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* * *

L’odeur pestilentielle montait du sol, traversant le tissu de la cagoule et s’infiltrant jusque dans les poumons de Malko. Celui-ci avait été transporté comme un sac, jusqu’à un sous-sol où on l’avait jeté à terre, en lui laissant sa cagoule. Il ignorait l’heure : près de dix heures, probablement. Aucun bruit ne parvenait de l’extérieur. À tâtons, il avait essayé de bouger, en dépit de ses chevilles entravées, se cognant à des murs humides, et à ce qui ressemblait à des sacs de riz.

Finalement, il avait entendu une porte s’ouvrir et il avait perçu des voix, une féminine et une masculine, discuter à voix basse.

Un peu plus tard, on lui avait enlevé sa cagoule et il avait distingué dans la pénombre la silhouette d’une femme en tenue traditionnelle somalienne. Elle avait déposé sur un tabouret de l’eau dans un bol et un plat de riz, avant de s’éclipser. Les mains liées dans le dos, Malko en était réduit à manger et boire comme un animal. Prudent, il n’avait pas touché à l’eau qui devait être un précipité de choléra et d’amibes.

Il se dit qu’il avait probablement été transporté dans Eastleigh, le quartier somalien de Nairobi, dédale de ruelles nauséabondes où même la police ne mettait pas les pieds. Personne ne viendrait le chercher au fond de ce sous-sol humide. Il pensa à « Wild Harry ». L’Américain avait sûrement trouvé son message et le cadavre de Moussa Ali. Donc, les opérations de sauvetage avaient dû commencer.

Ce qui ne voulait pas dire qu’elles réussissent...

Il s’appuya au mur et tenta de trouver le sommeil. Pour l’instant, c’est ce qu’il avait de mieux à faire.

* * *

Gerd Frolich, le chef de poste du BND à Nairobi, était livide, fuyant le regard de Mark Roll et de « Wild Harry ». Il était minuit dix. Depuis trois heures, l’Allemand remuait ciel et terre au téléphone, sortant ses collègues du lit à Pullach pour découvrir la vérité.

— Es war richtig, commença-t-il en allemand tant il était mal à l’aise, puis continuant en anglais. C’est vrai, les billets de cent dollars étaient faux.

Mark Roll poussa un soupir accablé.

— My God ! Qui a décidé cette connerie ?

— C’est une idée du BKA. Ils venaient de saisir une tonne de billets de cent dollars, bien imités. Ils se sont dit que c’était une bonne idée pour prendre les pirates à leur propre piège. Evidemment, on ne pouvait pas prévoir.

« Wild Harry » secoua la tête, effondré.

— Et s’ils s’en étaient rendu compte avant le départ du « Moselle » ; ils étaient capables d’exécuter les otages. L’armateur était au courant ?

— Oui, il paraît. Il était d’accord, cela lui évitait de débourser une grosse somme...

Ces Allemands, qui avaient l’air tellement « korrekts », payant la rançon en fausse monnaie ! On ne pouvait plus se fier à personne.

Mark Roll planta son regard dans celui de son homologue.

— Herr Frolich, il vous reste une seule chose à faire : remettre à notre disposition immédiatement trois millions de dollars afin que nous puissions récupérer Malko Linge.

L’Allemand devint rouge comme une tomate et bredouilla.

— Mes chefs m’ont dit que ce n’était pas au BND de fournir cette somme. C’est l’armateur qui est censé payer cette rançon.

« Wild Harry » lui jeta un regard noir.

— Vous allez me donner le téléphone de l’armateur.

Si jamais ils font des manières, je convoque le Washington Post, le New-York Times et Der Spiegel pour leur raconter l’histoire. Je pense que cela fera mauvais effet...

Il s’était levé et l’Allemand en fit autant, s’enfuyant littéralement du bureau. « Wild Harry » secoua la tête.

— Ces enfoirés de bureaucrates ! Ils croient qu’ils jouent au Monopoly...

