Il postillonnait tellement que « Wild Harry » recula un peu, mais enchaîna du même ton neutre.
— Je vais donc vous faire une proposition. Vous maintenez n’être pour rien dans cette affaire. O.K. Nous allons fouiller cette propriété. Si nous ne trouvons rien, je repartirai et vous recevrez une lettre d’excuses de son Excellence l’ambassadeur des États-Unis. Dans le cas contraire, si je retrouve ici la personne que je recherche, je vous tirerai une balle dans le ventre, de façon à ce que vous ayez le temps de réfléchir à ce que vous avez fait, avant de vous en mettre une dans la tête. Décidez-vous.
Hadj Aidid Ziwani n’arrivait pas à articuler un mot. Cet homme massif, courtois et, visiblement très dangereux, le terrifiait. Il sentait que ce n’était pas une menace en l’air.
Said, son maître d’hôtel, avait surgi et attendait ses ordres en silence, ne comprenant rien à la situation. On aurait dû l’appeler pour offrir des boissons aux visiteurs. Hadj Aidid Ziwani oscillait sur lui-même, en proie à un vertige. Les lèvres scellées. Quoi qu’il dise, il en résulterait des catastrophes. Finalement, sous le regard perçant du Blanc, il baissa la tête et se tourna vers le maître d’hôtel, lui lançant une longue phrase en somalien... L’autre disparut aussitôt.
— Je crois que vous avez pris la bonne décision, laissa tomber « Wild Harry ». Cela allonge votre espérance de vie. Avec tout ce que vous possédez, ce serait bête de mourir prématurément...
Malko était plongé dans une sorte de torpeur malsaine lorsqu’il se rit qu’on le remettait debout. Il avait réalisé avoir été transporté en hélicoptère, et s’attendait à un second transport, par mer cette fois.
Soudain, quelqu’un défit les liens fermant le sac qui retomba autour de lui. Il aperçut deux visages inconnus et terrifiés, la peau très sombre. Les deux hommes l’aidèrent à se dégager du sac, arrachèrent avec précaution son bâillon de scotch, tranchèrent les liens qui immobilisaient ses chevilles et ses poignets, puis lui firent signe de les suivre.
Ils montèrent un escalier de pierre en colimaçon, débouchant dans un hall éclairé, au plafond très haut. Un homme s’y tenait de dos, et face à lui, il aperçut la bonne bouille de « Wild Harry », accompagné de quatre Africains, dont Paul.
Il était sauvé.
« Wild Harry » lui adressa un signe joyeux et demanda.
— Vous êtes O.K. ?
— Ça va, fit Malko, j’ai soif.
— Donnez-lui un jus de mangue, lança « Wild Harry » au maître d’hôtel. C’est frais. Si on s’asseyait quelque part, je crois que nous avons des choses à nous dire...
Ils gagnèrent un salon meublé à l’arabe, avec des rideaux verts et des canapés assortis le long des murs, des tables basses et des tapis. « Wild Harry » désigna Hadj Aidid Ziwani à Malko.
— C’est ce gentleman qui vous a amené de Nairobi dans son hélicoptère. Et qui a eu l’obligeance de vous libérer à ma demande...
Hadj Aidid Ziwani baissa la tête. En dépit de ses milliards, il se sentait tout petit et tout faible. « Wild Harry » se tourna vers lui et demanda suavement.
— Dites-nous donc ce que vous aviez l’intention de faire de mon ami, Honorable. Vous ne vouliez pas l’enterrer dans votre parc...
Le Somalien sursauta.
— Je n’ai jamais eu l’intention de lui faire du mal...
— Mais encore ? Il baissa la tête.
— On devait venir le chercher.
— Pour en faire quoi ?
— L’emmener en Somalie. En bateau, je pense. Silence. « Wild Harry » laissa le Somalien cuire dans son jus un long moment avant de dire.
