L’ex-colonel Makuka était à son bureau, toujours avec son air de vieux crocodile. « Wild Harry » s’assit en face de lui et demanda.
— Vous avez l’information ?
Le Kenyan leva sur lui un regard torve.
— Personne ne doit jamais savoir que je vous ai aidé.
— Personne ne le saura, confirma l’Américain.
— Le bungalow N° 29 est loué à l’année par un des hommes les plus riches du Kenya. L’honorable Hadj Aidid Ziwani.
— Pourquoi « honorable » ?
— Parce qu’il a été longtemps membre du Parlement. C’était un ami du Président Arap Moi.
Un des plus grands prédateurs d’Afrique...
— Comment il a gagné son argent ?
— Kito Kidogo fit avec un sourire en coin l’ex-colonel du NSI. Ensuite, il a acheté des plantations de maraa sur les pentes du mont Kenya. Il en expédie tous les jours en Somalie. Il a aussi une affaire à Mombasa qui lui sert à faire entrer au Kenya des tas de marchandises en provenance de Somalie.
— Où habite-t-il ?
— À Nyali, le quartier élégant de Mombasa. Une résidence magnifique, avec même une hélipad.
— Il est lié aux Somaliens ?
— Oui, bien sûr, par le business. Il s’est d’ailleurs converti à l’Islam.
— Et aux pirates ?
— Je ne sais pas, fit prudemment John Makuka.
— Son adresse à Nyali.
— Tout le monde la connaît. C’est à côté du golf.
— Et à Nairobi ?
— Il n’a pas de maison. C’est pour cela qu’il a ce bungalow au Safari Park.
— C’est tout ?
John Makuka ajouta, après une brève hésitation :
— Quand il ne reste pas longtemps, il descend au Panari sur Mombasa road.
— Vous savez où il est en ce moment ?
— Non. Et ne me reparlez jamais de lui, compléta-t-il d’un ton menaçant. Vous pouvez me remercier. Personne n’aurait pu vous renseigner aussi vite, à Nairobi.
« Wild Harry » se leva et pointa son index vers l’ex-colonel du NSI avec un sourire.
— C’est vrai ! Mais personne n’aurait pu vous donner cinq millions de dollars pour monter un business, non plus... Remember.
Il était déjà hors du bureau. Paul, son fidèle chauffeur, l’attendait au volant du 4x4.
— On va à l’hôtel Panari sur Mombasa Road, annonça « Wild Harry ». Vous connaissez ?
— Oui. Beaucoup de Somaliens y descendent. À son dernier séjour, le Président Youssouf y a séjourné.
Tandis qu’ils roulaient vers Mombasa Road, ralentis par un embouteillage monstrueux, « Wild Harry » appela Mark Roll et le mit au courant de sa découverte.
— C’est la seule piste, conclut-il. Peut-être qu’elle est mauvaise, mais ce Hadj Aidid Ziwani a un lien direct avec ceux qui ont kidnappé Malko.
— Les Kenyans ne vont pas nous aider, soupira l’Américain. Un type comme ça doit acheter tout le monde.
— Je n’ai besoin de personne, assura « Wild Harry ». Restez au bureau. Je vous rappelle du Panari. De votre côté, voyez ce que vous pouvez apprendre sur ce Hadj Aidid Ziwani.
Avec une sorte de grille jaune en travers de sa façade, le Panari ressemblait à une Buick des années cinquante. Planté au milieu des concessionnaires autos, le long de l’interminable Mombasa Road à la chaussée défoncée.
Laissant Paul dans le 4 x 4, « Wild Harry » gagna la réception. Comme toujours en Afrique, les fauteuils du hall étaient occupés par des hommes à l’allure inquiétante : flics, trafiquants ou gardes du corps. Ils suivirent « Wild Harry » d’un regard intrigué. Au Panari, on ne voyait pas beaucoup de muzungus.
Un grand noir à la denture éblouissante l’accueillit à la réception.