— Vous avez des nouvelles du NSI pour le bungalow ?

— Je n’ai eu qu’une permanence. La police est là-bas. Apparemment, Ali Moussa n’était pas le locataire du bungalow, mais la direction du Safari Park refuse de coopérer en donnant le nom du véritable locataire. Et comme le propriétaire de l’hôtel est un homme politique très puissant, les flics y vont sur la pointe des pieds...

— Les enfoirés ! gronda « Wild Harry » Puis, d’une brusque inspiration, il lança. Qu’est devenu le colonel Makuka ?

— Il a quitté le National Intelligence Service, sans même accéder au grade de général, dit Mark Roll. Moi, je ne l’ai pas connu.

— Qu’est-ce qu’il fait ?

— Il paraît qu’il a un bureau de change dans Mama Ngina, au rez de chaussée du building « Century Plaza ».

« Wild Harry » ne se trouvait pas à Nairobi lors de l’affaire Abdullah Ocalan, mais il avait lu les archives et savait comment le colonel kenyan avait récupéré frauduleusement cinq millions de dollars de la CIA pour livrer le leader du PKK aux Turcs. Après dix ans au NSI, il avait sûrement encore des relations. Il suffisait de le motiver.

* * *

Malko se réveilla en sursaut, entendant la porte s’ouvrir. Ignorant combien de temps il avait dormi. Il sentit qu’on défaisait le lacet retenant sa cagoule qu’on lui arracha. Il cligna des yeux, sous la lumière crue d’une ampoule nue. Debout, en face de lui, se tenait le Somalien qui avait éventré Ali Moussa. Pour ne pas se sentir trop en état d’infériorité, il réussit à se mettre debout.

L’homme lui jeta un regard froid et annonça en mauvais anglais.

— Vous nous avez menti. Vous n’êtes pas venu d’Allemagne avec cette rançon. Vous travaillez avec la CIA à Nairobi. Nous avons communiqué avec nos frères qui se trouvent à Haradhere. Ils ne veulent pas que vous soyez échangé contre une rançon. Malko affronta son regard et dit.

— Vous allez m’assassiner.

— Non, vous allez être transféré dans notre pays, comme prisonnier de guerre. Les Américains ont commis beaucoup de crimes chez nous.

— Je ne suis pas Américain.

— Vous travaillez pour les Américains, c’est pareil.

Il fit un geste discret et l’homme qui se trouvait avec lui remit sa cagoule à Malko, qui se retrouva seul dans sa « cellule ». Face à une perspective peu réjouissante : les frères de Harardhere, ce ne pouvait être que les « Shebabs », les militants extrémistes islamistes, les talibans de Somalie. C’était pire qu’une condamnation à mort. Ils haïssaient viscéralement les Américains et risquaient de lui faire payer très cher ses liens avec la CIA.

CHAPITRE XI

Harold Chestnut pénétra dans la galerie du rez-de-chaussée du Century Plaza, dans Marna Ngina road qui abritait le « Dahab Sheel » du colonel Mukaka. Une galerie marchande animée d’où partait un grand escalier menant au premier étage. Le bureau de change, sur la droite, se signalait par une longue façade de verre dépoli, couverte de slogans proposant des transferts partout dans le monde au meilleur prix.

Lorsqu’il entra, il y avait la queue à tous les guichets et des clients attendaient sur un banc. « Wild Harry » gagna la cage vitrée du caissier et annonça :

— Je viens voir le colonel John Makuka.

— Il vous attend ? Je ne sais pas s’il est là, fit la caissière, nettement réservée.

« Wild Harry » prit une carte de l’ambassade américaine et la lui tendit.

— Donnez-lui ça et dites-lui que c’est urgent...

Il alla s’asseoir sur un banc et déplia « The Standard ». Trois minutes plus tard, la fille vint le chercher. Ils suivirent un couloir contournant tous les comptoirs jusqu’à un petit bureau au fond, à la porte vitrée portant l’inscription « Manager ».