— Que va devenir l’argent ?
Ali Moussa eut un geste évasif.
— Il parviendra très vite à ceux à qui il est destiné. Ce n’est pas votre problème.
— Nous pourrons vérifier ce qui se passe, nous sommes en liaison avec le « Moselle », souligna Malko.
Ali Moussa arbora un sourire plein de réprobation.
— Nous ne sommes pas des voleurs. C’est seulement une taxe pour préserver les intérêts de la Somalie...
Il se leva et alla prendre un grand sac en plastique transparent dans lequel il enfourna les liasses de billets. Ensuite, il en ferma le rabat et le « verrouilla » avec un autocollant sur lequel il inscrivit quelques mots en arabe et il signa.
— De cette façon, ils sauront que l’argent a été vérifié par moi.
Malko récupéra les deux millions de dollars, sous le regard inquiet d’Anna Litz, tandis que les 10000 dollars disparaissaient au fond d’un tiroir.
Cinq minutes plus tard, ils étaient dehors.
— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? demanda la jeune Allemande.
Malko se dit que c’était le moment de lancer un ballon d’essai.
— Désormais, tout est calé, répondit-il, vous n’avez plus besoin de moi. La remise de la rançon à Mombasa est une formalité. Les pirates n’ont pas intérêt à manquer de parole. Ce sont des businessmen. À leur façon. Avec vos deux agents du BND, vous pouvez faire un aller-retour...
La jeune femme le fixait, comme frappée par la foudre.
— Comment ! fit-elle d’une voix étranglée, vous ne voulez plus venir avec moi ?
Malko arbora un sourire innocent.
— Vous n’êtes pas seule...
Elle secoua la tête, prête à taper du pied.
— Je veux que vous veniez ! Vous me l’avez promis. Das ist nicht korrekt !
Dans sa rage, elle reparlait allemand. Malko lui prit le bras. Gentiment.
— O.K. Je viendrai avec vous. Mais je ne serai pas très utile.
— Si, fit Anna Litz. Sans vous, j’aurais horriblement peur. Ce pays me fait peur. Les Noirs me font peur. J’ai hâte d’être revenue en Allemagne.
Ils regagnèrent la Range-Rover. Il n’y avait plus qu’à mettre Harold Chestnut au courant et à le lancer sur la piste de l’honorable Ahmed Mohammed Omar. La « clef » de Mogadiscio.
Harold Chestnut attendait Malko au bar du Serena. Devant un Pimm’s. En apprenant les dernières nouvelles, il sourit.
— Ce n’est pas une corvée d’aller à Mombasa avec cette ravissante blonde. Et puis, vous glanerez bien quelques infos là-bas. Je suis sûr que les pirates y ont une importante tête de pont. Vous allez en avion, bien sûr ?
— Oui.
— Bon, je vais voir avec Paul si je peux vous procurer un peu de quincaillerie sur place. On ne sait jamais. C’est plein de malfaisants et il suffit qu’on sache ce que vous apportez pour avoir envie de vous le prendre. Enfin, j’espère que Ali Moussa n’a pas bavardé.
— C’est-à-dire ?
« Wild Harry » eut un sourire entendu.
— Il suffirait qu’il vous balance à des voyous qui vous piquent les deux millions de dollars. Il prendrait bien 20 %. Ça vaut la peine. Je vais m’occuper de ça. On vous appellera de la part de Paul.
Anna Litz ne quittait pas des yeux le sac de cuir posé à ses pieds, contenant la rançon, tandis que l’Embraer des Kenyan Airways prenait de l’altitude, au-dessus d’un paysage qui ressemblait à la Suisse. Quarante-cinq minutes de vol jusqu’à Mombasa, le grand port qui desservait toute l’Afrique centrale. Et accessoirement, une des bases en Afrique d’Al Qaida qui y avait préparé des attentats anti-israéliens. La jeune femme se tourna vers Malko, rayonnante.
— Vous ne pouvez pas savoir comme je suis contente que vous veniez. Heinrich et Ludwig sont ravis eux aussi. J’ai l’impression que le Serena est plein de prostituées...
