— Bel endroit ! remarqua l’ex case-officer. Cela ne doit pas être donné...
Il s’était arrêté dans le parking, face à la réception.
— Je vous appelle s’il y a un problème, dit Malko.
Il avait ramené de Mombasa le Glock en bagage accompagné et, prudemment, l’avait glissé dans sa ceinture sous sa chemise. Sans réellement penser avoir à s’en servir. Le Safari Park ressemblait à tout sauf à un coupe-gorge. Il pénétra dans la rotonde abritant la réception, occupée par un énorme éléphant empaillé et demanda Ali Moussa. Ce dernier avait dû laisser des consignes, car l’employé lui dit aussitôt :
— Mister Ali Moussa est au Block 6, « Flamingo ». Vous prenez à droite en sortant. Bungalow n° 20.
Malko ressortit, suivant les « blocks » qui semblaient déserts, à quelques exceptions près. Quelques bonnes faisaient des chambres. Il arriva au bout du block « Flamingo » et aperçut, tout au fond, un bungalow isolé, tout près de la clôture.
Un panneau était planté au milieu de la pelouse : « bungalow N° 20 ». Malko sonna et la porte s’ouvrit aussitôt sur un homme au teint sombre, très maigre, qui, sans un mot, lui fit signe d’entrer. En tout, il y avait quatre hommes dans la pièce. Tous du même type. Très minces, le teint sombre, vêtus de tenues blanches. Celui qui avait ouvert désigna un fauteuil à Malko.
— Sit down. Ali Moussa is coming.
Malko s’installa et ils se contemplèrent en chiens de faïence pendant d’interminables minutes.
L’atmosphère était lourde, humide, car la clim ne marchait pas. Malko éprouva une sensation bizarre. Ces hommes étaient visiblement des Somaliens. Que voulaient-ils ? Il regretta de ne pas avoir emmené « Wild Harry ».
Il sortit son portable pour lui dire où il se trouvait. Aussitôt, l’homme qui avait ouvert lança, sans élever la voix.
— No mobile, please.
Malko faillit passe outre, puis il se dit qu’il était inutile de s’affronter avant l’arrivée de Ali Moussa. L’un d’eux alluma la télé. Ils ne semblaient pas agressifs.
Dix minutes plus tard, il entendit le bruit d’un véhicule qui s’arrêtait devant le bungalow. Celui qui lui avait ouvert se leva et, à peine la sonnette avait-elle retenti, ouvrit la porte.
L’imposante silhouette du gros Somalien s’y encadra. Dès qu’il aperçut Malko, il lui adressa un sourire chaleureux, se penchant en avant. Dans cette petite pièce, il semblait encore plus grand avec son énorme panse et son drôle de crâne en pain de sucre.
— Pourquoi vouliez-vous me voir ? demanda Malko.
Ali Moussa désigna celui qui avait ouvert la porte.
— C’est lui qui voulait vous rencontrer. Il paraît qu’il y a eu un problème avec le « Moselle ».
Malko sentit son pouls s’accélérer.
— Un problème ? Quel problème ?
— Ils ne me l’ont pas dit. Je devais seulement vous demander ce rendez-vous.
Il engagea la conversation en somalien. Son interlocuteur parlait d’une voix basse, presque imperceptible. Les premiers échanges se firent sur un ton modéré, puis Malko vit les traits d’Ali Moussa se crisper. Même s’il ne comprenait pas un mot de ce que disait le gros homme, il sentait la tension monter visiblement. Ali Moussa se défendait avec véhémence de quelque chose.
— Que se passe-t-il ? demanda Malko.
Ali Moussa se tourna vers lui et jeta.
— Ils prétendent que les billets que vous m’avez donnés étaient faux !
— Faux !
Malko n’en revenait pas. C’était l’argent remis par Anna Litz.
— C’est impossible ! protesta-t-il, cet argent venait d’Allemagne, d’une banque.
Ali Moussa se tourna vers les autres Somaliens et les apostropha violemment.
Il se retourna ensuite vers Malko. Cette fois, il semblait sincèrement bouleversé.
— Ils disent que ceux qui les ont réceptionnés là-bas avaient une machine à détecter les faux billets !
