Il venait de finir son expresso quand un jeune Africain moustachu en polo rouge s’approcha de leur table, souriant.
— Mister Malko ?
— Yes.
— Hâve a good stay in Mombasa.
Déjà, il s’éloignait, après avoir déposé sur la table une boîte à chaussures. Malko la soupesa discrètement : ce n’était pas des chaussures... Il la prit et se dirigea vers les toilettes, abandonnant Anna Litz à la concupiscence des « backpackers ». Lorsqu’il ouvrit le paquet, il ne fut pas déçu. C’était un très beau « Glock 28 » avec trois chargeurs scotchés à la crosse. « Wild Harry » avait de bons amis à Mombasa.
Il glissa l’arme sous sa chemise, après avoir fait monter une balle dans le canon et regagna la terrasse. Anna Litz semblait nerveuse.
— Il est en retard...
— Nous sommes en Afrique, objecta Malko. Encore une demi-heure. À midi et demi, Malko rappela « Andrew » qui répondit tout de suite.
— Vous êtes où ?
— Pas loin de vous.
Il y avait bien une quinzaine d’Africains installés à la terrasse.
— Pourquoi ne venez-vous pas ?
— Qui est l’homme qui vous a apporté quelque chose ? demanda Andrew d’une voix méfiante... Vous ne me tendez pas un piège ?
— Non, assura Malko, c’est quelqu’un qui m’a apporté quelque chose pour ma sécurité.
— Vous avez ce qui est prévu ?
— Non, pas ici. Je voulais vous voir avant.
— Ce n’est pas la peine. Revenez quand vous l’aurez.
— Quand ?
— Vous êtes au Serena, non ? Dans deux heures. Mais il n’y aura pas de troisième rendez-vous. Nous ne voulons pas d’embrouilles.
— Je serai là dans deux heures, promit Malko.
Un aller-retour dans la voiture de l’hôtel. Désormais, Anna Litz serrant contre son cœur le paquet scellé contenant les deux millions de dollars, n’en menait pas large. Cette fois, ils n’étaient pas installés à la terrasse du Royal Castle depuis trois minutes que le portable sonna.
— You go to Al Nasser Hôtel, ordonna la voix d’Andrew. Your driver knows...
Le chauffeur connaissait. C’était vers la sortie nord de la ville, en plein quartier Somali. Le chauffeur se gara dans une petite rue et désigna une façade jaune.
— Al Nasser Hôtel.
Cela ne payait pas de mine. Le vacarme était insoutenable, avec le ballet des minibus et leurs racoleurs hurlant à pleins poumons. Les haut-parleurs d’une mosquée se mirent à psalmodier un appel à la prière. Malko arriva devant le Nasser Hôtel. Un espace était dégagé en face de son entrée, délimité par des fauteuils en plastique. Certains étaient occupés par des Somaliens, en train de boire du thé ou de méditer. Il regarda autour de lui : n’importe qui pouvait être « Andrew ». Ici, l’ambiance était nettement moins rassurante qu’au Royal Castle. Anna Litz ouvrait des yeux comme des soucoupes.
— Qu’est-ce qu’on fait ?
Malko n’eut pas le temps de répondre : son portable sonnait.
— That’s me, fit Andrew. You cross the boulevard and you take the road besides the Koboil station.
Malko se lança dans la circulation, contournant la station-service : en face, c’était le marché somalien : un entrelacs de ruelles bordées de petits commerces, remplies d’une foule compacte. Anna Litz sur ses talons, il se glissa dans la ruelle, entre les postérieurs démesurés de deux marnas. Les cheveux blonds d’Anna Litz faisaient taire les conversations sur leur passage. Depuis le départ des Britanniques, ils n’avaient jamais vu de Blancs ici. Une odeur pestilentielle s’élevait des halles voisines où l’on débitait de la viande couverte de mouches énormes de toutes les couleurs.
C’était tout simplement un souk.
Malko se retourna : on ne voyait plus l’avenue ; il était noyé dans la foule. Il continua, sans savoir où il allait. La ruelle était de plus en plus étroite, c’était le coin des marchands de tissus. Soudain, son pouls grimpa à la verticale. Il venait d’apercevoir dans la foule plusieurs jeunes gens qui venaient dans sa direction. Pas vraiment le profil des clients du souk : jeunes, barbus, les traits creusés, la peau très sombre, habillés à la somalienne.
Il s’arrêta, le pouls à 150. Anna Litz n’avait encore rien remarqué.
— On est arrivés ? demanda-t-elle.
— Non, fit Malko. On retourne.
Il était en train de faire demi-tour lorsqu’il aperçut sur ses talons d’autres jeunes gens qui se préparaient à faire la jonction avec les premiers. Automatiquement, sa main se glissa sous sa chemise, saisissant la crosse du « Glock 28 ». Une très bonne arme, mais, dans cette foule, après avoir vidé un chargeur, il aurait le choix entre se faire égorger ou être lynché. Il était tombé dans un piège ! Les deux millions de dollars allaient changer de mains. Mais pas forcément au profit des pirates.
Quelque part, il y avait eu une « pollution ». Anna Litz vit son expression et pâlit.
— Qu’est-ce qui se passe ?
— Nous sommes dans la merde ! fit Malko, sauf si vous êtes prête à abandonner les deux millions de dollars. On nous a attirés dans un piège.
— Jamais ! lança-t-elle. J’en suis responsable.
Le cri d’une chatte à qui on veut arracher ses petits. Malko lui jeta un regard presque amusé. Visiblement, elle ne savait pas ce que c’était que de se faire violer par une centaine de Somaliens.
— Bien, soupira-t-il. On assure.
Tirant le « Glock 28 » de sous sa chemise, ij fit face au groupe le plus proche déjeunes gens. Même en les abattant tous, il avait à peine une chance sur un million de sortir vivant de ce piège.
Amèrement, il se dit que le proverbe allemand « Nachrichtung dienst ist Herrendienst » était juste. Si sa galanterie ne l’avait pas poussé à accompagner Anna Litz à Mombasa, il n’en serait pas là.
Il leva lentement le Glock à la hauteur de sa ceinture, serrant le précieux paquet sous son bras gauche et se dirigea vers les jeunes gens.
— Restez près de moi ! recommanda-t-il à Anna Litz.
Protection totalement illusoire : ils allaient être massacrés tous les deux.
CHAPITRE VIII
Malko reprit sa marche en avant, tenant son arme à l’horizontale, à hauteur de la ceinture, presque invisible dans cette foule compacte. Il se dirigeait vers les jeunes gens qui barraient la ruelle. Trois marchands de tissus virent le pistolet et plongèrent immédiatement sous leur comptoir. La cohue était telle que les passants se bousculaient sans même voir le Glock.
Il fit encore quelques pas, bousculant une « marna » qui se retourna, furieuse, et resta figée, les yeux exorbités devant le pistolet. Il n’était plus qu’à un mètre du « barrage » et il croisa le regard d’un des jeunes gens : sombre, inexpressif, dur. Ils se ressemblaient comme des clones : grands, très minces, les traits fins, les cheveux frisés très courts, le teint sombre. Des Somaliens.
Il adressa une prière muette au ciel, surveillant leurs mains. Et soudain, une voix fit derrière lui :
— Have no fear. They are friends.
Il se retourna et vit un Africain, coiffé d’un chapeau beige rejeté en arrière du front, un nez épaté, une chemise rouge flottant sur un torse maigre.