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Le N’dombolo semblait la dégeler peu à peu. Il se rapprocha et Anna Litz se laissa aller contre lui. Au bout d’un moment, elle remarqua, d’une voix mal assurée.

— Je suis contente de vous avoir rencontré.

— Pourquoi ? Vous n’étiez pas seule.

— Ach ! fit-elle, ce sont des braves garçons, mais ils sont un peu perdus ici. Or, ils étaient venus pour me protéger... C’est moi qui ai la responsabilité de l’argent vis-à-vis de l’armateur...

— Vous êtes très jeune...

— Je viens d’avoir quarante ans, dit-elle, et j’ai deux enfants. Je suis divorcée, ajouta-t-elle aussitôt, alors que Malko ne lui demandait rien.

C’était presque un appel du pied. Encouragé, il laissa glisser un peu plus sa main autour de la taille d’Anna Litz.

— Tout se passera bien, promit-il. Quand ce sera terminé, je vous emmènerai au Ngoro-Ngoro.

— C’est une discothèque ?

— Non, le plus beau parc d’animaux d’Afrique. De l’autre côté de la frontière, en Tanzanie. Une demi-heure de vol en petit avion...

— Ach, wunderbar ! approuva-t-elle. Son visage se rembrunit. Mais, Heinrich et Ludwig ?

— On les emmènera aussi, mentit Malko. Maintenant, on va rentrer. Demain va être une longue journée. À quel hôtel êtes-vous descendue ?

— Au Serena.

— Comme moi. Cela facilitera les choses.

— Vous n’habitez pas Nairobi ?

— Non, je suis de passage, comme vous...

— Mais...

— J’appartiens à la Central Intelligence Agency et je suis ici en mission, expliqua-t-il. Harold Chestnut, lui, vit à Nairobi et son amie est Somalienne. Cela peut être utile.

Ils regagnèrent la table. Les gros chats étaient tous partis se coucher, sauf un. Effectivement, la journée du lendemain allait être cruciale. Peut-être que grâce à l’idée de Mark Roll, il allait se retrouver en Somalie à ses risques et périls...

CHAPITRE VI

Malko composa le 0725 063338, un peu tendu. La veille, il avait dit sagement bonsoir à Anna Litz dans le lobby du Serena et il devait la tenir au courant de ce premier contact. Harold Chestnut était à côté de lui, dans le bureau de Mark Roll et, grâce à une petite manip, ils avaient branché le portable allemand de Anna Litz sur le haut-parleur.

À la troisième sonnerie, une voix d’homme répondit :

— Ndio ?

— You are 725 063338 ? répondait Malko en anglais, mais avec un fort accent allemand.

— Yes. Who are you ? répondit son interlocuteur en anglais.

— J’arrive de Hambourg, dit Malko. On m’a dit d’appeler ce numéro.

— Je ne vous connais pas.

Néanmoins, l’inconnu ne raccrocha pas. Malko se hâta de compléter :

— C’est au sujet du cargo « Moselle ».

Il y eut un long silence, puis son interlocuteur demanda :

— Vous désirez rencontrer quelqu’un ?

— Ja wohl !

— O.K. Prenez un taxi et faites-vous conduire à Eastleigh. Demandez le City View Hôtel dans Wood street et attendez devant. Avec The Standard à la main. Dans une heure.

À peine eut-il raccroché que Wild Harry explosa de bonheur.

— Ils sont accrochés !

— Eastleigh, remarqua Malko, c’est un coin pourri de chez pourri. Je connais.

Un quartier mal famé à l’est de Nairobi, peuplé de Somaliens et d’Éthiopiens, centre géographique de tous les trafics.

— Vous ne risquez rien tant que vous n’y allez pas avec l’argent, assura Harold Chestnut. Il faut déjà voir à qui on a affaire.

— O.K. Je préviens Anna Litz.

Dès que la jeune Allemande fut au courant du rendez-vous, elle n’hésita pas.

— Je viens avec vous !

— Vous croyez que c’est vraiment nécessaire ? objecta Malko. C’est un quartier où les Blancs ne vont jamais. Et vous êtes une femme...

La jeune Allemande explosa dans le portable.

— Vous êtes machiste ?

— Non, prudent.

— Je tiens à venir. C’est mon boulot.

Toujours la conscience professionnelle allemande.

Malko se dit que, finalement, la présence de la jeune femme ajouterait à la vraisemblance de l’opération.