Ils en ont testé plusieurs. Ce sont des faux. Il y en a déjà eu. Ils disent qu’ils se sont fait voler. Maintenant, le « Moselle » est loin, avec son équipage. Ils prétendent que je suis responsable, que j’aurais dû vérifier les billets.
— Vous avez des détecteurs de faux ?
— Oui, avoua le gros homme, mais je n’y ai pas pensé.
— Qu’est-ce qu’ils veulent ?
— Leur argent.
Malko se demandait où était l’arnaque.
— C’est impossible, répéta-t-il. Ils mentent ; ces billets sortaient d’une banque, ils ne peuvent pas être faux. C’est eux qui veulent se faire payer deux fois.
Ali Moussa ne répondit pas. Planté au milieu de la pièce, il semblait perdu, dépassé, en dépit de sa taille immense. Il tourna un visage bouleversé vers Malko.
— Il faut faire quelque chose, dit-il d’une voix suppliante. Ils me rendent responsable...
C’était un comble... Malko commençait à sentir que la situation tournait au vinaigre. Il bougea légèrement afin de pouvoir plus facilement atteindre son pistolet plaqué dans son dos et proposa d’une voix conciliante.
— Dites-leur que, si c’était vrai, par impossible, ils recevront une compensation...
Celui qui faisait face à Ali Moussa cracha quelques mots après la traduction.
— C’est ce qu’ils ont prévu...
Le ton était nettement menaçant.
Malko n’eut pas le temps de répondre. Sans un mot, le Somalien venait de tirer de ses vêtements un très long poignard effilé. Sans crier gare, d’un geste brutal et précis, il le plongea dans le ventre d’Ali Moussa, en biais. Puis, avec un « han » de bûcheron, tenant le manche à deux mains, remonta, ouvrant en biais, le ventre du Somalien.
La bouche d’Ali Moussa s’ouvrit à se décrocher la mâchoire, son regard vacilla. Automatiquement, il porta ses deux mains à son ventre, essayant de retenir ses intestins qui commençaient à jaillir de l’affreuse blessure.
Une odeur fade, écœurante, se répandit instantanément dans la pièce. Le géant titubait, sans pouvoir articuler un mot. Il tournoya sur lui-même, puis tomba à genoux.
Malko était déjà debout, arrachant le Glock de sa ceinture. Il n’eut même pas le temps de tendre le bras. Un des autres Somaliens avait bondi et il sentit la pointe d’un poignard s’appuyer sur sa gorge...
Même s’il tirait, l’autre aurait le temps de l’égorger. Du coin de l’œil, il vit l’assassin de Moussa Ali lui relever la tête de la main gauche et promener délicatement le tranchant de sa lame sur sa gorge, faisant jaillir deux jets de sang des carotides. Puis, d’une bourrade, il le poussa en avant et le gros homme demeura immobile sur le parquet sombre.
Malko sentit qu’on lui arrachait son pistolet. La pointe appuyait toujours sur sa gorge. On le délesta de son portable et on le força à se rasseoir. Les quatre hommes semblaient parfaitement calmes.
Le chef sortit un stylo à bille et une feuille de papier de sa poche, puis lança à Malko.
— Vous écrivez : « Les billets étaient faux. Nous voulons trois millions de dollars d’ici trois jours. Sinon, l’otage sera exécuté ».
L’otage, c’était lui...
À peine eut-il terminé d’écrire qu’un des Somaliens ouvrit un sac de toile et y prit une cagoule qu’il enfila sur la tête de Malko, serrant un lacet autour de son cou. Ce dernier sentit qu’on lui attachait les poignets et les chevilles. Ensuite, l’un des hommes le chargea sur son épaule et, quelques secondes plus tard, il sentit l’air de la nuit. Il entendit coulisser la porte d’un véhicule et fut brutalement lâché sur le plancher métallique. Son portable était resté dans le bungalow.
La porte coulissa à nouveau, puis il entendit un bruit de moteur et le véhicule démarra. Quelques minutes plus tard, il se rendit compte qu’ils roulaient dans une grande artère, en entendant le bruit des voitures...