— Assez pour les satisfaire, reconnut Malko.
— C’est comment, Mombasa ? enchaîna-t-elle.
— Horrible, autant que je m’en souvienne !
— Il y a des hôtels ?
— Il y avait... Le « Four Seasons » a fermé depuis trois ans.
— Où va-t-on alors ?
— Au Serena Beach. Vingt-cinq minutes de taxi, mais cela vaut mieux que d’avoir des cafards dans les draps. Ce soir, ce sera trop tard pour appeler « Andrew ». On ne se promène pas de nuit avec deux millions de dollars. On appellera demain matin.
Ils somnolèrent jusqu’à l’arrivée. Un tout petit aéroport flambant neuf et ensuite, une route étroite bordée d’abominables bidonvilles, encombrée de charrettes à bras, de cyclistes, de taxis. La chaleur était poisseuse, très différente de Nairobi et Anna Litz déboutonna son chemisier, laissant apercevoir un soutien-gorge blanc bien rempli.
— J’ai chaud ! murmura-t-elle.
Lorsqu’ils arrivèrent au Serena Beach, ils crurent entrer dans une pension de famille du quatrième âge... Un cadre magnifique, en bordure de l’océan Indien, mais des groupes de touristes plus qu’amortis qui mâchouillaient leur bouillie. Un Noir athlétique les conduisit à un bungalow face à la mer. L’air était délicieusement tiède. Une brise agréable soufflait de l’Océan Indien, faisant bruisser les cocotiers, on n’entendait que le bruit du ressac. Pas une lumière sur l’eau. Des petits singes, aux testicules étrangement bleus, couraient partout, pas farouches pour un sou.
Malko inspecta d’un coup d’œil le bungalow : une chambre avec un grand lit à baldaquin protégé par une moustiquaire et une seconde avec un petit lit, sans moustiquaire...
— J’avais demandé une suite avec deux chambres ! fit-il, je vais leur dire de prendre deux bungalows, ce sera plus confortable...
— Non, non, protesta Anna Litz, je ne veux pas me retrouver seule. J’ai vu les singes, en arrivant. J’ai affreusement peur des singes.
— Bien, conclut Malko, résigné, je coucherai dans cette pièce, dans ce cas...
— J’ai faim, dit la jeune Allemande.
Cinq minutes plus tard, ils redescendaient et gagnaient la réception. Horreur, il n’y avait qu’un menu, servi dans une ambiance crépusculaire avec des gens âgés qui pariaient à voix basse.
— On va aller ailleurs, suggéra Malko. Je connais un très bon restaurant à Nyali, le même qu’à Nairobi, le Tamarind. Il faut prendre un taxi, mais ce sera plus gai...
Visiblement, Anna Litz l’aurait suivi au bout du monde. Une demi-heure plus tard, il débarquaient au Tamarind, dans le quartier chic de Mombasa, juste avant le Nyali Bridge. Une grande salle éclairée aux chandelles, donnant sur un bras de mer, une clientèle élégante et, même un orchestre.
— C’est superbe ! s’extasia Anna Litz.
— Les langoustes étaient délicieuses ! soupira Anna Litz, le regard dans le vague.
Ils avaient partagé inégalement une bouteille de Taittinger Comtes de Champagne, la jeune femme en vidant les trois quarts. Malko profitait de cette détente inespérée. Après un coup d’œil à sa Breitling Bentley, il annonça :
— Demain, dès neuf heures, je téléphone à « Andrew ».
Anna Litz se rembrunit, inquiète.
— Qu’est-ce qui va se passer ?
— On va le rencontrer, probablement. Et lui remettre l’argent...
— Comme ça, sans un papier ? Sans garantie ? J’en suis responsable...
— Je sais, reconnut Malko. L’autre solution, c’est d’exiger de le donner directement aux pirates. Sur le « Moselle ». Mais c’est beaucoup trop dangereux... Nous risquerions de devenir otages à notre tour...