— Yes, Sir ?
— On m’a dit que Mister Hadj Aidid Ziwani était en ville, attaqua à tout hasard « Wild Harry ».
Le réceptionniste arbora aussitôt une mimique désolée.
— Sir, vous n’avez pas de chance : il était là depuis hier, mais il vient juste de partir !
« Wild Harry » sentit son pouls grimper en flèche. Avec la présence à Nairobi du milliardaire kenyan, son hypothèse se renforçait.
— Il est en ville ? insista-t-il.
— Non, il vient de repartir pour Mombasa. Vous l’avez raté de vingt minutes. On vient juste de terminer le chargement de ses bagages.
— Il repart par Wilson ou Jomo Kenyatta ?
— Oh, il met toujours son hélicoptère à Wilson, Sir, c’est plus pratique. Autre chose ?
— Vous avez son portable ?
— Non, hélas !
« Wild Harry » ressortit du Panari, le cerveau en ébullition. Les pensées s’entrechoquaient sous son crâne. Les ravisseurs de Malko ne réclamaient plus de rançon. Ce Hadj Aidid Ziwani était venu pour vingt-quatre heures à Nairobi et repartait sur Mombasa. Or, si les ravisseurs de Malko voulaient l’exfiltrer vers la Somalie, ils devaient passer par Mombasa... Dans un hélicoptère privé, on pouvait parfaitement transporter un homme kidnappé. Il sauta à la voltige dans le 4 x 4 et lança à Paul :
— On va à Wilson Airport, vite.
Tandis qu’ils remontaient Mombasa Road, il appela Mark Roll et lui fit part de ses soupçons.
— Je me demande si ce type n’est pas venu chercher Malko...
— Je me suis renseigné, fit aussitôt le chef de station de la CIA. On ne peut pas compter sur les Kenyans. Hadj Aidid Ziwani jouit de la protection du nouveau président. Que voulez-vous faire ?
— Je ne sais pas encore, avoua « Wild Harry ». Je vais à Wilson Airport. J’aimerais bien vérifier le chargement de son hélicoptère.
— Soyez prudent. C’est un VIP.
— C’est peut-être, aussi, un kidnappeur, grommela « Wild Harry ».
Adj Aidid Ziwani sentit sa poitrine se dilater de soulagement lorsque le Bell, après un point fixe qui lui avait semblé interminable, s’arracha enfin du sol. Il passa au dessus des hangars de Wilson Airport et prit la direction du sud. Jusqu’à la dernière seconde, Hadj Aidid Ziwani avait tremblé, s’attendant à voir surgir les Américains.
Pourtant, le chargement de l’hélico s’était passé sans problème. Le fourgon de ses « amis » avait apporté, alors que le rotor tournait déjà, le grand sac qu’on avait jeté dans la cabine, à côté de ses bagages.
Il était trop connu pour que le moindre policier s’intéresse à ce qu’il emportait. Son seul contact était avec la tour de contrôle, pour les formalités de décollage.
Assis à côté du pilote, il se détendit enfin. Dans quelques heures, tout serait réglé.
Installé à l’avant du 4x4 garé en face du bâtiment des départs de Wilson Airport, « Wild Harry » attendait le retour de Paul qu’il avait envoyé dans l’aéroport s’enquérir de Hadj Aidid Ziwani.
Trépignant intérieurement.
Paul surgit en courant de l’aérogare et remonta au volant.
— Il a décollé il y a dix minutes pour Mombasa ! annonça-t-il.
L’Américain n’hésita pas.
— Retournez fouiner. Essayez de savoir ce qu’il avait comme bagages, où il va se poser, combien de temps il prend pour le trajet.
Tandis que Paul s’engouffrait de nouveau dans le terminal, il appela Mark Roll.
— On l’a raté ! annonça-t-il, à dix minutes près.
— C’est bête.
— Écoutez, fit « Wild Harry », j’ai une sale intuition. Je veux absolument arriver à Mombasa avant lui.