— Honorable Aidid Ziwani, je pense que vous êtes conscient d’avoir participé à un crime extrêmement grave. Le kidnapping d’un agent de la CIA et, qui plus est, en mission. Vous savez comment nous traitons ce genre d’affaire. Certes, au Kenya, vous ne risquez rien, grâce à vos protections. Mais nous ne laissons jamais ce genre de crime impuni. Il y a un « executive order » du Président des Etats-Unis qui nous permet de punir les coupables, même de façon illégale...
Vous pouvez, à votre tour, être kidnappé et envoyé en prison aux États-Unis pour le restant de vos jours. Ou subir un sort plus brutal.. Bref, vous êtes dans une situation délicate... Hadj Aidid Ziwani leva un regard misérable.
— Voulez-vous un don ? Un don important.
« Wild Harry » ne put s’empêcher de sourire.
— C’est un geste qui vous honore, Honorable, mais nous ne manquons pas d’argent. Bien, je pourrais repartir d’ici avec vous, mais j’ai peut-être une autre solution à vous proposer. Une question : si on vous avait prévenu que je vous attendais ici, qu’auriez-vous fait de votre « colis » ?
Hadj Aidid Ziwani baissa la tête.
— Je m’en serais débarrassé, avoua-t-il d’une voix imperceptible.
— Comment ?
— Pendant le vol, bredouilla-t-il.
— Autrement dit, continua impitoyablement « Wild Harry », vous l’auriez jeté par-dessus bord.
Le Somalien ne répondit pas, la tête sur sa poitrine.
— Eh bien, conclut « Wild Harry », voici ce que je vous propose : quand les gens chargés de « transférer » notre ami en Somalie vont se présenter pour prendre livraison de leur otage, expliquez leur que vous avez été obligé de vous en débarrasser en le jetant par-dessus bord. Parce qu’on vous avait dit que des policiers vous attendaient ici. Ils vont donc repartir sans lui. Nous serons déjà partis. Donc, personne ne pourra rien prouver.
Hadj Aidid Ziwani releva la tête.
— Pourquoi voulez-vous que je fasse cela ?
Le sourire de « Wild Harry » s’épanouit.
— Parce que désormais, nous sommes alliés... Il se trouve que nous aurons peut-être besoin de vous...
— Pour quoi faire ?
— Je ne peux pas vous le dire encore. Mais si vous coopérez de façon satisfaisante, nous oublierons cet épisode désagréable et vos amis ne pourront pas vous reprocher un moment d’affolement... Qu’en dites-vous ?
Un long moment s’écoula avant qu’il entende les mots qu’il attendait.
— Je suis d’accord, bredouilla l’Honorable Hadj Aidid Ziwani.
— Parfait, conclut « Wild Harry » en tendant un bloc au Somalien. Inscrivez ici tous vos numéros de téléphone ; je vais vous laisser le mien. Il faudra toujours répondre.
Lorsque le Somalien eut terminé, il reprit son bloc, se leva et lui lança.
-It’s good to know that, now, we have a friend in Mombasa.
CHAPITRE XIII
Jamais Malko n’avait trouvé une langouste aussi délicieuse !
En sortant de chez Hadj Aidid Ziwani, Paul et ses amis les avaient déposés au Tamarind, là où il avait emmené Anna Litz, et devaient venir les reprendre pour les déposer au Royal Castle où ils passeraient la nuit. L’avion charte par la CIA repartirait le lendemain à huit heures de Mombasa.
Malko se sentait sale, fripé, ses vêtements ressemblaient à ceux d’un clochard, mais son appétit de vivre était intact. Il se resservit de Taittinger Comtes de Champagne Blanc de Blancs, sous l’œil attendri de « Wild Harry ». Toujours fidèle à ses Pimm’s. Le gros Américain aspira une patte de langouste et laissa tomber :
— Maintenant qu’on a bien déconné, on peut passer aux affaires sérieuses. Je ne pensais pourtant pas que l’idée tordue de Mark mettrait votre vie en danger. .. Juste qu’on perdrait quelques jours.