier plié qu’elle tendit à Malko. Il le déplia et lut : Ali Moussa 0725063338.
— Faites voir, demanda Harold Chestnut.
Malko lui remit le papier. Après un bref coup d’oeil, « Wild Harry » laissa tomber.
— Je connais.
Ce fut au tour de Malko d’être surpris.
— C’est un de vos contacts ? demanda-t-il.
— Non, un « businessman » à la somalienne, installé à Nairobi. Il est mêlé à des tas de trafics, joue les intermédiaires. C’est un voyou.
Malko traduisit la réponse. Anna Litz sembla choquée. Visiblement, si le rendez-vous n’avait pas eu lieu à l’ambassade américaine, lieu où, par définition, il n’y avait que d’honnêtes gens, les Allemands se seraient enfuis à toutes jambes. « Wild Harry » lança avec un large sourire.
— Dites-leur qu’ils ont bien fait de s’adresser à nous. On va les aider.
Au moins, il jouait le jeu.
— Nous allons vous aider, confirma Malko. Tout se passera bien.
— Dites-leur qu’on va tous dîner ensemble, proposa Harold Chestnut. On leur expliquera la marche à suivre.
Après que Malko eut traduit, le regard d’Anna Litz s’assombrit.
— On ne peut pas contacter cet homme avant le dîner ? Nous voudrions être de retour à Hambourg lundi. Mon boss est très impatient de voir cette affaire se terminer.
Ce dernier pensait sans doute qu’on se rendait en Somalie comme on va de Berlin à Hambourg.
— Il y a certains préparatifs à faire, tempéra Malko.
Il y avait surtout à expliquer aux Allemands le rôle qu’il allait jouer. En espérant qu’ils ne se braquent pas. Surtout les deux agents du BND chargés de convoyer le trésor.
Hawo, qui avait gardé son tailleur pantalon, et Anna Litz, qui avait troqué son jean pour une longue jupe moulée sur son exceptionnelle chute de reins, se contemplaient avec l’expression de deux panthères face à face au même trou d’eau... Il faut dire que l’atmosphère du « Carnivore » renforçait le côté « jungle » du dîner.
Situé à côté de Wilson Airport, le restaurant, immense, ne servait que de la viande. « Classique » et plus exotique, comme le crocodile ou l’autruche.
Des garçons en tenue zébrée passaient entre les tables, armés de longues piques, remplissant les assiettes tant qu’on ne retournait pas le petit drapeau présent sur chaque table. Au centre, des quartiers de viande grillaient sur un énorme grill circulaire et des hordes de chats gras à lard se faufilaient nonchalamment entre les tables, pouvant à peine se traîner, en dépit des écriteaux avertissant : « Do not feed the cats ».
Des haut-parleurs diffusaient de la musique africaine et les serveurs n’arrêtaient pas de remplir les verres. Depuis le début du repas, les deux agents du BND carburaient à la bière, « Wild Harry » au Pimm’s, et le reste de la table au Champagne Taittinger dont Malko avait commandé un magnum. Probablement desséchée par la proximité de l’énorme grill, Anna Litz vidait sa flûte avec l’automatisme d’une machine-outil teutonne.
La musique changea. Du N’dombolo, le rythme endiablé d’Afrique Centrale. Hawo, assise entre Malko et « Wild Harry », commença à se trémousser sur sa chaise.
— Qui veut danser ? lança-t-elle à la cantonade.
Raides comme la mort, les deux Allemands plongèrent le nez dans leur bière. À cause de sa jambe, Harold Chestnut n’était pas dans la course et Mark Roll se débattait avec un énorme morceau d’autruche.
Hawo lança un regard implorant à Malko, qui se dévoua.. La minuscule piste se trouvait juste en face de la broche géante et ils avaient la sensation d’évoluer dans un four. La jeune femme dansait avec souplesse, frôlant parfois Malko, avec une sensualité toute africaine.
— Je suis contente que vous soyez là ! fit-elle en tournant.
— Pourquoi ?
— Harold n’aime pas sortir et encore moins danser. Moi, j’adore.
Lorsqu’ils regagnèrent la table, Malko réalisa que personne ne se parlait. Or, ils n’étaient pas au Carnivore uniquement pour déguster de la viande de crocodile. Il rompit le silence pour demander à Heinrich Steiner :
— La récupération d’otages est toujours une opération délicate, dit-il. Que savez-vous de la situation des vôtres ?
— Ils sont restés sur le « Moselle » à Hobyo, répondit l’Allemand. L’homme qui parle au nom des pirates, un certain Youssouf, nous a dit que dès qu’ils auraient l’argent, le navire et l’équipage seraient relâchés. Vous pensez qu’ils disent la vérité ?
— Oui, confirma Harold Chestnut. Ils ont toujours procédé ainsi, mais il faut faire très attention à la « pollution » par des intermédiaires ; il ne faudrait pas payer deux fois...
Malko traduisit. Les deux Allemands semblaient épouvantés par cette perspective. Anna Litz demanda.
— Vous pensez qu’on ne peut pas leur faire confiance ?
— Pas plus qu’à un cobra affamé, affirma Malko. Ces gens sont des bandits. Aussi, voici ce que je suggère. Je vais mener les tractations à votre place, en me faisant passer pour un membre de votre délégation.
— C’est-à-dire ?
— Je parle allemand, précisa Malko et ils ne vous connaissent pas physiquement.
Anna Litz lança, inquiète.
— Il faudra qu’on vous confie l’argent ?
— Cela vous éviterait des contacts dangereux. L’Allemande secoua la tête.
— Nein. Je représente l’armateur. Je dois assister à toutes les négociations.
— Si vous le souhaitez, accepta Malko, mais cela ne sera pas facile. Laissez-moi au moins prendre les premiers contacts, comme si j’arrivais d’Allemagne. Tant que l’argent est dans le coffre de votre ambassade, vous ne risquez rien...
— Richtig ! accepta la jeune femme, après une brève hésitation.
— Dans ce cas, demain matin, j’appelle le numéro qu’on vous a donné et je vous tiens au courant des instructions que je vais recevoir.
— Ganz korrect, approuva Anna Litz.
Déchargés de toute responsabilité, les deux agents du BND reprirent des bières. Malko commanda une autre bouteille de Taittinger Comtes de Champagne, Blanc de Blancs et, dès que les flûtes furent pleines, leva la sienne.
— Buvons au succès de notre opération !
L’atmosphère s’était détendue subitement... Le N’dombolo faisait claquer les haut-parleurs. Malko se leva et prit la main d’Anna Litz.
— Venez découvrir le N’dombolo !
Elle le suivit, aussitôt imitée par Mark Roll et Hawo. « Wild Harry », lui, commanda un dernier Pimm’s. Anna Litz dansait d’une façon un peu raide, jetant des regards étonnés tout autour d’elle.
— C’est la première fois que vous venez en Afrique ? demanda Malko.
— Oui. C’est étonnant. Tous ces Noirs, cette atmosphère, cette musique.