— O.K. Je vous attends à l’ambassade US. Prenez un taxi et venez.

Harold Chestnut était déjà au téléphone. En swahili. Lorsqu’il raccrocha, il annonça.

— J’étais avec Paul, le responsable de ma sécurité.

Dans une heure, il sera en face du City View en 4x4 avec deux ascaris et des riot-guns. Au cas où. Ici, un Blanc, ça vaut un million de dollars...

* * *

Depuis qu’ils avaient quitté Juja Road, ils avaient l’impression d’être dans un manège d’autos-tamponneuses. Rebondissant contre les parois du taxi, qui, lui-même sautait de trou en trou. La chaussée était totalement défoncée. Accroché au volant, le chauffeur essayait d’éviter les gosses, les charrettes à bras, les marchants ambulants, les animaux errants, y compris des chèvres.

Eastleigh était un gigantesque bidonville aux rues boueuses, poussiéreuses, sans la moindre signalisation, contrairement au reste de la ville. Cela tenait de la décharge publique, du marché tropical, du coupe-gorge. Effarée, Anna Litz écarquillait les yeux.

— Les gens ont l’air très pauvres, ici, remarquât-elle.

— Ils sont très méchants aussi, souligna Malko. Ils vous égorgent pour cent shillings. C’est pour cela que je ne voulais pas que vous veniez...

— Je vous demande pardon, fit la jeune Allemande.

C’est idiot, mais je suis toute la journée dans un bureau à Hambourg. Je n’ai jamais vu de choses comme ici. Ni rencontré de gens comme vous... Des gens qui...

Elle s’arrêta sans terminer sa phrase. Le taxi fit un violent écart qui la projeta contre lui et il sentit la masse tiède d’un sein. Le chauffeur jura, zigzaguant entre un énorme camion en loques et un bus qui avait jadis été jaune et ne tenait plus que par la peinture.

Enfin, il tourna à droite, dans une rue écrasée de soleil, bruyante, et s’arrêta devant un modeste bâtiment de trois étages, à la façade délavée. Il manquait plusieurs lettres à l’enseigne du City View Hôtel et on se demandait bien quelle vue il pouvait avoir, à part un toit de tôle où achevait de pourrir un énorme rat crevé.

— C’est ici, Bwana, annonça le chauffeur. C’est 400 shillings.

— Vous ne voulez pas attendre ?

Le Noir secoua la tête.

— Non, Bwana, pas ici. Ils vont me voler mes roues ou me dévaliser. Ce n’est pas bien d’avoir emmené une aussi jolie dame ici. Il y a d’autres hôtels à Nairobi.

Persuadé que Malko voulait sauter Anna Litz au City View Hôtel... Il paya et ils descendirent. Aussitôt pris à la gorge par la puanteur qui montait des tas d’ordures entourant le City View Hôtel. Le taxi démarra dans un nuage de poussière et Malko regretta de ne pas avoir pris une arme... Heureusement, il aperçut un peu plus loin une vieille Toyota avec deux Noirs à bord. Les « baby-sitters » de « Wild Harry ». Anna Litz avait perdu toute sa superbe. Elle se rapprocha de Malko.

— Quel endroit horrible ! souffla-t-elle. Je crois que j’ai peur.

Malko essaya de la rassurer.

— Vous voyez la voiture là-bas ? Ce sont des « baby-sitters » Ils sont armés.

Elle le fixa, de l’incompréhension plein les yeux.

— Des « baby-sitters ». Mais il n’y a pas d’enfants.

Malko dut lui expliquer. Visiblement, elle découvrait un autre monde.

Un Noir s’approcha, une liasse de billets à la main. Un changeur clandestin. Malko l’envoya promener et il s’éloigna avec un regard de concupiscence abjecte pour Anna Litz. Malko, machinalement, rabattit sa manche sur sa Breitling. Ici, on vous coupait le poignet pour une Swatch. Les passants leur jetaient des regards étonnés. Aucun muzungu ne venait jamais ici, à part quelques dealers de maraa... Le soleil tapait fort. Malko se dit qu’il valait mieux se réfugier dans l’hôtel. Au moment où il y poussait Anna Litz, un fil de fer flottant dans une chemise jaune se matérialisa, exhibant une denture de cannibale. Les Somaliens avaient souvent des dents énormes et très blanches.